Assise sur le canapé chez Easton, je fumais une cigarette en discutant avec Eliott sur facebook. Lorsqu'il me proposa qu'on se voit, je restais sous le choc. Depuis que j'avais rompu avec Elia parce que j'aimais trop Eliott et que c'était Eliott que je voulais, j'avais essayé de lui expliquer ça. J'essayais par tous les moyens de lui dire et de lui faire comprendre que je l'aimais. Mais plus j'essayais plus il semblait me repousser. J'étais au fond du gouffre. J'avais peur, peur qu'il ne veuille réellement plus jamais de moi, qu'il trouve une autre fille… Je savais que je ne le supporterai pas. Je savais aussi que lorsqu'on aimait quelqu'un il fallait le laisser être heureux, même si ça signifiait que ce soit sans vous ; pourtant, je ne pouvais pas me résoudre à laisser Eliott à une autre. Personne ne pouvait l'aimer comme moi je l'aimais, c'était impossible, c'était trop fort. Même s'il ne semblait pas le comprendre. 
J'acceptais donc son invitation, rendez vous au Manchester. Je me regardais dans le miroir, j'avais une tête de déterrée, ce qui paraissait normal compte tenu du fait que je n'avais pas dormi depuis trois jours au moins, je tenais en prenant des trucs qu'on me filait dans des soirées, de l'énergie artificielle mais ça marchait. Je n'arrivais pas a dormir et de toute façon, je ne le voulais pas, je ne ferai que des cauchemars. 
Je remis ma jupe fleurie en place et rentrait mon débardeur gris trop grand dedans. J'attrapais mes tennis blanches tout en regardant autour de moi. Easton n'était pas là et son frère non plus… Je perchais mon sac sur mon épaule et sortie. En route, j'envoyais un message à ma nouvelle colocataire pour la tenir au courant du déroulement de ma soirée.
Arrivée au Manchester, j'éteignais ma énième cigarette. Je rentrais rapidement et repérais immédiatement Eliott. Je m'avançais vers lui, dessinant un timide sourire sur mes lèvres. « Salut… » C'était tout à fait étrange de me retrouver face à lui après tout ce temps et tout ce que j'avais pu lui dire ces derniers jours… Je restais debout face à lui.

Les jours passent, et rien ne s’améliore. J’avais eu beau ressentir une certaine joie à l’annonce de la séparation du couple Elia/Charlotte, qui me dégoutait clairement par ailleurs, je ne pouvais pas me laisser submerger au quotidien par ce sentiment jovial. Rien, j’étais un néant. Comme si Charlotte avait tout ravagé. J’avais le sentiment qu’elle m’avait donné une pelle, et maintenant je devais m’en servir pour creuser le trou dans lequel je m’enfouirais. Lorsqu’il n’y a plus rien en surface, il faut creuser. Mais je n’ai pas le courage de creuser, je crois que je m’enfonce naturellement sous terre. Je ressens une telle souffrance, souffrance qui me devient habituelle au fur et à mesure des jours, que je n’ai plus aucune envie. J’aime Charlotte, c’est certain, mais au fond cela m’effraie. Je sais qu’elle me veut, elle me l’a clairement dit, et si rien de tout cela ne s’était produit alors j’aurais accepté sans crainte. Mais là était le problème, écrit noir sur blanc comme écrit sur une ardoise à la craie blanche : Charlotte t’as quitté pour Elia, sans aucun scrupule. C’est la deuxième fois qu’elle te heurte, qu’elle t’abandonne. Rappelle-toi du dicton « Jamais deux sans trois. » Ce dicton m’effrayait au plus haut point, et je savais que malgré les belles paroles de Charlotte m’assurant qu’elle ne me heurterait plus, tout était possible, et il n’était pas exclus de voir ce scénario se répéter une troisième fois. Je crois que je n’y survivrais pas, clairement. J’essayais de m’approcher un peu plus de Charlotte, me rendant compte du manque qu’elle représente. J’ai beau dire que j’ai la volonté de m’extraire de tout ça, que je veux tourner la page, personne ne me croit. Les gens doivent sentir le vide que Charlotte laisse en moi. Alors j’essaye de lui parler, même si le dialogue est difficile. Elle me parle, je la contre, et vice versa, j’ai l’impression qu’elle ne me comprend pas. Elle ne comprend pas la peur que tout cela me procure. Elle ne comprend pas que je l’aime toujours, mais que j’ai besoin d’être sûr. Alors je tente le tout pour le tout, je lui donne rendez-vous. On fixe comme endroit le Manchester, et je m’y rends nerveux. Je fume plusieurs cigarettes, je me sens trop agité pour réfléchir à ce que je vais dire. Lorsque je rentre dans le bar, je me rends compte qu’elle n’est pas encore arrivée. Je m’installe, silencieusement, et tente de faire descendre ma nervosité, sans réellement de succès. Lorsque je l’aperçois enfin, un petit sourire aux lèvres, je sens mon cœur s’agiter et faire des bonds. Elle m’a manqué, c’est indéniable, mais pourtant je tente de canaliser mes émotions et de garder mon sang-froid. Pas de longues embrassades, pas de sourire pour le moment, je reste sur mes gardes. « Assis-toi, je ne vais pas te mordre » lui dis-je, toujours sans sourire, mais d’un ton encourageant.

