Je m’occupais des derniers clients encore présents, en l’occurrence de clientes qui composaient mon fan-club personnel. J’étais flatté de la considération qu’elles portaient, du moins en faisais-je mine car ce n’était que du travail de plus que je devais abattre. Je me devais ainsi de m’occuper d’elles, de les écouter bien que leur conversation fût des plus ennuyeuses, rire à leurs blagues stupides, les plaindre lorsqu’elles me faisaient part de leur souci ma foi fort futiles et j’en passais. C’était éreintant que de revêtir ce masque de galanterie sans cesse. Même le plus grand des comédiens ne pouvait jouer continuellement. Il lui fallait un instant de répit afin de sortir de son personnage et être qui il était. Pour leur échapper, j’allais souvent m’enfermer dans mon bureau, demandant de n’être dérangé sous aucun prétexte, mais cela ne fonctionnait guère. Elles représentaient une clientèle de choix et je devais accéder à toutes leur requêtes, heureusement pour moi, elles ne se montraient pas exigeantes, du moins pas encore et j’espérai que cela continuât ainsi car je n’allais pas en supporter plus. C’était bien assez de leurs discussions, leur regard qui en disaient long sur leurs intentions à mon égard, leurs attouchements qu’elles pensaient discrets, leurs mascarades pour s’attirer mes faveurs. J’étais exténué et je n’avais qu’une envie, qu’elles s’en aillent. Ce qu’elles firent une heure plus tard, peu de temps avant la fermeture du bar. Elles me faisaient penser à une horde de chien tomber sur un morceau de viande dont ils ne voulaient plus se détacher. Je n’étais pas certain d’apprécier d’être le morceau de viande en question. « A propos mon cher Elyes, mon mari et moi-même organisons un gala de charité mercredi et cela nous ferait tellement plaisir que vous soyez des nôtres. » Ce n’était pas une question, donc aucun refus n’était toléré. « Ce sera un honneur pour moi de me joindre à vous. » Un sourire charmeur. Tout pour qu’elle s’en aille et elle partit. Je m’occupais également des autres puis renvoyai mes employés. Je pouvais enfin souffler. Comme à l’accoutumé, j’allais m’installer sur mon piano et attendis mon invitée qui ne serait tarder.

Enfonçant les mains dans les poches avant de mon jean, je mets en route, sans me presser. De toute manière je n’ai rien d’intéressant à y faire et on ne peut pas dire que je sois franchement ravie d’y aller. J’appréhende pas mal ma rencontre avec un homme dont je ne sais rien. Il est le faux fiancé de ma blonde préférée et accessoirement le meilleur ami de William, homme que je tiens à éviter depuis notre mésaventure sur la plage qui avait failli m’envoyer bouffer les pissenlits par la racine. Cet épisode a été nécessaire car j’ai enfin pris conscience de sa dangerosité et à ce que j’ai pu voir, il ne semble avoir aucun remord par rapport ça. Je crois que c’est ce qui me fait le plus chier, j’ai naïvement pensé être un tantinet spéciale à ses yeux et non. Prends-toi ça dans la gueule Lera. Il faut arrêter de croire en des songes fantasmagoriques, tu as depuis longtemps passé l’âge pour ce genre de niaiseries. Il faut se réveiller maintenant. Je secoue la tête, pour chasser ses reproches de mon esprit. Je me demande bien ce qu’il peut bien me vouloir et surtout pourquoi je suis entrain d’aller rencontrer un mec craignos à deux heures du matin dans un endroit que je ne connais pas. Trop de facteurs inconnus qui devraient normalement me faire rebrousser chemin pourtant je continue. Qu’est-ce que je cherche exactement ? Je n’en sais fichtre rien. Pourquoi je n’avais tout simplement décliné l’invitation ? Fierté de merde qui m’enverrait sans aucun doute six pieds sous terre. Je frappe à la porte de service comme il me l’avait stipulé. Je patiente quelques secondes. Des bruits des pas. La porte qui se déverrouille. Un black en costard qui me sourit. Je le sens pas mais bordel qu’est-ce que je la sens pas cette conversation. J’entre. Je me mets dans un coin, sur mes gardes et attends, après tout c’est qui lui a demandé à me voir. Qu’il fasse la conversation.

