«
Qui es-tu? » lance-t-elle en baissant la tête vers moi. Je souris à la brune qui venait d’ouvrir la porte d’entrée de son appartement, et qui me détaille du haut en bas de mes quatorze ans. «
La fille de votre mari, madame Williams. » Elle me regarde, sans savoir si elle doit rire ou pleurer. Tu peux commencer à pleurer, chérie. «
Tucker, tu peux venir, s’il te plait. » Un homme arrive et regarde sa femme avant de me regarder moi. Il fait plusieurs allers-retours comme ça, façon ping-pong. «
Qui c’est ? » «
Je suis Ruslana. La fille d’Irina. Vous vous souvenez d’Irina… ? » je souffle. Bien sur qu’il se souvient d’Irina… Je souris, pendant que son visage prend une teinte « Doliprane ». Quand il s’agit de foutre la merde, on est jamais assez bien servi que par soi-même, même à quatorze ans.
Si vous me cherchez, à ce moment là, je suis dans le Queens (à New York, pour les incultes). Devant la porte d’entrée de Tucker Williams. Tucker Williams à une époque où sa femme la dégoutait particulièrement (elle était enceinte jusqu’aux dents, la pauvre) avait décidé d’aller se balader dans les rues du Bronx. Et c’est là qu’il est tombé sur Irina Ivanov. Loin d’être une rencontre pleine d’amour et de coup de foudre, ce fut juste un coup comme ça. Les cheveux blonds et la pâleur de cette petite prostituée à visiblement plus à monsieur Williams. Mais il avait du mal à admettre qu’il avait couché avec une prostituée. Parce que si Tucker Williams vivait dans le Queens, ce n’était pas parce qu’il n’avait pas les moyens de vivre sur Park Avenue, mais plutôt par esprit de contradiction ; comme commencer une liaison avec une prostituée russe, par exemple… C’est un trait de caractère dont j’ai vraisemblablement hérité. Bref, après quelques mois de relations secrète avec sa petite pute russe, voila que la pauvre enfant tombe enceinte. En bon prince charmant, Tucker s’est tiré, pour retrouver ses pénates avec sa femme qui avait finalement décidé d’accoucher.
C’est à partir de là que j’arrive, et soyons honnêtes, que l’histoire devient intéressante. Une petite blondinette, appelée Ruslana Faith Ivanov entre les pattes, Irina n’avait pas vraiment décidé d’arrêter de faire le trottoir, de toute façon, elle n’a pas un rond, alors elle n’a pas vraiment le choix. Le soir, quand elle part travailler, elle me laisser à sa colocataire, une espèce de junkie hispanique qui en à après la terre entière, elle s’appelle Francesca. C’est elle qui me racontera qui est mon père, quel connard il est et comment il a abandonné ma mère enceinte.
Je me contente de vivre ma vie, quand ma mère n’est pas là et que Francesca est suffisamment défoncée pour ne pas se rendre compte de mon absence, je sors dans le couloir de l’immeuble. C’est une espèce de squatt dans lequel des enfants viennent jouer par temps de pluie. Dans la bande, il y a Duncan, un garçon qui vit en fait dans l’appartement joint à celui de Francesca et ma mère. Je ne sais pas avec qui il vit et à vrai dire je m’en fous. Le matin je pars à l’école avec Duncan, le soir, je rentre avec lui. Et quand je fui l’appartement, c’est pour aller trainer avec lui, dans les rues. Il m’appelle sa « princesse blonde » et moi je souris.
Tout va plutôt bien, jusqu’à mes quatorze ans. Un soir en rentrant de l’école, je tombe sur Francesca assise dans les escaliers de l’immeuble, elle est défoncée, mais j’ai l’habitude. Ce que j’ai moins l’habitude de voir, c’est ses yeux, entourés de noir, avec son mascara qui a coulé parce qu’elle a trop pleuré. Je m’assois à coté d’elle et elle écrase mon visage contre ses seins. Qu’est-ce qu’il y a ? «
Ma pauvre Rus ! Mon pauvre bébé… » Je suis complètement larguée. En fait, ma mère vient de mourir. Sans que je m’en rende compte avec mes yeux d’enfant, l’état de ma mère s’était aggravé depuis plusieurs mois, parce qu’à force de faire le trottoir, elle était devenue séropositive, les excès n’aidant pas, elle s’était retrouvée à bout de force et en trois ans seulement, le sida l’avait emporté. Je crois que Francesca voulait me garder avec moi. Mais Duncan m’avait dit «
Pourquoi tu vas pas voir ton père ? » Et c’est ce que j’avais fait. La haine au cœur : c’était à cause de lui que ma mère avait continué à se prostituer et qu’elle était morte. L’innocence de l’enfance avait disparu.