Je suis face à Eliott, et mon souffle se fait de plus en plus irrégulier. Je n’aurais pas cru que ça me ferait cet effet là. De le revoir après tout ce temps. J’ai presque l’impression que ce n’est pas vrai, qu’il n’est pas en face de moi, qu’il va disparaitre dans quelques secondes et que je suis juste en train de devenir folle. J’ai envie de le toucher pour être sure, mais je sais que je ne peux pas le faire…
Je tourne la tête une seconde et aperçois mon reflet dans une fenêtre. J’ai des cernes jusqu’en bas des joues, je fais vraiment peur à voir. J’ai envie de repartir, de prendre mes jambes à mon cou, de fuir. « Assis-toi, je ne vais pas te mordre » Je pose mes yeux sur lui. Sa voix. Elle m’électrifie, j’ai l’impression d’un millier de lames que me traverse dans tout le corps. J’ai des frissons. Je me pince les lèvres et je m’assois en face de lui.
Mes mains se lient, et je laisse mes doigts jouer entre eux, ça calme ma nervosité, même si du coup, ça la laisse beaucoup plus visible aux yeux de tout le monde. Je lève les yeux vers Eliott. J’ai envie de pleurer, il est si près et pourtant si loin ; paradoxalement, je n’ai jamais eu l’impression d’être aussi loin de lui. et ça, ça me donne vraiment envie de pleurer, je ne le supporte pas.
Un serveur s’arrête à notre table. « Un whiskey-coca. » soufflais-je. De l’alcool. De toute façon, j’en ingurgitais tellement depuis trois jours, que l’alcool n’avait pas le temps de s’évacuer de mon corps.
Il repart et nous laisse avec notre silence. Tout ce que j’ai pu lui dire, ne sort pas. je voudrais pouvoir lui redire tout ce que j’ai dit : qu’il me manque, que j’ai besoin de lui, que je veux qu’il revienne et qu’il me pardonne, que je ne lui ferai plus jamais de mal… Mais je suis incapable de dire quoi que ce soit… Pourtant, tout ça je le pense et j’espère qu’au fond de lui, il le sait. Parce que je suis nulle avec les mots, c’est pas nouveau, et si c’est ma seule chance de le retrouver, alors j’aurais du mal…
Je baisse la tête et me mords la lèvre inférieure. Et puis, ça sort sans que j’ai le temps de réfléchir. « Tu me manques… Et… je suis contente de te voir… » C’est presqu’un murmure alors il n’a peut-être pas entendu.
