✱ NOM/PSEUDO : LINDA.
✱ ÂGE : DIX-SEPT ANS.
✱ J'HABITE : EN FRANCE.
✱ PERSONNAGE : IN-VEN-TÉ.
✱ CODE : I'M A BANANAAAAAA ! (je DEVAIS mettre cette vidéo) ON EST LE VENDREDI VINGT-QUATRE AOÛT, IL PARAÎT.
✱ UN PTIT MOT? vous l'aurez compris, J'AIME CAPSLOCKER MON MONDE, MOUHAHAHAHA.

Excitée. C’est le mot. Comme une puce. Merde alors. J’suis sensée être la nana zen, cool, la fille qui prend tous ces imbéciles de haut parce qu’ils s’lavent une fois par semaine et tueraient pour pouvoir balancer une grosse tarte à la crème périmée depuis six mois dans la gueule de Bill Gates. Soyons sérieux, même le mec qui nous a pondu Windows a droit à un peu de respect ou, en tout cas, à des produits frais. Ça n’coûte pas grand-chose de lever son gros cul pour aller acheter une tarte fraîche à la pâtisserie du coin. Sérieux. Pour en revenir à cette stupide IRL, je crois qu’en fait, j’suis aussi excitée qu’eux, il y a cinq minutes, au téléphone. D’après ce que j’ai compris, ils sont sur le point d’arriver. D’après ce que j’ai compris, hein. Parce que Sinker a vraiment un accent de merde, en plus d’avoir choisi un pseudo pourri. Et pourtant, j’parle anglais couramment maintenant puisque maman a décrété qu’on ne prononcerait plus un mot de français chez nous. J’ai eu beau hurler, taper du pied, tempêter, menacer de ne plus JAMAIS sortir de ma chambre (et à ce moment-là, j’sais pas pourquoi, mais elle s’est fendue la poire, se foutant clairement de ma gueule), rien n’y a fait, j’ai dû dire bye bye à ma langue maternelle. Si papa était là- mais papa n’est plus là, alors passons.

Les mains enfoncées dans les poches de mon jean, j’ne parviens pas à arrêter de sautiller sur place. Les mecs viennent. Ils viennent enfin, après tout ce temps. C’est ma première lan, la toute première. Première d’une longue série, si vous voulez mon avis. Plum (qui s’appelle en réalité Heather mais avouons-le, ça ne fait pas très sérieux, comme prénom, pour une geek) m’a confiée que c’était magique. Bon, j’imagine que sa première fois à elle devait être plus soft que ne sera la mienne. Plum joue dans une guilde composée en majorité de nanas (les trois pauvres garçons qui ont atterris là sont ou soumis ou gays, voire les deux, pour le dernier, j’crois). Moi, j’suis entourée de mecs. Des mecs qui ont longtemps été persuadés que j’étais un connard s’cachant derrière un pseudo de nana avant que Plum (God blessed her, really) ne leur promette que j’étais bien une fille. J’peux comprendre leur méfiance, j’ai rien de très, très féminin (du moins selon le dictateur qui m’a donné le jour, a.k.a. ma mère) et puis il faut avouer que la majorité des accros à WOW sont pourvus d’un service trois pièces, pas d’une paire de nibards.

