De l'autre côté du mur, Annabelle perçut les cris d'un bébé et les pleurs de joie d'une mère accueillant son enfant, à peine né. Elle savait qu'elle n'allait pas tarder à donner naissance à son fils, elle aussi. Le hic, c'est qu'elle n'avait jamais voulu de cette grossesse. Il n'y avait pas de raisons particulières à cela : c'était un simple caprice. Elle avait déjà deux enfants, un garçon et une fille. C'était ce qu'elle avait toujours voulu. Un mari, deux enfants et un chien, c'est tout. Pourtant, elle était retombée enceinte. Depuis le début de la grossesse, Annabelle déprimait. L'homme qui partageait sa vie depuis 12 ans ne comprenait pas. Il se tenait là, à côté d'elle, à attendre la naissance de son fils pendant qu'Annabelle gémissait, demandait si l'on ne pouvait pas envisager l'adoption. Tom s'offusquait à chaque remarque cruelle de sa femme. Il mourrait d'envie de l’assommer pour qu'elle se taise. Il n'en fit rien, bien sûr. Il se contenta d'essayer de la rassurer, lui demandant si elle avait réfléchi à un prénom. Apparemment, elle s'en fichait. Tom dut donc prendre la décision lui-même. Son fils s’appellerait Eneko.

Lorsque Tom et Annabelle rentrèrent à la maison avec leur troisième enfant, l'ambiance était des plus froides. Le père d'Eneko avait pris sa décision : il allait partir. Il n'en pouvait plus. Sa femme le rendait dingue. Il l'avait épousée trop jeune et n'avait pas réfléchi. Au fil des années, l'erreur se confirma. Chaque jour était le reflet de l'échec de son mariage. Le soir même, il embrassa donc Eneko sur le front, pour la dernière fois, et prétexta devoir acheter du pain pour le repas. Il sortit de la maison et ne revint plus jamais. Annabelle prépara le repas, essayant de se convaincre que son mari était simplement en retard. Deux jours plus tard, elle n'avait toujours pas appelé la police, comme si l'absence de son mari était tout à fait normale. Elle poursuivit sa vie comme si de rien n'était, machinalement, prenant soin d'Eneko sans lui apporter tendresse ou affection.

Alors qu'Eneko venait d'avoir 16 ans, son frère - qui avait toujours agi avec lui comme un étranger - mourut dans un accident de voiture. Sa soeur et Annabelle ne s'en remirent jamais. D'ailleurs, comment pouvait-on se remettre d'un drame pareil ? On ne s'en relevait jamais, on apprenait à vivre avec. Durant la période de deuil, Eneko passa encore plus inaperçu que d'habitude auprès de sa soeur et sa mère. Il noya donc sa solitude dans la musique, donnant des petites représentations dans la rue pour combler son besoin de reconnaissance. Cependant, faire comme si tout allait bien n'effaça pas les problèmes. Six mois plus tard, la soeur d'Eneko se donna la mort. Ce fut le coup de grâce pour Annabelle. Elle tomba dans la dépression et l'anorexie, et fut bientôt jugée inapte à élever Eneko plus longtemps.

Deux mois après la décision du juge, Eneko fut envoyé chez son père : le dernier membre encore vivant de la famille. Bien qu'il ne l'ait plus vu depuis 16 ans, une complicité s'établit très vite entre Eneko et son père. Pour la première fois de sa vie, le jeune homme était heureux et sincèrement aimé. Tom l'encouragea à poursuivre dans la chanson, tout en prévoyant un plan de secours au cas où sa carrière ne décollerait pas. Ce qu'il ne souhaitait pas, bien entendu. Tom proposa donc à son fils de travailler en tant que vendeur dans son magasin de confiseries, le temps que quelqu'un remarque enfin le talent d'Eneko.