Je relève la tête vers lui, anxieuse. Je t’aime, je t’aime, je t’aime, je t’aime…

La voir c’était comme sentir la foudre à nouveau pénétrer dans mon corps. Le coup de foudre avait été immédiat avec Charlotte, j’avais senti dès le début qu’elle était celle qui me fallait, et jamais je n’aurais pu imaginer à quel point elle m’aviverait autant qu’elle me tuerait. Le premier coup de tonnerre avait éclaté par ma faute, le second venait d’elle et m’avait foudroyé sur place, me brisant en mille morceaux et me laissant paralysé. J’étais pétrifié à l’idée que la foudre tombe à nouveau sur moi, alors je pensais ne pas sortir de ma bulle. Et pourtant j’avais franchi mon palier, je m’étais rendu dans ce petit bar de San Francisco et avait risqué de défier mes craintes. Elle se tenait face à moi, j’étais partagé entre l’idée de lui sauter de les bras, et celle de m’enfuir en courant. Je ne savais pas vraiment ce que je voulais, je ne savais pas que faire, comment réagir, que lui raconter. La voir me rendait trop bizarre pour que puisse réfléchir correctement. Elle avait le don de me perturber. Tout ce que je savais, au fond, c’était que je l’aimais et je l’aimerai plus que je n’ai jamais aimé aucune fille. Elle était, paradoxalement, tout aussi haut perchée dans la pyramide des filles que je détestais. J’étais empli de rancœur, je ne voulais pas revivre une deuxième fois ce qu’elle venait de me faire, et le fait de ne jamais pouvoir être sûr que cela ne se reproduira pas me rend perplexe. Pourtant, je la vois, la face trahissant son manque de sommeil, et je ne peux m’empêcher de m’en vouloir. Je crois ne l’avoir jamais vue dans un tel état, et j’étais bien évidemment conscient que tout cela était de ma faute. Mais cette galère n’était due qu’à elle-même ainsi qu’à Elia. Elle s’était plongée dans cette souffrance, elle aurait dû s’y attendre. Je l’entendais soupirer sa commande au serveur lorsque celui-ci s’arrêta à notre table, et je n’en étais point surpris. De l’alcool. C’était si facile d’esquiver et d’oublier ses problèmes de cette manière. De toute manière je n’ai rien à dire là-dessus, je ne suis pas mieux. Je demande une bière à mon tour, et l’écoute parler après de longues secondes de silence avant que le serveur nous apporte nos consommations. Il fallait s’attendre à ce silence. Elle m’avoue, une fois de plus, que je lui manque. Je la crois, désormais plus que jamais étant donné dans quel état je la retrouve, et je ne lui réponds qu’en baissant la tête et esquissant un petit sourire, exprimant le même sentiment qu’elle. Pourtant je ne lui dirai pas, elle n’aura qu’à le comprendre par elle-même. Je me rends alors compte d’à quel point je suis faible. La preuve en est que, je suis sûr que si elle me sautait dessus, alors je ne la repousserai pas. Elle m’a toujours rendu faible, elle a toujours su toucher la corde sensible.

Le temps s’écoulait à une lenteur folle. En face, d’Eliott, la situation n’a jamais été aussi tendue. Je ne sais pas quoi faire, je ne sais pas quoi dire…
Et qu’est-ce que je suis supposée dire ? Tout ça, c’est de ma faute, j’ai creusé un gouffre entre nous. Et maintenant, j’espérais qu’il allait m’aider à inverser la situation…
J’avais cru que ma plus grosse erreur avait été de tromper Léo. C’était faux, ma plus grosse erreur avait été de quitter Eliott pour Elia. Le seul qui était fait pour moi, c’était indéniablement Eliott. Comment je n’avais pas pu m’en rendre compte ? Il est là, devant moi, j’ai envie de le serrer dans mes bras, sentir à nouveau son odeur, me dire qu’il est à moi. Mais ce n’est pas le cas et ça me rend malade.
Je lâche ce que j’ai sur le cœur et Eliott se contente de baisser la tête quand moi je relève la mienne. Injustice. J’aurais voulu qu’il dise quelque chose, n’importe quoi. Je me rendais compte que son silence me tuait encore plus que ses mots. Entendre sa voix à nouveau m’avait troublé, mais ce silence… il était trop pesant pour moi.
Le serveur vient à nouveau briser le silence. Chacune de ses apparitions me fait penser à un nuage de fumée que quelqu’un traverse, brisant l’harmonie de la fumée blanche. Sauf que notre silence n’a rien d’harmonique.
Il repart et je bois une longue gorgée de mon verre. Ça me réchauffe la gorge. Je retourne mon regard vers Eliott. Parle. Dis quelque chose, n’importe quoi…
Je sais que c’est à moi de parler, à moi de faire mes preuves, mais je ne sais pas m’y prendre et je sais qu’il le sait. Eliott me connait par cœur. Il sait tout de moi. Personne n’a jamais eu ce pouvoir sur moi. Eliott est le seul. Et je le veux. Je veux qu’il revienne, je veux qu’il m’aime ; encore un peu, un tout petit peu…
Alors soudain, je parle. Je baisse la tête et les yeux fixés sur mes cuisses, je parle. « Reviens… » BOUM. Je sais qu’il ne le fera pas, s’il avait voulu, il l’aurait déjà fait. Mais Eliott ne veut plus que je lui fasse du mal, et il ne veut plus de moi.