Les véhicules défilent à côté de moi sans s’arrêter. Rouge, bleu, noire. Pick-up, berline, moto. Enfin, il y en a un qui se gare. Plutôt maladroitement, d’ailleurs. J’esquisse un sourire. Vu la gueule de la bagnole, aucun doute, c’est eux. Trois imbéciles s’extirpent de l’intérieur. Ils s’étirent et jettent un regard aux alentours. Deux de mes doigts trouvent leur chemin à ma bouche et je siffle. Fort, brièvement. Quatre fois. C’est le signal. C’est complètement stupide mais ça vaut cent fois mieux que l’imitation à deux balles d’Homer Simpson qu’ils ont tenté de me faire faire. Leurs visages s’éclairent et ils se précipitent vers moi. Le premier à m’atteindre est un grand blond qui, j’le jure, doit être apparenté à Steven Tyler. C’est pas possible autrement. Je savais déjà à quoi il ressemble mais constater la ressemblance frappante de ses lèvres avec la bouche d’un mérou dans la réalité, ça fait un choc. « Salut Eldred » je lance, en le laissant me prendre dans ses bras. Ça doit pas être tous les jours qu’il tient une fille contre lui. « La vaaaache, Bonniiiiiie, mais t’es vraiment une fille, en fait ! qu’il fait avec l’air d’un môme le matin de Noël. Hé les mecs, elle a des seins ! » Je lève les yeux au ciel sans pouvoir m’empêcher de ricaner. Le plus petit des trois, Sinker, enfin, Sam, lui administre une légère gifle derrière le crâne. « T’es con ou quoi, lui répond-t-il, bien sûr que c’est une fille. Elle est pire que nous, ça peut pas être un mec, elle est trop.. hard » Si l’on me demande, je nierai. Je suis une nana très féminine, qui passe deux à trois heures dans la salle de bains pour être présentable, je ne suis jamais chez moi et je suis très sociable. « Ouais nan mais attends.. c’est une fille quoi ! On a une fille dans notre guilde, une vraie fille alors qu’on est tous des mecs. J’sais pas si on doit avoir honte ou être fier » ricana Eldred. Il s’appelle Owen mais je sais qu’il déteste son prénom. C’pour ça que je l’appelle souvent comme ça, bien entendu. « Désolé Thelma, tu sais que notre charmant petit Owie cherche toujours désespérément à faire mousser son spaghetti » lance Carter, le troisième. Je lève les yeux vers lui, même si je sais qu’il a cet imbécile de sourire aux lèvres. C’est le seul à ne pas m’appeler Bonnie. C’est comme ça qu’il me connaît pourtant. Bonnie, c’est mon pseudo, c’est moi. Depuis qu’il sait que j’m’appelle Thelma, il ne s’adresse plus à moi autrement. Abruti. Mais il est sympa. Et il baragouine un peu de français. « Bon, au risque de vous paraître désespérément frigide, j’aimerais bien que vous vous bougiez un peu le cul. Vous êtes peut-être pas en manque mais j’vous signale que j’ai dû lâcher mon elfe de sang pour venir vous accueillir ici alors on s’bouge et en vitesse ! »

J’les attends pas, ils n’ont qu’à suivre. La seule chose qui me parvient, c’est la voix de Sam : « tu vois ? lance-t-il manifestement à Owen. J’te l’avais dit. Pire que nous, pire ! » Je ne peux pas m’empêcher de sourire. Ce sont les seuls je connais réellement et que j’ai envie de fréquenter, c’est un peu effrayant d’ailleurs, parce qu’ils n’ont rien, absolument rien en commun avec le prototype du beau gosse devant lequel les filles de mon âge bavent (et j’en vois tous les jours, au lycée, des hystériques qui tueraient pour aller au bal de promo avec l’un des imbéciles de l’équipe de foot). Mais ce sont mes potes. Des accros de C++ qui parlent le chinois pour la grande majorité des gens mais ça m’va. On s’comprend. Ils ne me demandent jamais de leur raconter ma vie ou de parler de mon père. Ils ne me demandent pas pourquoi je n’ai pas vraiment d’amis. Ils ne s’intéressent pas à mon évident échec scolaire. Eux, tout ce qui leur importe, c’nos quêtes et, il faut bien le dire, mes mensurations. J’suis pas idiote, je vois bien comment ils me regardent. Les seuls nanas qu’ils peuvent voir d’aussi près sont des pornstars dont ils matent les films sur leurs écrans dix-neuf pouces. Ce n’est pas moi qui leur jetterai la pierre, ces filles sont bonnes (dans tous les sens du terme). Okay, ils me font des compliments étranges et ne sont pas très subtils lorsqu’ils cherchent à me draguer mais ce sont de bons garçons. Mais je vais leur botter le cul pas plus tard que dans vingt minutes. C’est moi la meilleure, no matter what.