Je jouais durant un long moment, m’essayant à une composition de mon cru. Le résultat n’était certes pas du niveau de grands compositeurs tel que Mozart ou encore Beethoven mais ce n’était pas si mal. Je jetai un œil à ma montre qui indiquait une heure et demi du matin. Ma convive était en retard et Dieu seul savait à quel point je pouvais détester les gens ne savaient faire preuve de ponctualité. C’était un manque cruel de respect par rapport à la personne qui les attendait. Mauvais point pour vous mademoiselle. Je continuai de m’activer sur le piano, espérant ainsi me débarrasser de mon agacement croissant. Soudain j’entendis frapper. Je me levai et me dirigeai vers la porte non sans un regard vers ma montre, 2h15. Elle avait véritablement pris tout son temps et la musique n’avait eu aucune incidence sur mon humeur. M’armant de mon habituel sourire de circonstance, j’allais lui ouvrir et ce fut en silence qu’elle pénétra dans mon établissement, se postant dans un coin sans bouger. Elle ne semblait pas vouloir me faciliter la tâche, tout cela s’avérait plus compliqué que prévu. Non pas que la tâche fût réellement difficile, simplement ma patience avait été mise à rude épreuve aujourd’hui et j’espérai pour nous deux qu’elle ne me rendrait pas les choses plus complexes qu’elles ne l’étaient déjà. « Puis-je t’offrir à boire ? » Je ne lui laissais pas le loisir de répliquer que je passais derrière le bar, prêt à lui confectionner une substance facile, peu enclin à me donner inutilement du mal. Tout en m’attelant à sa boisson, je gardai un œil sur elle. Elle n’avait pas bougé d’un pouce, conservant dans ses poches, adoptant ainsi une attitude décontractée qui ne faisait pas illusion. Elle était aussi tendue qu’une ficelle qui menaçait de se rompre si l’on l’effleurait ne serait-ce qu’un peu néanmoins elle conservait une parfaite maitrise de ses émotions. Intéressant. « Rapproche-toi donc, je ne vais pas te manger tu sais. » Un grand sourire qui se voulait chaleureux.

Je n’aime pas ça. Je n’aime pas ça. Je n’aime pas ça. Bien, bien, mais bordel qu’est-ce que tu fous là alors ? La porte est juste à proximité, tu n’as qu’à faire quelques pas. Gauche. Droite. Gauche. S’il le faut, cours. La liberté t’attend. Eloigne-toi de ce putain d’endroit. On dirait presque un gibier pris au piège faisant face au chasseur qui ne tardera pas à mettre fin à ses souffrances. Putain je le sens pas, merde. L’idée me vient de profiter du fait qu’il soit de dos pour m’éclipser mais non, je ne bouge pas. J’attends. Quoi ? Je ne sais pas. Je ne sais même pas ce que je suis venue chercher à une heure aussi tardive. Ce que je fous avec un mec aussi flippant qui semble pouvoir tuer une dizaine de personnes sans remords. Bordel de merde. Ma connerie me perdra, c’est sûr. Pourtant mon visage n’exprime rien, il reste aussi neutre que possible. Belle faculté que voilà. Ouais mais en attendant je suis plus que terrifiée, si je laisse court à mes émotions, sans doute que je me mettrais à hurler à la mort en me ruant vers la sortie. Je le regarde s’activer sans mort dire, réfléchissant à un moyen de me sortir, si jamais les choses partaient en vrille. Et le sourire qu’il a eu en m’invitant à m’approcher me conforte plus dans l’idée que je ferais mieux de me tirer rapidement. Il n’y avait là rien d’amical, il ressemblait plus à un ours prêt à dévorer sa proie. Je suis la proie. Chouette. « Je ne veux rien boire ou autre chose dans le genre, te donne pas tant de mal pour paraitre aimable, allons droit au but ! » Une pause, le temps de reprendre un peu de courage pour poursuivre sur ma lancée. « Pourquoi tu m’as fait venir ici ? Qu’est-ce que tu me veux ? » Un sourcil se relève, le défi est lancé. Merde.

Comme c’est intéressant. Je retins difficilement un sourire devant la réaction de la demoiselle. J’hésitais entre de l’amusement ou de l’agacement. J’optai finalement pour les deux. Cette jeune fille était démesurément divertissante. Je l’observai attentivement, sans pour autant arrêter ma préparation. Rien ne transparaissait sur son visage. On eut dit une poupée de cire condamnée à l’inexpressivité. Mon expérience m’avait appris à ne pas me fier aux apparences et en analysant son comportement plus en détail, l’on se rendait compte qu’elle n’était pas aussi sereine qu’elle voulait le laisser croire. Comme c’est intéressant. Il n’était guère surprenant que William se soit occupé de son cas plus profondément. Néanmoins, il avait visiblement oublié de lui inculquer les bonnes manières, comme le fait d’être ponctuelle à un rendez-vous ou bien encore de donner à ses aînés le respect qui leur ait dû. En d’autres situations, je lui aurais certainement accordé un peu de mon temps pour un petit jeu, mais pas ce soir. Je n’étais pas d’humeur donc peu compréhensif. Mon sourire, froid, s’agrandit à l’écoute de ses commentaires et un soupir de soulagement m’échappa. Je n’avais nul besoin de me forcer à être aimable avec elle. « Un peu de politesse n’a jamais fait de mal à qui que ce soit mais si tu insistes… » Je me déposai mes effets et m’avançai lentement vers elle, un chasseur face à sa proie. Mes mains allèrent se loger autour de cou, enserrant ce dernier avec une frustration passionnelle et je la plaquai sans ménagement contre le mur. « Ce que je désires savoir mademoiselle, c’est que tu m’expliques précisément ce que tu trafiques avec William, ce que tu comptes faire avec l’information que tu détiens sur lui, mise à part bien entendu jouer avec ses nerfs. » Un sourire mauvais apparut et je priai qu’elle n’envenime pas la situation par des provocations futiles.