Je garde ma tête baissée, par que je ne me sens pas de l’affronter…

Je me doutais que cette discussion, si l’on peut réellement la nommer ainsi, tournait au cauchemar dans l’esprit de Charlotte. Cauchemar, je ne savais si ce mot était vraiment excessif ou représentatif. Elle rêvait certainement de retrouvailles, et le fait qu’elle me dise que je lui manquais ne faisait que me conforter dans cette idée, bien évidemment. Pourtant, elle ne pouvait pas s’attendre à me voir courir vers elle, la serrer contre moi et l’embrasser comme on avait pu le faire autrefois, quand tout allait bien. Mais tout n’allait pas bien, tout était une catastrophe, et comme on le dit : Qui sème le vent récolte la tempête. Je sentais que ma rancœur actuelle ne pouvait que représenter la tempête que Charlotte avait provoquée. Et elle la ravageait, lentement mais sûrement. Je m’en voulais, si fort. Je détestais faire souffrir les gens, particulièrement ceux que j’aime, et pourtant c’était ce que j’étais en train de faire. Elle l’avait certes mérité, après l’atroce douleur qu’elle m’a fait subir, mais je ne suis pas foncièrement mauvais ou méchant, et la voix souffrir, voir ses traits enfantins et insouciants se durcir pour laisser paraître une femme anéantie par la fatigue et la douleur, je ne le supportais pas. Le serveur nous apporte nos consommations, je ne me fais pas attendre pour en boire une bonne gorgée. Le silence est de rigueur, mais je crois qu’il nous tue tout autant l’un que l’autre d’une douce mais puissante flamme. Aucun mot ne sort de ma bouche. Je n’arrive simplement pas à m’exprimer, je ne sais même pas quoi lui dire ou lui raconter. Regarder son visage ne fait que raviver mes douleurs, alors je reste éloignée d’elle et me contente de l’observer rapidement par intermittence avant de poser à nouveau mon regard loin d’elle, et ce pendant de longues secondes. Sa voix, à nouveau, brise à nouveau le silence de glace qui nous entoure. Elle me demande de revenir, ce n’est pas la première fois qu’elle le fait. Je sens à sa voix, presque inanimée, qu’elle me le demande sans grand espoir. Si j’avais voulu, certes, je serais déjà revenu. Mais tout n’était pas perdu, je me laissais le temps de réfléchir, et c’est pourquoi je la rencontrais aujourd’hui. Mon cœur balançait, sévèrement, imbibé de souffrance mais à la fois d’amour. Je lève les yeux, et la regarde sans rien dire. Je suis décidément muet comme une carpe. Je crois que si j’avais dû parler, je me serai exprimé d’une voix faible et tremblante. Alors je préférais me taire, et puis encore une fois je ne savais que dire. Partagé, je ne pouvais lui répondre de manière tranchée. Je ne voulais pas lui laisser trop d’espoirs, mais je ne voulais pas plus l’achever. Je ne savais pas ce que moi-même je désirais. J’observais sa main, posée sur la table malgré le regard baissé qu’elle offrait, et ne pouvais m’empêcher de laisser glisser la mienne le long de la table. Presque arrivé à la hauteur de sa paume, j’étais tenté de la saisir, mais j’enlevai rapidement la mienne, la posant sur mon front et mon coude sur la table, comme pour faire oublier à Charlotte ce que je venais faire, ce qui représentait exactement ce que je ne devais pas faire à mon avis.

Je ne sais plus si j’ai envie de sourire, de rire, de pleurer, de hurler. En fait, je me rends compte que j’ai envie de tout ça à la fois. Je ne m’en étais jamais autant voulu que ce soir : je m’en voulais d’avoir rompu avec Eliott. D’accord, ce que j’avais vécu avec Elia était très beau, je ne regrettais pas le mois que j’avais passé avec lui, mais nous n’étions pas fait pour être ensemble, nous n’avions rien a faire ensemble sur le long terme. Trop en conflit.
De tous les mecs avec qui j’avais pu sortir dans ma vie, Eliott était le seul qui avait réussi à me canaliser. J’avais avancé avec lui, j’avais grandi. Je ne voulais pas que tout ça s’arrête. Perdre Eliott… Je ne pouvais pas y penser. Je ne savais pas si je serais capable d’avancer sans lui. Je m’en rendais compte aujourd’hui, que je ne l’avais plus à mes cotés.