— ͼҨͽ —
« ... et nous sommes donc au regret de vous apprendre que votre fille est suspendue pour le reste de la semaine » La nouvelle tombe comme une tentative de ricochet par un boulet : comme une pierre. Je ne bronche pas puisqu’après tout, j’étais déjà au courant. Matt, cet espèce de connard débile, parvient à connecter ses deux neurones pour m’adresser un sourire triomphant. Espèce de foutu crétin. Je lui ferrais bien bouffer toutes ses dents si je ne craignais pas d’être renvoyée définitivement. Et, sérieusement, foirer la fin de ma dernière année pour son joli petit cul ? Non merci. « Ne vous réjouissez pas trop vite, Matthew, reprend le proviseur, la mine grave, nous savons tous ici que vous êtes à l’origine de cette altercation. C’est pourquoi votre fils, continue-t-il à l’intention du père de ce sale petit con, sera lui aussi suspendu pour le reste de la semaine » Le papa n’a pas l’air d’apprécier, si vous voulez mon avis. Il a rougi plutôt vite et s’est tourné vers moi pour me fusiller du regard. Il n’y a plus à se demander d’où Matt tient sa sale gueule. « Et pour mon laptop ? » je demande avec autant de calme que possible en pareille situation. Cet abruti a explosé mon ordinateur portable et ce uniquement parce que j’ai refusé de lui filer mes notes de maths. S’il croit pouvoir s’en tirer comme ça, il rêve. « Quoi ton laptop ? qu’il répond, aussi innocent que l’agneau qui vient de naître. Il est tombé, il s’est cassé, c’est bien dommage. C’ta faute, fallait faire attention » Sombre con. Je me lève de la chaise en plastique sur laquelle on m’a consigné un peu plus tôt et pointe sur son torse un index accusateur. « Tu sais très bien que c’est faux, tu l’as jeté par terre ! Tout le monde t’a vu ! » Tout ce qu’il trouve à faire, c’est ricaner. Sérieusement, j’ne vois pas ce qu’il y a de drôle là. « Ah ouais ? Et t’as des témoins ? Des gens prêts à jurer que j’ai jeté ton stupide truc ? » Touché. « Apparemment pas » Il continue à rire. Parce qu’il sait qu’il a raison, parce que j’suis rien d’autre que la crack en maths, la geek que personne n’intéresse et qui n’intéresse personne. Je déteste ça. Qu'il ait raison. Qu’il ait toujours raison à propos de tout. Quel connard.

Son père lui fait signe de se lever. Il s’exécute sans plus un mot et après avoir salué le proviseur, tous deux quittent la pièce. Peut-être n’est-ce que moi mais je trouve déjà l’air plus respirable. J’observe ma mère serrer la main du dirlo en s’excusant platement à voix basse. Elle imagine que je ne l’entends pas ou quoi ? Bizarrement, je suis presque capable de deviner ce qu’elle va dire au moment où ses lèvres s’agitent. Elle parle de papa, de mes difficultés à m’habituer à la vie à San Fransisco (dois-je rappeler que je vis ici depuis maintenant quatre ans ou est-ce inutile ?), que j’ai toujours été incapable de me lier aux autres, etc, etc. Sur ce point-là, je me dois de la contredire. Je n’ai jamais été asociale mais ça n’est tout de même pas ma faute si les gens de mon âge semblent avoir une frite molle à la place du cerveau. Et franchement, les légumes et moi, ça n’a jamais fait bon ménage.

L’air frais nous fouette le visage lorsque nous sortons. Matthew et son charmant paternel semblent avoir déjà déguerpis puisqu’ils ne sont pas en vue. J’entends ma mère soupirer à côté de moi mais je décide de faire comme si de rien n’était. Ses questions, j’les vois courir de là. Pour tout dire, j’ai pas franchement envie d’lui expliquer le pourquoi du comment. J’ai été exclu temporairement, j’l’accepte mais on n’en parle plus. Ouais, bah, c’est pas son avis. « Tu te bas maintenant, Thelma ? lance-t-elle, en colère. Je tolère ton manque d’enthousiasme pour le lycée, je comprends que tu aies du mal à te faire des amis, j’accepte même tes mauvaises notes en anglais mais.. bon sang, ne fais pas ça ! » Oh pitié. C’est parti. On est pas rendu, c’est moi qui vous l’dis. « Ce garçon a l’air d’être gentil, pourquoi est-ce que tu n’essayes pas d’être un peu plus sympathique ? continue-t-elle sur un ton qui se veut sans aucun doute compatissant. Tu ne crois pas que ton père aurait aimé que tu- » « NE ME PARLE PAS DE PAPA ! » C’est.. parti tout seul. « Tu essayes de me faire passer pour la pauvre petite chose qui n’a pas surmonté la mort de son père mais c’est pas vrai. Je vais très bien, je l’ai accepté. Il était malade, bordel ! J’étais préparée ! C’est toi qui veux tout compliquer là, parce que d'après toi, j’suis toujours la cause des problèmes que j’rencontre. Merde, ce mec, c’est un con, il voulait m’tirer mes notes de maths et j’ai pas voulu ! » Bon, cette fois, c’est vraiment parti. Ca sort tout seul, en un flot continu. M'man est blême et elle ne dit rien. Elle se contente d’écouter, d’encaisser. « Parce que tu veux la vérité ? Ouais, j’ai pas d’amis, les gens ici m’aiment pas et tu sais quoi ? J’les aime pas non plus ! Ils m’gonflent avec leur popularité et leurs conneries. Y’en a pas un qu’est capable de faire un exercice de maths ou de physique tout seul et c’est toujours moi qu’on vient voir. Ne pas m’parler dans les couloirs, c’est okay, m’regarder bizarrement chaque fois que je dis quelque chose qu’ils captent pas, ça aussi, ça va mais ouhlala, il faudrait pas que je les empêche de copier mon boulot, SURTOUT PAS ! J’en ai ras-le-cul de.. de.. D’ÊTRE EXPLOITÉE COMME CA ! Ils ont qu’à s’acheter des neurones et aller s’faire foutre ! » Enfin, c’pas comme si c’était posible. Pour les neurones s’entend. Quand on est con, on est con. Mais il est hors de question que ma mère continue à me péter les steacks sous prétexte que je n’ai pas assez d’amis à son goût. Des amis, j’en ai. Ils ne sont juste avec moi vingt-quatre heures sur vingt-quatre.

