C'est bon, après la soirée d'hier, il ne pouvait rien arriver de pire, je pense. J'avais une certaine contenance vis-à-vis de mes sentiments, mais là c'était trop pour moi, j'avais totalement craqué. Premièrement d'incompréhension, deuxièmement parce je me dégoûtais moi-même depuis quelques temps... temps que j'utilisais principalement pour m'excuser pour tout et n'importe quoi. Bien sûr que je détruisais tout et tout le monde. Bien sûr... je suis conscient de ça, c'est ce qu'on m'a éduqué depuis que je suis gamin et que Sonic a essayé de me faire oublier. Trop tard.

Après avoir quitté facebook hier soir, je suis sorti de ma chambre avant de déserter l'appartement de Keenan purement et simplement avec pour seuls bagages une veste et un carnet. Destination? Est-ce que j'en avais seulement une? Oui, Hayes Valley. Après le passage de la tempête, l'immeuble flambant neuf que je partageais avec Andrew à l'époque était rendu insaulubre. Inondations, dégâts matériels... ça coûtait trop cher de tout réparer, alors le propriétaire avait préféré laisser le bâtiment à l'abandon, ce qui m'arrangeait pas mal aujourd'hui.

Une fois après m'être rendu au dernier étage, j'ai dû forcer un peu pour ouvrir la porte du vieil appartement et y entrer par la suite. Il ne faisait pas spécialement chaud, ni spécialement froid, mais après être resté quelques instants immobile dans l'entrée, j'ai commencé à me sentir mal. Mon premier réflexe était de baisser les yeux pour guetter l'arrivée d'Oskar, mais il ne se passa rien. Là-dedans, il n'y avait plus rien. Le salon était vide, la cuisine et la chambre également. Il y avait des débris dans la pièce principale, et l'ambiance aurait donné envie à n'importe qui de faire demi-tour pour aller retrouver son lit chaud, mais moi j'ai pénétré dans le deux pièces comme si c'était le seul endroit où j'avais envie de me trouver en ce moment. Il me fallut approximativement une dizaine de minutes pour faire le tour en m'arrêtant devant chaque porte, en finissant par la chambre à coucher. Contrairement aux autres pièces, je fus incapable d'entrer dedans tout de suite... je ne sais pas combien de temps j'ai passé debout sans bouger en regardant simplement à l'intérieur sans y voir quoi que ce soit. Non, je voyais rien, et pourtant ça ne m'a pas empêché de fondre en larmes et de tomber assit après quelques minutes. Je ne m'attendais pas plus que vous à réagir comme ça, mais il faut préciser que tous les souvenirs possibles et imaginables me sont tombés dessus d'un seul coup. J'étais chez nous, mais nous, on n'était plus là depuis longtemps... et dieu sait à quel point c'était douloureux de tout revivre maintenant.

Une fois calmé, je me suis laissé aller sur le côté avant de poser la tête au sol et de fermer les yeux. Ouais, j'faisais sûrement pitié et je m'en foutais, personne ne pouvait me voir. Je n'avais pas d'alcool ou de drogue pour diminuer mon mal être, et je n'en voulais pas. Quitte à avoir mal, autant avoir vraiment mal. C'est dans cet état-ci que j'ai sorti mon carnet d'une poche pour y écrire les premières choses qui me venaient à l'esprit. Je crois que de toute ma vie, je n'avais jamais vu aussi noir que cette nuit-là, et c'est de fatigue que j'ai fini par m'endormir après une demi-heure seulement. Oh, quand je me suis réveillé j'ai pas trop compris ce qui se passait. Un rayon de soleil à la gueule et voila, dix minutes plus tard je me suis remis à pleurer. Je ne voulais pas être faible ou quoi que ce soit, je ne l'avais jamais été, ce n'était pas dans ma nature. Pourtant, là il n'y avait rien à faire. Sauf peut-être boire un café, j'avais envie d'un café... mais j'avais aussi trop la flemme de me lever. Il était approximativement onze heures du matin, je ne pouvais pas rester comme ça, et puis les gens allaient commencer à me chercher sinon. Dieu sait combien ils avaient été à me demander de ne pas faire de "bêtises". Bien sûr que non je vais pas faire de bêtises, je suis pas comme ça, mon instinct de survie est bien trop développé pour que je me blesse volontairement. Je fais juste ma princesse, parce que dans le fond, putain, oui j'en suis une et je l'assume. Je veux qu'on me dise qu'on m'aime, que c'est pour toujours, qu'on s'occupe de moi, qu'on ne me laisse pas seul, qu'on m'écoute plus qu'on me demande d'écouter, qu'on me dise que tout va bien se passer. Je veux mon petit-ami, je veux revenir en arrière, je veux n'avoir jamais fais de mal à Maël, ne jamais avoir dis de conneries à mon père, ne pas être aussi possessif, ne pas être aussi méchant, ne pas être malade, ne pas être égoïste, ne pas avoir touché à Mary Jude... je voudrais être quelqu'un d'autre, quelqu'un de bien. Je voudrais mon petit-ami.

« OUVRE ROBBYN, MAINTENANT ! »

Ha, alors Dieu existe!?