C’est différent de notre dernière rupture, je ne saurais pas dire pourquoi, mais c’est différent. Peut-être parce que la dernière fois, nous savions tous les deux que nous allions nous remettre ensemble, parce qu’on avait su rester en bons termes. Aujourd’hui, il n’y a rien de tout ça entre nous. Je sais que je l’ai perdu. Et je pourrais faire tous les efforts que je veux… ça ne changera rien au fait que mon instabilité et moi nous lui faisons peur. Quelle conne….
J’étais sur le point de me marier, j’étais prête à changer d’avis et avoir enfin envie d’avoir une famille, parce que j’avais trouvé celui avec qui je voulais tout ça ; et j’avais tout foutu en l’air, pour quoi ? Pour une aventure d’un mois avec un mec qui m’avait trompé au bout de quelques jours et qui venait de toute façon de se tirer (à cause moi, certes) en Autriche à l’autre bout de la Terre.
Le tableau n’était pas beau à voir et le résultat était pire : j’étais pitoyable et j’étais de toute façon dans un état pitoyable, quelque soit les efforts que je tentais de faire… J’essayais de me dire que j’allais oublier Eliott, et que j’allais bien finir par tourner la page. Mais c’était impossible, tout me ramenais irrévocablement à lui… Parce que c’était lui que je voulais. Il le savait aussi bien que moi, je lui avais dit à maintes reprises.
Et je venais de lui redire, une nouvelle fois… Au moment où je relève la tête, je vois la main d’Eliott qui s’eloigne de la mienne. Mes yeux se perdent quelques secondes sur sa main, qui a failli toucher la mienne. Mon cœur bat à mille à l’heure. Je pince mes lèvres, avant de pleurer, dernier espoir… Je secoue la tête. Je bois mon verre d’un coup et attrape mon sac à mes pieds. « C’était pas une bonne idée, je peux pas… » Je me lève et le regarde une dernière fois les yeux brillants. « Je suis désolée, j’y arrive pas… Etre là, comme ça avec toi, j’y arrive pas… » J’essuie ma joue et je tourne les talons. Je ne lui dis même pas au revoir, ma gorge est trop nouée pour que je dise quoi que ce soit.

La manœuvre que j’avais tenté d’effectuer pour dissimuler ce geste malencontreux et déplacé semblait ne pas avoir fonctionné. Je l’avais vu relever légèrement son regard pour poser ses yeux sur ma main et la sienne, je savais qu’elle avait vu. Et c’était peut-être même ça qui m’a fait faire marche arrière. C’était comme si je n’avais plus été maître de moi-même le temps d’une minute et que le regard de Charlotte, curieux et rempli d’espoir, m’avait rappelé à l’ordre et ramené sur Terre. Je déglutis difficilement, fuyais son regard, et finissais par prendre une nouvelle gorgée de ma bière. Tout cela se déroulait sans bruit, comme d’habitude. Mais la vision de douloureux sanglots flottant sur le visage de Charlotte semblait briser ce silence, comme si une tempête s’abattait sur moi. Je la faisais pleurer, je faisais pleurer celle que j’aimais, et même si elle m’avait fait souffrir je ne voulais pas lui rendre la pareille. Je pensais que j’aurais le temps de lui dire une douce parole, histoire de l’apaiser, mais elle but son verre d’une traite, et se leva d’un bond. Le bruit de sa voix tremblante perçait le silence qui nous entourait. Elle me regardait, les yeux emplis de larmes, et m’annonçait qu’elle allait partir, qu’elle ne pouvait pas rester comme ça face à moi. A peine ces mots furent dits, elle commença à tourner les talons. Un vent de panique m’emporta subitement. Je fouillais dans mes poches, à la recherche d’un billet pour payer la note. Je le posais sur la table, sans faire attention à sa valeur, et appelais Charlotte par son prénom pour qu’elle fasse demi-tour et qu’elle revienne à moi. Pas de réponse, elle traçait sa route. Je la poursuivis hors du bar, d’abord pressant le pas puis me mettant à courir derrière elle, tout en continuant de l’appeler par son prénom. Elle ne pouvait pas partir, elle ne pouvait pas me laisser derrière moi encore une fois, elle ne pouvait pas me tourner le dos alors que j’essayais de faire des efforts, aussi minces soient-ils. J’arrivais enfin à la rattraper, doucement mais sûrement. A ce moment, je crois que je ne savais plus ce que je faisais. Je l’attrapais par la taille, la posais contre le mur en brique sur notre gauche et l’embrassais amoureusement. Oui, je crois qu’à ce moment je ne savais plus ce que je faisais. Lorsque notre baiser s’achevait, je la regardais, confus, et reculais. « Je... Je… C’était pas une bonne idée, désolé. » Je continuais de reculer, heurtais une jeune dame qui grommela quelque chose d’inaudible et commença à prendre la fuite.

