Levanah dessinait sur son calepin de feuilles blanches ce soir là. Elle était restée seule à l'appartement pendant qu'Enora était au cinéma avec Ange et Kristy, ce qui avait permis à la hawaïenne de faire un peu de rangement dans sa piaule. Vieilles peluches qu'elle avait amené d'Hawaï, les bijoux de son enfance, mais surtout des photos, dont une en particulier. Elle datait de mai dernier, alors qu'elle habitait encore sur son île paisible. La blonde était avec une jeune fille métisse du même âge, cheveux bouclés. Sourires complices, grimaces joyeuses. C'était Levanah et son ancienne meilleure amie qu'elle avait tant fait souffrir. Alors elle avait commencé à dessiner pour déverser la foule de sentiments qui se battaient en elle lorsqu'elle y pensait. Si elle était malade aujourd'hui, était-ce à cause de ce qu'elle avait fait à Lula ? Était-ce le karma ? Levanah pouvait se faire à l'idée qu'on ne récolte que ce que l'on sème et feintait d'ailleurs de le vivre parfaitement bien, mais c'était faux. Elle connaissait ce côté extrémiste en elle, cette radicalité... car malgré son apparence douce, souriante et sociable, Levy était capable de tout. Du meilleur comme du pire.

- Je peux entrer ? Tu ne dors pas encore ?

Levanah se retourna calmement vers Enora, qu'elle n'avait pas entendu rentrer. Laissant son crayon et son calepin dans un coin de son lit, la blonde tapota sur son lit afin d'inviter sa colocataire à venir s'assoir.

- « Non non, je dessinais juste, je n'ai pas vraiment sommeil. Mais vas-y entre. Comment était le film ? »

Levanah remarqua la brève absence de son interlocutrice rousse, prise dans sa rêverie. A quoi pouvait-elle bien penser ? La hawaïenne ne voulait pas le savoir: ce qui se passait dans la tête des gens était parfois bien trop affreux pour être partagé... mais parfois, il le devait.

- Faudrait que je te parle d'un truc ... Enora posa son regard sur la feuille de papier puis le visage de Levanah. Elle représente quelqu'un de particulier ?

- « La chose dont tu dois me parler est l'identité de la fille que j'ai dessiner ou autre chose ? »

Levanah ne savait pas si sa colocataire avait énoncé deux phrases à sens unique pour chacune d'entre elles, ou si elles étaient toutes deux liées au dessins... ce qui gêna un bref instant la jeune blonde, cachant ce rapide malaise. Elle toisa d'un œil lointain son dessin et repensa à la photo qu'elle avait trouvé lors de son rangement un peu plus tôt.

- « Je crois que c'est moi » confessa-t-elle.

En effet, Enora avait bien énoncé deux phrases différentes et non pas une double, ce qui aiguisa la curiosité de Levanah. Mais tout d'abord, elle avait avoué que son dessin était surtout un autoportrait. Seuls le visage et la moitié du buste de la jeune femme étaient représentés. La face était divisée en deux: celle de droite était claire, lumineuse et pure, tandis que celle de gauche avait un aspect peu reluisant bien que séducteur. Les deux parties formaient cependant un tout, car la frontière les distinguant était comme floue et incertaine... le noir ne pouvait être sans le blanc et vice et versa. C'était elle, certes, mais aussi sa conception de la nature humaine.

- « Je pense que c'est moi parce que... tu sais, je...tenta de dire Levanah tout en marquant une pause. J'ai fait des trucs pouvant paraître perfides au premier abord. »

Jamais la Hawaïenne n'avait réussit à l'admettre à quelqu'un d'aussi proche qu'Enora l'était pour elle.

- « Mais tu as quelque chose à me dire ? C'est... grave ? » répondit la blonde soudainement inquiète.

La Hawaïenne reste muette et écouta sans broncher son amie rouquine développer ses dires à elle. Levanah fut touchée avant même de connaître l'information qu'Enora voulait lui transmettre, mais ne le montra pas. Elle allait lui faire part d'un évènement, une personne, un truc -ou une chose peut-être ?- de sa vie intime, personnelle. Levanah n'aimait pas parler de la sienne, au point même qu'au tout début de sa maladie, elle tenta de la camoufler aux yeux de son amie.

- « J'ai le droit, mais pas nécessairement le devoir Enora. Si tu préfères garder ça pour toi, je comprends. Il y a certaines parties de nous qui sont toujours compliquées à montrer. »

Et pour cause, Levanah y faisait face avec son propre dessin, posée juste à côté d'elle. Assise en tailleur sur son lit, la blonde attendit la réponse de sa colocataire qui ne tarda pas à combler le silence de la pièce.

"Meilleure amie". Levanah détourna un quart de seconde son visage, comme si ces deux mots venaient de la gifler violemment. Oui, c'est ce qu'était Enora. Sa meilleure amie. Et cela faisait horriblement mal à la hawaïenne. Peut-être n'était-elle pas née pour le bonheur ? Peut-être ses sentiments étaient si complexes que ce n'était qu'un faux semblant de tragédie ?

Levanah eut la gorge d'autant plus nouée lorsque Enora lui parla de son frère. Nouvelle gifle, nouvelle blessure. Elle avait perdu son frère... la blonde imaginait alors comment elle vivrait si l'un des siens venait à être assassiné. Oui, elle le vivrait probablement comme un... abandon brutal. Levy voulut prendre son amie dans ses bras, mais elle fut paralysée sur place.

- Les mots sont inutiles, n'est-ce pas ?

Malgré le manque de gestes significatifs de la part de Levanah, son expression laissait clairement comprendre à Enora que ce lien frère-sœur intense, elle le connaissait. Son ventre s'emplit d'une gêne atroce, comme si c'était son propre frère qui venait de partir, qui venait de lui être enlevé.

Levanah ne perdit pas une seconde et prit son amie dans ses bras, l'étreignant si fort qu'elle sentait son corps fondre contre le sien. La vie était faite de choses plus horribles que d'autres, mais que pouvions-nous faire pour y remédier ? C'était un grand non-sens, un bordel organisé et chaotique à la fois. On pensait tout contrôler, mais tôt ou tard, tout nous revenait au visage. C'était ainsi que Levanah voyait la vie, ses détours, ses fossés comme ses prairies. Et là, dans cette chambre californienne rythmée par les sanglots d'Enora, elle ne voulait plus rien comprendre à cette vie là, et juste garder son amie entre ses bras.

- Mais tu es là, et je suis là. Les jours ont défilé, défilent et défileront. On ne sait pas jusqu'à quand, mais nous, on est encore là, et c'est le plus important, tu ne crois pas ?

La hawaïenne étreignait toujours Enora lorsqu'elle lui dit ces paroles. Il était intéressant de voir comment Levanah pouvait passer du calme froid le plus total à l'affection -bien que silencieuse-.