« Jared, c’est Evy. Rappelle-moi. » Que j’entends sur ma messagerie. Un peu plus et j’aurais pu lui répondre mais j’ai manqué tomber de ma chaise en tentant d’allonger le bras pour atteindre mon portable. J’viens d’me lever et j’ai pas de force pour me tenir debout à l’instant. J’tente d’évaporer la fatigue de mes yeux en les frottant puis j’ouvre les rideaux pour me faire comprendre à moi-même que le soleil est là et que j’dois me bouger avant que les heures commencent à défiler et que j’me retrouve encore avec une autre journée sur mon compte sans avoir rien foutu. J’avoue que ces derniers jours ont été durs parce que bah… Je sais pas, j’imagine que le retour soudain de Rena m’a bouleversé. Je comprends pas comment c’est arrivé, ce qui s’est passé… En fait si, mais pas du tout en même temps. C’est frustrant, stressant et surtout bouleversant, du coup je dois absolument en parler à Evy pour savoir ce qu’il faut que j’fasse dans ce genre de situation. C’est con de ma part de compter sur une femme enceinte pour ce genre de choses, mais je sais qu’elle est là pour moi quoi qu’il arrive et qu’elle est prête à m’aider même si elle comprend pas la totalité de la situation. Si j’lui explique en grand et en large, ça devrait pas être dur. Rena est mon ex, on s’est séparés quand j’ai eu l’accident. Elle a été vivre à New York, elle en a eu marre, elle est revenue ici, on s’est revus, on a couché ensemble et elle est partie, comme dans le bon vieux temps, même si à l’époque on avait une raison de le faire et qu’on était ensemble. Là, non, on a agi sur le coup et on s’est dit qu’on prendrait bien soin de faire face aux conséquences par la suite, sauf que ça fonctionne pas comme ça. Du moins, plus depuis un moment. J’veux dire… c’est naïf de croire qu’on s’en sortira indemne et qu’on pourra prétendre que rien s’est passé alors qu’on sait tous les deux que rien serait arrivé si on avait plus aucuns sentiments l’un pour l’autre. « Jay, tu viens déjeuner ? M’man a fait à manger et elle tient à ce qu’on mange tous ensemble. » C’est plutôt rare, mais faut en profiter les fois que ça arrive parce que d’habitude ma mère est d’humeur massacrante quand il s'agit de devoir se démener encore et toujours pour nous trois en même temps. J’me demande souvent pourquoi Ady a une plus grande différence d’âge avec nous qu’entre Eliàs et moi, et j’trouve jamais réponse à ma question. Les théories que j’ai sont pas très intelligibles et j’préfère pas non plus m’aventurer dans les détails. J’vais pas non plus emmerder ma mère à savoir pourquoi elle a attendu et tout, faut dire que l’évidence est là. Mon père habite presque pas ici alors on s’retrouve pas tellement en famille souvent et j’crois que ça fait tellement longtemps que c’est comme ça qu’on se pose plus autant de questions qu’auparavant. « J’arrive dans quelques instants. » Si j’ose dire quelques minutes et qu’Adam répète ça à maman, elle va venir dans ma chambre elle-même pour me casser les oreilles. C’est facile étant donné que c’est sur le même étage que la cuisine… Je me dépêche et me retrouve en deux temps, trois mouvements dans la cuisine. Je mets ma chaise de côté et m’assois sur une chaise, faut que j’apprenne à moins dépendre de ma chaise à cause de ma physio, les docteurs là-bas ont dit que ça m’aiderait de recommencer à prendre les habitudes que j’avais avant l’accident, histoire que quand je me rétablisse complètement, j’puisse me retrouver et non râler et me demander quoi faire pendant plusieurs minutes.