Il fallait que je sorte le plus vite possible de ce bar. Soudain, je suis en train d’étouffer. J’ai l’impression que l’air ne rentre plus de mes poumons. Un blocage se fait dès que j’essaie de respirer correctement. Je suis à bout de souffle. Je sors précipitamment, en évitant la voix d’Eliott derrière moi. Il n’a pas parlé depuis tout à l’heure et soudain il retrouve la parole…
Je sors et l’air frais de la soirée rentre enfin dans mes poumons, je reprends ma marche rapide, peu importe où je vais, je ne suis même pas certaine d’aller en direction de chez Easton. Rien à foutre. Il fallait que je parte.
J’avais presque envie de marcher jusqu’au port, même si ce n’était pas la porte à coté, qu’on était le soir et que ce n’était pas le meilleur endroit où trainer toute seule. Il fallait que je m’éloigne le plus possible. Le plus possible de quoi ? D’Eliott ? Non, je ne pouvais pas le fuir, pas indéfiniment, j’avais déjà essayé de me couper de lui, mais je n’avais jamais réussi même en sortant avec un autre. A chaque fois j’avais besoin de retourner vers lui, j’avais besoin qu’il se souvienne que j’existais. Dans le doute qu’il arrive véritablement à oublier.
Je continue ma course folle, ignorant toujours la voix d’Eliott derrière moi, dans les rues. Eliott me suit ? Je commence à ralentir pour analyser si je suis en train de rêver ou non. Mais avant que j’arrive à faire quoi que ce soit, je sens les mains d’Eliott se poser sur mes hanches en même temps qu’il me plaque contre le mur. Je reste interdite, surprise de la situation. Et puis…
Sans que je m’y attende, Eliott m’embrasse. Je ferme les yeux et laisse mes bras ballants le long de mon corps. Mon cœur bat tellement fort que j’ai peur qu’il explose, au sens propre. Mes mains tremblent, mes jambes commencent à me lâcher. J’ai l’impression que le temps s’arrête. Je voudrais que cet instant continue toujours, j’ai tellement… Il m’a tellement manqué… Il m’embrasse et j’ai l’impression que ce n’est pas arrivé depuis des milliards d’années et c’était un peu ça, en vrai. Eliott se décolle de moi et je le regarde, abasourdie, perdue… Il recule. Reste… « Je... Je… C’était pas une bonne idée, désolé. » Il s’éloigne, non sans renverser quelqu’un au passage. Je le regarde partir, des larmes coulent sur mes joues, mais je m’en fous. Eliott vient de m’embrasser. J’ai l’espoir que ce n’était pas totalement involontaire de sa part. « Votre copain… Il aurait pu s’excuser, avant de s’enfuir comme un voleur. » Cette voix me ramène à la réalité, la femme qu’a bousculé Eliott se tient devant moi. « C’est plus mon copain… » Sans attendre de réponse, je repars à la recherche d’Eliott qui a tourné au coin de la rue. Il est juste devant moi. « Pourquoi tu fais ça ? Tu… tu passes ton temps à me repousser, alors que j’arrête pas d’essayer de faire en sorte que tu m’oublies pas. Tu me donnes rendez-vous ce soir et tu parles pas… Et puis… tu m’embrasses, comme si… comme si t’en avais vraiment envie… » je m’écris, pour qu’il m’entende de là où il est.