C’est comme ça que je m’étais retrouvée à quatorze ans dans le Queens, en train de me présenter à la femme de Tucker Williams. Il me fait rentrer puis m’asseoir dans un canapé, avant de s’enfermer avec sa femme dans une autre pièce. Je parcours la pièce, dans un porte monnaie qui traine là, je vole trois billets de 10$ c’est toujours ça de pris. Ils reviennent, Tucker n’a pas mis long à expliquer qui j’étais à sa femme, je le soupçonne d’avoir menti. Mais je m’en fous en fait. J’ai une toute autre idée en tête. «
Alors… Ruslana, c’est ça ? Dis-moi… où est ta mère ? » il lance, pendant que sa femme fait semblant d’être occupée ailleurs. «
Elle est morte. J’ai plus personne. Vous devez m’adopter, j’ai regardé, vous ne pouvez pas me laisser à la rue, je suis prête à faire tous les examens du monde qui prouveront que je suis votre fille et que… » «
Woh, calme-toi. Dis moi clairement ce que tu veux, petite. » «
Que vous arrêtiez de m’appeler petite déjà : je vis dans un squatt, avec une fille la plus droguée de tout le pays, qui m’a offert de l’héroïne pour mes douze ans parce que c’est tout ce qu’elle avait dans les poches ; je vois défiler des mecs, des nanas, des junkies et autre depuis que je suis née, alors je suis loin… très loin d’être « petite ». Ensuite, je veux que vous m’adoptiez. Attendez, par là je veux pas dire que je veux vivre avec vous, nous j’en ai rien à faire, pour moi, vous êtes rien et vous ne serez jamais rien. Non, je veux juste votre nom et de l’argent, tous les mois pour que je puisse vivre. » «
Tu crois qu’une gamine de quatorze ans peut être autorisée à vivre seule ? » «
Légalement, non. Mais j’ai jamais dit que tout ça devait être légal. Soyons lucide, vous ne voulez pas de moi, vous êtes prêt à tout pour que je sorte de votre vie, surtout Susan Mayer là-bas. » je dis en glissant mon regard vers la brune. Je veux changer de nom, (j’aurais bien changé de prénom aussi, mais on peut pas tout avoir) je ne vois pas pourquoi je garderai le nom russe de ma mère alors que j’ai jamais foutu un pied en Russie et que je n’ai pas l’intention de le faire. Mon père s’appelle Williams, comme probablement 1/10 des habitants des Etats-Unis, mais je ne veux pas être unique, je veux être reconnue par mon père un minimum et avoir un peu d’argent.
Après presqu’une après-midi de négociations, les Williams finissent par accepter. Quelques semaines plus tard, je reçois mes nouveaux papiers : Ruslana Faith Ivanov-Williams. Alors que je quitte une nouvelle fois l’appartement de mon père, il me glisse à l’oreille, discrétement pour que sa femme ne l’entende pas. «
Tu fais ce que tu veux, Ruslana. Mais ta mère n’a jamais vécue en Russie, elle m’avait racontée qu’elle était arrivée à San Francisco, avec sa mère et qu’elle s’était enfuie pour New York à ses seize ans. Lubna Ivanov… tu ne devrais pas avoir trop de mal à la trouver, si elle est toujours en vie… » Et il ferme la porte.
Un an à cogiter là-dessus. Lubna Ivanov ne me quitte jamais. Et puis un jour, j’ai seize ans, et je décide de faire le même chemin que ma mère, mais dans l’autre sens. Je salue Francesca, qui de toute façon ne se rendra pas compte que je ne suis plus là. J’abandonne Duncan, renommé par « le meilleur plan cul du Bronx » par mes soins et je me tire à San Francisco. Je ne sais pas à quoi je m’attends en arrivant en Californie, à ce que ma grand-mère se balade avec un écriteau disant «
c’est moi Lubna Ivanov ! » Sans doute. Je mets près d’un mois à la trouver. Le même temps ) la convaincre que je suis bien la fille de sa fille. Alors que franchement, elle est stupide ou quoi ? Sur les photos on se ressemble comme deux gouttes d’eaux.
Elle m’accueille chez elle, tellement heureuse de m’avoir qu’elle ne me refuse rien. De toute façon, elle ne parle pas un mot d’américain, j’ai quartier libre. Alors je commence à sortir. A trainer dans les rues, comme je l’avais toujours fait, d’ailleurs. Rapidement, ma gueule d’ange attire les dealers les plus intelligents : qui viendrait se méfier d’une petite blondinette ?
Et puis, gravir les échelons et devenir une des meilleures dealeuse de San Francisco. Je ne sais rien faire de toute façon, alors. Sans pitié et sans morale, je n’ai aucune attache aucune raison de vouloir une jolie vie. Ma vie me va très bien comme ça. Dealeuse, aguicheuse, séductrice ; voila les seules choses qui me qualifient aujourd’hui.
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