Après manger je me casse dans ma chambre et me prépare… On est lundi et j’avais dit à Evy qu’on allait se retrouver au starbucks aujourd’hui. J’prends une bonne douche et enfile un jean et un chandail que maman vient de poser sur ma table de chevet. Tout beau, tout propre, j’mets un tant soit peu de parfum et arrange pas mes cheveux parce sérieusement, ils sont trop courts pour que j’aie besoin de faire quoi que ce soit dedans. J’prendrais un taxi mais… « M’man ? Tu peux me déposer au starbucks. » Taxi local et gratuit, c’est encore mieux. « Dans 5 minutes. » On est en voiture et elle me dépose au starbucks, tentant de me poser des questions sur le chemin, parce qu’elle a entendu dire que Rena était revenue en ville et qu’elle était passée ici. Putain, je hais quand les gens parlent pour dire des conneries. Ils savent rien de ce qui se passe et là, à ce moment particulier, ils me font chier. « Alors, tu as revu Corene ? » La question qui tue et à laquelle j’ai pas envie de répondre. « Pourquoi tu veux savoir ? » Ma mère aimait Rena, mais vraiment… Ses yeux se mettaient à briller chaque fois que Rena passait le pas de porte et qu’elle restait pour manger ou pour dormir. Elle se faisait déjà à l’idée qu’elle pourrait être sa belle-fille et la chouchoutait comme si c’était sa propre fille. J’crois que c’était à cause de ça… parce qu’on est trois petits mecs et que maman est la seule fille à la maison, mais surtout parce que Rena était unique et que... J’me souviens encore avoir entendu et vu ma mère pleurer quand Eliàs lui a dit que c’était fini entre Corene-Ann et moi. J’avais jamais vu ma mère si triste. Elle est restée déçue pendant un bon moment et m’en a voulu pendant des années. « À plus tard. » Que je dis, m’assoyant dans ma chaise et la voyant retourner du côté conducteur. Je me faufile dans le starbucks – on me tient la porte évidemment – et j’me mets là où Evy et moi on a l’habitude de se mettre. J’regarde ma montre, j’ai cinq minutes d’avance, j’ai plus qu’à attendre maintenant…
La déprime s'installait au fur et à mesure du temps. Je ne savais pas trop comment y échapper. Faire pour ne pas rester stoïque. J'avais besoin de voir du monde mais qui ? Sonic ? Non! Imogen était occupée. Je ne voulais que lui. Recevoir ses lettres constituaient pour moi une véritable bouffée d'air frais, le lire. Même s'il était loin de moi depuis tout ce temps, je ne voulais qu'une chose, le voir. Ses plaques autour du cou, je ne me décidai pas à les quitter, sauf quand Sonic était avec moi. Lui parler de Jasper serait fortuit mais je devais trouver quelqu'un à qui en parler, je devais y penser. Alors, je pris mon téléphone, je composai le numéro tant familier, celui de mon ami en chaise roulante. Je savais que Jared remarchait mais s'il voulait continuer à être en chaise roulante, c'était son choix, je ne voulais pas le mettre devant le fait accompli, je ne voulais pas le brusquer. C'était mon ami, mon confident et si je n'avais pas eu d'états d'âme, je pense que j'aurai pu accessoirement avoir une aventure avec lui mais je l'aimais trop pour ça. Pour lui briser le coeur. Je me contentai de rester avec quelqu'un que je n'aimais pas, qui ne m'aimait pas, que je n'aimerai jamais. Le sexe était un bon ciment dans un couple, le sexe faisait tout. Le sexe était tout. Alors, je laissais un message sur sa boite vocale. Je voulais tout déballer, lui demander conseil, voir ce que je devais faire. Attendre Jasper ou passer à autre chose ? J'allumai une cigarette. Je savais que c'était mauvais pour le bébé mais j'en avais besoin. Les larmes défilaient le long de mes joues comme un torrent alimentée par la pluie. Je ne voulais pas les essuyer, je devais me délivrer de ce poids sur ma conscience. Alors, je restai là à pleurer pendant que mon bébé s'agitait. Je devais à tout pris me délivrer de Sonic, briser ses chaines qui me retenaient à lui mais comment ? Pourquoi ? Je devais avoir une garantie. J'avais eu le même dilemme quand j'avais revu Calvin. Attendre Jasper ou me remettre avec mon amour de jeunesse ? J'avais choisi. Mauvais choix. J'en avais souffert. Je me relevai donc doucement, la cigarette collée dans ma bouche pour aller m'habiller.