Quel crétin, mais quel crétin tu fais Eliott ! Qu’est-ce qui t’as pris de faire ça ? Me répète ma conscience. Je ne saurai répondre à cette question, je ne sais pas ce qui m’a pris. J’aime encore Charlotte, jusqu’au plus profond de moi-même, et je n’en avais jamais douté. C’était comme naturel, c’était comme inscrit dans mes gênes. Elle s’était incrustée en moi, au plus profond de moi-même et parcourait chacune des cellules de mon corps. Charlotte me manquait tellement. Nous vivions dans un certain train-train, une certaine routine, mais au moins je me sentais bien. Je me sentais fier d’avoir une copine fidèle, je me sentais fier d’avoir pu construire ma vie et de renverser la tendance qui m’avait poursuivi pendant toute mon enfance. La perdre, c’était comme perdre ma carapace. Je retombais dans mon antérieure souffrance et devenait littéralement vulnérable. N’importe qui pouvait m’influencer, ma raison n’avait presque plus d’impact sur mes actes, je faisais n’importe quoi sur n’importe quoi. Je désirais Charlotte, plus que je n’avais jamais désiré rien ni personne d’autre. Mon amour était encore vivant, même si notre relation semblait s’achever. Je rêvais d’un amour semblable, je rêvais de tout recommencer de zéro, que tout aille pour le mieux et qu’aucun de nous ne fasse plus jamais de faux pas dans notre couple. Nous avions fait trop d’erreurs, le vase avait débordé. N’était-ce pas justement le moment de le remplir à nouveau ? Je l’embrassais, c’était plus fort que moi. Tout en elle me manquait, et ce baiser était ce dont j’avais besoin, à longueur de temps. J’en avais rêvé, et j’avais laissé mes rêves empiéter sur la réalité. Ce que je venais de faire était mal, alors il fallait que je fuis. Il fallait oublier ce qui venait de se passer, tant de mon côté que du sien. J’avais senti son cœur battre contre le mien, la preuve de son amour me bouleversait. Retourne sur le droit chemin, atterrit. Elle t’a trompé. Je fais demi-tour, tente de m’échapper à toute vitesse. Charlotte ne se presse pas assez pour me rattraper, tant mieux. Cette fois, c’est moi qui fuirai. C’était bien mon dessein, à la base, pourtant le cri de Charlotte me perça le cœur comme si elle m’avait tiré une flèche droit dans le dos. Elle me demandait pourquoi je réagissais ainsi, je stoppai alors mes pas, et restais immobile le temps de quelques secondes avant de me retourner et de la regarder. Je ne savais si c’était de la colère, de la peur, ou je ne sais quel autre sentiment, mais je me mis à crier ceci : « Je t’aime ! JE T’AIME Charlotte, mais tu ne comprends pas ce que je ressens ! Je suis complètement tiraillé. Je rêve de revivre notre amour, mais j’ai plus confiance, t’es parti avec Elia et depuis je n’ai plus foi en toi. Je t’aime toujours, mais je suis en miette. Je suis une ruine, tu comprends ? Une ruine doit être reconstruite avant d’être en état d’être contemplée et aimée. Tu comprends ? C’est toi qui m’as jeté une bombe, si j’ai éclaté c’est de ta faute. Je ne veux pas revivre ça. »

Je n'arrivais plus à faire la part des choses. Ce qui était bien et ce qui ne l'était pas. Eliott venait de m'embrasser. Je ne lui avais rien demandé et pourtant il l'avait fait. Je ne pouvais pas cacher la satisfaction que ce baiser m'avait procuré. Pourtour celle-ci était enfouie derrière la peur, derrière l'errance dans laquelle j'étais. Incapable de savoir quoi faire désormais.  
J'avais suivi Eliott. Je n'imaginais pas que la situation puisse rester bloquer de cette façon. J'aime Eliott. Plus que n'importe qui ; il avait toujours été là pour moi dès que j'avais eu besoin de quelqu'un. Et moi ? Moi je n'avais pas été là. Je l'avais abandonné après son agression, ça restait un de mes plus grands regrets. C'était comme si chaque événement inscrit dans notre histoire mutuelle, ne cessait de me dire que je ne méritais Eliott. Je ne méritais pas son amour parce que je n'avais jamais réussi à en être digne. Pourtant égoïstement, je voulais toujours de son amour, je voulais toujours qu'il me soit dédié, je voulais toujours savoir qu'Eliott était à moi. 
