« Alors, allez-y parlez-moi de votre enfance. » Oh mon enfance! Quelle chose joyeuse! Bien sûr, on ressent toute l'ironie dans ma voix étant donnée que je n'ai pas eu de réelle enfance. Ayant été abandonnée par mes parents dès la naissance, j'ai été baladée de foyers en foyers, de maisons en maisons jusqu'à ce que la petite famille Zimmer m'accueille à Berlin. Ils étaient très gentils, très aimants car ma mère ne pouvait pas avoir d'enfants. J'ai donc emménagé avec eux à Hambourg et j'y ai vécu quelques années. Disons qu'étant enfant unique et mes parents ayant tous les deux une bonne situation, je pouvais me permettre quelques folies. « Quel genre de folies ? » Le genre de folies dont on a pas honte. Je suis juste une acheteuse compulsive... de livres. Les livres étaient mon seul refuge pendant la longue période où on me baladait comme une valise. Trop lourde et trop chiante. On changeait souvent d'endroits. Ce qui fait que j'ai rencontré pas mal de monde et que j'ai des amis dans toute l'Allemagne. C'est mon pays, c'est ma vie. Je n'y suis pour rien. Mais des fois, il faut savoir quitter le nid dit-on.
Alors, il y a quelques années, j'ai voulu visiter l'Europe. Je venais tout juste d'être majeure. Donc c'était il y a presque quatre ans. J'ai quitté mon domicile familiale, pris mes petits petons et un sac à dos. Je m'en souviens bien, j'étais encore blonde à cette époque. D'où le fait que mes anciens amis rencontrés à cette période ne se souviennent plus de moi. J'avais passé ma vie à être balader de parents en parents et je ressentais un cruel besoin d'indépendance. Serait-ce un crime ? Je ne crois, je n'en sais rien. « Où êtes-vous allée ? » Un peu partout. France, Espagne, Angleterre. Et en Belgique. Je n'ai presque jamais voyagé seule. Toujours accompagnée. De garçons, de filles. « Vous souvenez-vous de ces garçons et de ces filles ? » Je ne me souviens que d'un nom. Calvin, un américain. Il habite ici, je crois.
« Vous voulez-bien me parler de cette rencontre ? » Bien entendu, elle a été une des plus belles de ma vie, je dirais. Mise à part mes parents. Je n'avais pas beaucoup d'argent à l'époque. Je venais d'avoir mon bac avec mention, ma voiture était tombée en panne mais je ne voulais pas renoncer à ce projet. J'ai donc économisé pendant plusieurs mois pour me payer ce voyage. Et j'avais fait un itinéraire bien précis. Alors que je venais d'arriver en Autriche, dans une auberge de jeunesse, je l'ai vu au loin. Il faut dire que c'était un bel homme, très beau même. Puis, nous avons longuement parlé et sympathisé. « Saviez-vous que vous étiez malade à ce moment-là ? » Je savais que j'avais quelque chose mais je ne savais pas quoi. Les médecins cherchaient encore. Mais ce n'est pas très monnaie courante. J'ai du faire une ou deux crises durant mon voyage. Alors, je me présentais tout de suite dans un hôpital et je mentais à tout le monde. Je ne me voyais pas me ramener et dire que je souffrais de troubles nerveux. Bref, j'ai rencontré Calvin et on s'est tout de suite entendus. On est rapidement devenus amants, amoureux et bien plus. Mais le problème était toujours cette maladie. Quand il est parti et m'a demandé de partir avec lui, j'ai décliné l'offre à contrecoeur. Je ne pouvais pas lui dire. Je ne savais même pas ce que j'avais. Du coup, j'ai eu le coeur brisé quand il a pris l'avion mais je savais que je faisais le bon choix.
Peu de temps après qu'il soit parti, les médecins ont trouvé ce que j'avais. « Et qu'avez-vous ? » Je souffre d'une épilepsie frontale à crises nocturnes. Elle a commencé peu de temps avant mon voyage et c'est vite aggravé. Mais on m'a dit qu'un spécialiste pouvait m'aider et je suis donc venue à San Francisco pour vous trouver. Maintenant, restes à savoir ce que vous pouvez faire pour moi. Je n'aime pas ce pays, je m'y sens mal à l'aise et en plus, je ne sais pas si on va pouvoir me soigner. Pourrez-vous docteur ? « Je vais essayer Miss Zimmer, je vais essayer. »