Étant à un stade avancée de ma grossesse, je ne pouvais plus porter de pantalons. Seules les robes convenaient à mon état. De longues robes, des petites mais toujours des robes. Je pris ma robe verte, celle que je portais durant ma première grossesse et j'eus le souffle coupé en me rémorant Matthew en me disant que mon fils aurait maintenant quatre ans. Ce fils que j'avais tenu dans mes bras pendant quatre jours. Je continuai de pleurer en ôtant mon pyjama pour vêtir le chiffon qui me servirait d'habit aujourd’hui. Tout le monde s'accordait à dire que les femmes enceintes étaient magnifiques mais je n'étais pas de leur avis, je ne le serai jamais. Nous étions difformes. Nous avions les jambes lourdes et ma santé n'avait fait que décliner depuis le jour où on m'avait annoncé que je serai mère pour la seconde fois. Techniquement, je le serai trois fois mais comme je n'avais pas porté Stuart, ce n'était pas comparable à Matthew et Mélodie. Je soupirai, séchant mes larmes, mettant mes lunettes de soleil puis, je pris Zaara, la fille d'Imogen que j'habillai convenablement. Eléa travaillait et je n'avais personne à qui la confier pendant mon rendez-vous avec Jared, je l'emmènerai donc avec moi. « As-tu pris tes coloriages ? Lui demandai-je doucement en lui faisant ses nattes. » La petite fille opina et je souris. J'ai toujours aimé les enfants. Ils me maintenaient en vie mais le bébé que je portais était en train de me tuer aussi. « C'est bien, ma chérie. On va aller manger un gâteau avec un copain à tata, tu seras gentille. » Je savais qu'elle le serai mais c'était une habitude. Stuart était très turbulent. Je laissai échapper un nouveau soupir et je finis par me relever avant de regarder l'appartement. La vaisselle était faite, les lits aussi, tout était rangé, je pouvais donc partir sans me demander s'il restait des couverts dans l'évier ou si les chats avaient à manger. Je fermai la porte à double tour bien que je savais que si Sonic voulait passer, il le voudrait et j'appelai un taxi pour m'emmener au Starbucks.
L'endroit était assez éloigné de chez moi et je dus bien mettre une vingtaine de minutes avant de m'y rendre mais assez pour voir Jared se glisser dans son fauteuil. Quelle incroyable supercherie et je souris en la voyant. Je ne savais pas ce qui le motivait à faire ça mais je m'en fichai. Chacun mentait sur lui même, moi la première. J'allais mourir, je le savais, mais je ne me faisais pas de souci là dessus. Quelqu'un serait là derrière moi pour s'occuper des petits. Car même si Sonic était un connard, il était génial avec les enfants. Tout le monde ne pouvait pas avoir que des défauts et il n'avait pas que ça. Je me contentai donc de descendre du taxi, tenant la petite par la main qui sautillait dans tous les sens avant d'entrer dans le starbucks. Je devais avoir les yeux rougis à force d'avoir pleurer mais je m'en fichai. Je pleurai presque tout le temps ces temps ci. Je ne pouvais pas rester là, à ne rien ressentir alors que celui que j'aimais se faisait peut être tuer à l'instant où je commandai un jus d'orange. Je me dirigeai vers Jared et la petite courut s'assoir devant après lui avoir dit bonjour. Je fis un sourire bienveillant avant de me baisser pour enlacer mon ami. Nom de dieu ce qu'il m'avait manqué. J'en pleurerai presque. Putain d'hormones! Je respirai un bon coup avant de prendre place en face de lui, mon jus d'orange à la main. Je ne savais pas par quoi commencer alors pourquoi pas par les formules traditionnelles ? « Salut JJ. Merci d'avoir répondu à mon appel. Tu es le seul à qui j'avais réellement envie de parler. » Je me tus un moment quand la petite me rappela sa présence et je levai les yeux au ciel. « Je te présente Zaara, ma nièce. Oui, à peine Stuart en vacances que j'ai un autre enfant à m'occuper. » Je me mis à rire doucement. Heureusement qu'elle était là cette petite, elle m'aidait à occuper mon esprit.
« I'm gonna be needing you more from now on. » ○ Jay&Evy