J'aurais donné n'importe quoi pour que ça arrive, n'importe quoi pour qu'il me donne une dernière chance, pour qu'il comprenne que j'en serai digne…
Je ne vivais plus que dans l'espoir qu'Eliott veuille encore de moi. Et forcément ça m'empêchait de dormir…
Eliott se tourne vers moi, un mélange indescriptible dans les yeux. « Je t’aime ! JE T’AIME Charlotte, mais tu ne comprends pas ce que je ressens ! Je suis complètement tiraillé. Je rêve de revivre notre amour, mais j’ai plus confiance, t’es parti avec Elia et depuis je n’ai plus foi en toi. Je t’aime toujours, mais je suis en miette. Je suis une ruine, tu comprends ? Une ruine doit être reconstruite avant d’être en état d’être contemplée et aimée. Tu comprends ? C’est toi qui m’as jeté une bombe, si j’ai éclaté c’est de ta faute. Je ne veux pas revivre ça. »
Je fronce les sourcils pendant que ma bouche est déformée par une grimace qui avait pour but de retenir une nouvelle salve de larmes… Je me rapproche de lui, doucement. « Crois-moi, je t'en supplie. Je sais que tu me détestes pour ce que je t'ai fait mais… je te le jure, je te le jure droit dans les yeux : je te ferai plus jamais de mal. » Un petit silence s'installa. « J'ai… besoin de toi, je suis rien sans toi. Et je sais que je t'ai blessé, mais plutôt crever que de te refaire vivre ça. J'ai pas été là pour toi, et je m'excuse. Mais je suis plus cette fille là, laisse moi une chance de te le prouver… » 
J'aurais voulu dire « je t'aime » mais après tout ce que je venais de dire, ça me paraissait assez évident.

Mais qu’est-ce que tu racontes Eliott ? Qu’est-ce qui te prend ? Toi qui étais si muet, tu deviens l’homme qui jette tous ses sentiments en l’air en l’espace de dix secondes. Tu aurais mieux fait de te taire ton petit, tu as l’air tellement ridicule maintenant. La scène ressemblait à un show américain, à un tournage de film à l’eau de rose presque. Le scénario était parfait, une dispute sentimentale menant à de longs questionnements et à de belles tirades emplies de tristesse, de souffrance et d’amour. Tu as l’air à la fois ridicule et pathétique mon petit Eliott, un vrai gosse.

Je reste immobile, j’ai l’impression d’être devenu une statue de glace. Je ne sais pas par quelle force tous ces mots, que je m’étais efforcé de garder au plus profond de moi-même, étaient sortis après ces longs jours de silence. Le vent me fait frissonner dans l’atmosphère de San Francisco, à moins que ce soit cette scène qui me rend malade. Je la vois se rapprocher de moi, d’un pas tranquille, après que je lui ai lâché tout ce que j’avais sur le cœur en ce qui la concernait. Ma conscience lui demandait de s’éloigner, de ne pas s’approcher de moi. C’était presque un supplice. Je ne bougeais cependant pas, et l’écoutais parler attentivement. Elle ne m’apprenait rien de nouveau, mais l’entendre dire en face à face ce qu’elle m’avait dit par ordinateur donnait plus de sens à ses propos. Je ressentais tous ses sentiments à travers sa voix, je pouvais presque lire dans ses pensées, torturées, et c’est à ce moment que je me sentais le plus craquer. Je savais que je ne pourrai pas rester indéfiniment dans cet état d’esprit. Je ne pouvais pas fuir jusqu’à la fin de ma vie, sans avoir posé les points sur les i. Pourtant, Charlotte avait un certain don pour me déstabiliser. Et je savais qu’en la regardant, en la regardant si malheureuse, en voyant ses yeux emplis à la fois d’amour et de tristesse, je savais que la balance pencherait en sa faveur. Non que je ne veuille pas me remettre avec elle, mais si j’avais besoin d’une chose c’était de calme et de temps pour prendre ma décision. Je n’étais pas objectif en sa présence, du moins pas en ces circonstances. Un petit tour de charme, et tout était dans sa poche. Mais ça ne marchera pas comme ça cette fois. Je devais prendre sur moi. Je lui esquissais un petit sourire, pas spécialement tendre mais plutôt visant à la rassurer, et lui murmurais calmement ces mots : « Charlotte, j’ai besoin de temps. Ce que je te dis, ne m’engage à rien. J’ai encore des sentiments, mais je dois réfléchir à ce que je fais, je dois me poser et voir si notre relation vaut bien le coup, si tu ne me trahiras pas à nouveau, même si tu jures que non. Je ne peux pas le savoir à l’avance, mais je veux être sûr de moi. Alors… laisse-moi du temps. » Je gardais la même expression, et m’avançais pour l’embrasser, sur la joue cette fois, en gage de tendresse. « A bientôt Charlotte » lui dis-je en tournant les talons, appliquant à la lettre ce que je venais de lui dire. Je ne pus m’empêcher de me retourner une dernière fois avant de m’éloigner hors de vue de Charlotte. Je l’aimais, à en crever, et tout cela venait de me percer les yeux, c’était certain maintenant. La décision n’était plus qu’à prendre, les cartes sont entre mes mains.