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La sonnerie stridente de mon portable me fait sursauter. Mes mains ripent sur le clavier. Awesome. J’viens de foirer la fin de ma phrase. Je décroche en bougonnant. « Bonnie ? » Merde, qu’est-ce qu’il veut ? « Attends, raccroche pas, faut que j’te parle » Flashnews dickhead, j’ai, moi, rien à t’dire. « Thelma, s’te plaît, tu pourrais au moins le dire si j’t’emmerde au lieu de rester muette » Okay, très bien. « Tu m’emmerdes » A l’autre bout de la ligne, il ricane. L’imbécile. « J’suis en train de coder et indépendamment du fait que j'suis actuellement occupée, j’ai pas non plus franchement envie d’parler avec toi » je continue avec hauteur. S’il croit que j’vais lui pardonner aussi facilement, il s’fout le doigt dans l’œil jusqu’au coude. « Je sais mais j’en ai pas pour longtemps et.. j’suis désolé Thelma, vraiment. J’ai merdé. J’le sais et j’suis tellement désolé. C’était pas cool » Alors ça, c’est un sacré euphémisme. Abuser du fait que j’ai plus ou moins craqué sur lui pour tirer un coup, c’était déjà pas cool, comme il dit. Aller ensuite raconter à chaque geek (mec) qu’on connaît comment il m’a dépucelée, c’est être un putain d’connard. « J’t’aime bien en plus, t’es mignonne et même si tu fais un peu peur parce que t’es.. vraiment super geek à côté d’moi, j’tiens à notre amitié » L O L ! J’espère qu’il ne tente pas de rattraper le coup. Parce que là, il m’fait perdre mon temps. « Et tu nous- tu me manques. Faut que tu r’viennes jouer avec nous. C’est plus pareil sans toi » Here we are. Je savais bien qu’il ne pouvait pas avoir soudainement envie de s’expliquer. Ca fait presque un an maintenant. Faut-il vraiment que leur stupide guilde soit dans la merde pour qu’il m’appelle maintenant. « Ça ne m’intéresse plus, je réponds, la plus calme possible. Tu peux te mettre tes excuses au cul. J’ai du travail alors va te faire foutre Carter » Je ne lui donne pas l’occasion de répliquer et raccroche.

Heather, allongée à côté de moi, n’a rien perdu de l’échange. Je lui jette un regard en coin. Elle me fixe avec un grand sourire aux lèvres. Les mots je te l’avais bien dit dansent dans ses yeux. Ouais, elle me l’avait bien dit, je sais. « Je te l’avais- » « Ouais, je sais, je l’interrompt en fermant mon laptop, si on faisait quelque chose d’un peu moins constructif ? » je propose après avoir déposé le pc sur le sol, sous mon lit puisque son abruti de chien adore se coucher dessus. Je crois que cette bête est un peu détraquée mais elle l’adore, donc.. nous essayons, lui et moi, de se tolérer. « Comme quoi ? » demande-t-elle innocemment. Comme si elle ne savait pas ce que j’ai en tête, après tout ce temps. « Comme vérifier si tu es toujours vaginalement motocultable » Elle éclate de rire. Certes, ça n’est pas très correct ni très poli mais après tout, elle apprécie ma compagnie. On a le même âge, on vit ensemble depuis le début de nos études, on ne se prend pas la tête. Elle ne pose jamais de question sur mon père et encore moins sur ma mère, elle ne se fout pas de mon accent, elle n’a jamais insisté pour savoir comment et pourquoi j’ai atterri à San Fransisco, elle est aussi accro à son pc que moi, elle est fun et organise une lan par mois, sans oublier qu’elle se préoccupe au moins aussi peu que moi des étiquettes et elle tolère ma vulgarité. J’ai tiré le bon numéro, rayon colocataires. Côté plan cul aussi. EEEET... UCEY !