S'il n'avait pas fracassé la porte à coup de poings, je crois que je n'aurais même pas réagi, mais comme il l'a fait, j'ai redressé la tête puis me suis assis avant de me lever et de me diriger vers l'entrée sans même marquer un temps d'hésitation. Ouais, en fait c'est uniquement quand je me suis trouvé devant la porte que j'ai capté qu'il y avait Andrew derrière. Premier réflexe: remettre mes cheveux en place. Geste carrément déplacé vu la situation, mais j'étais en train de revenir à la réalité après m'en être éloigné de plusieurs miliers de kilomètres durant la nuit, alors il me fallait un peu de temps pour émerger. C'était comme... sortir d'un rêve trop long et trop réaliste. Il fallait que je me réveille. Réveille toi.

J'actionnais la poignée avant de reculer pour laisser la porte s'ouvrir toute seule (un défaut de construction qui m'avait d'ailleurs bien énervé pendant un an parce que la propriétaire ne voulait pas faire de réparations. Conasse). Oui, bref... bonjour réalité, il était juste là face à moi, il fallait que je me reprenne et que j'évite de montrer le niveau de dévastation que MA propre demande de séparation avait entrainé. Je ne pouvais pas m'empêcher de me questionner sur l'authenticité des sentiments de ce gars envers moi, tout le temps depuis quelques semaines, j'avais l'impression de l'aimer plus qu'il m'aimait, et voila où on en est arrivés. En tout cas j'allais pas me démonter plus que ça aujourd'hui, ni pleurer ou quoi. Un léger reniflement me fit remarquer que j'avais déjà les yeux mouillés, en fait.

« Hello! Ça va, en forme? Mec j'ai enfin réussi à passer le level 5 qui nous faisait chier hier, on va pouvoir continuer! T'as faim? En fait y'a plus rien dans le frigo, faudra qu'on fasse les courses tout à l'heure... ah oui, sinon... les réparateurs sont passés tout à l'heure pour le problème du robinet, cette fois c'est bon. Eh, par contre, il faut que je te répète combien de fois de vider le lave-vaisselle quand tu vois que c'est plein? C'toujours à moi de le faire... [...] j'aime bien ton t-shirt, au fait... j'ai fais plein de dessins d'imprimés pour Drop Dead, tu veux voir tout à l'heure? Ça va être super, les gens vont adhérer, j'en suis sûr. D'ailleurs... tu ferais un excellent model pour ça »

Aujourd'hui, ce fut plutôt

« Bonjour Andrew »



Je me suis dépêché de passer ma manche devant le visage pour chasser les larmes.

« C’est quoi ton problème à la fin? »

Je me sentis légèrement décoller du sol pour me retrouver plaqué contre le mur à côté de la porte un peu plus tard. Tiens, ça me rappellait quelque chose, ce comportement. Mon problème? Quel était mon problème? Je m'étais souvent posé la question ces dernières semaines, et tout le monde me l'avait demandé, c'était certainement pas pour rien. Depuis l'incident avec Sonic, j'avais complètement perdu la tête, voila où était mon problème. L'illogisme dont je faisais preuve était quasi-total, et là, face à Andrew, je ne me sentais pas bien du tout. Je ne me suis jamais vraiment senti en sécurité avec lui, je crois. Mais j'aimais bien ça jusqu'à maintenant, c'est ce qui m'attirait chez lui et me faisait en même temps de la peine. Depuis quand est-ce que j'avais peur pour tout et n'importe quoi? Faire preuve de courage ne m'était possible que lorsqu'un sujet ne me concernait pas. Je ne voulais pas perdre ce que j'avais, je ne voulais pas perdre le contrôle, je ne faisais face à rien ni à personne depuis que mon père m'a foutu dehors, et là... j'étais pire que Mary Jude au niveau des coups de pute, car en plus d'agir comme elle, je gardais les choses que je faisais faux pour moi au lieu d'en parler. J'ai toujours été comme ça, à me croire meilleur que les autres alors que je ne jouais franc jeu qu'à 30% du temps.

« T’avais pas l’droit d’faire ça! »

J'avais mal au coeur de le voir se mettre dans un état pareil. C'était de ma faute s'il était aussi triste et énervé, je sais. Mais si, si j'avais le droit, j'ai le droit de tout faire parce que je suis un connard. Et je crois que de nous deux, c'est moi qui ne savait pas ce que je me voulais. La confiance en moi aquise en un an et demi de relation avec lui était en train de s'effondrer à nouveau, et en voyant le coup de poing siffler dans ma direction, j'ai fermé les yeux en tremblant un peu et en étouffant une exclamation. Je n'osais pas lever le regard sur son visage à présent, sa présence m'écrasait totalement, je ne savais pas quoi lui répondre. Quelle était la vérité? Je la connaissais, au fond de moi. Je la connaissais, mais c'était trop difficile d'avouer un truc pareil. Take the blame, pour une fois, Robbyn. Allez, assume au moins un truc dans ta vie, dis lui.

« ... je peux même plus te regarder dans les yeux sans me dire que je t'ai fais trop souffrir pour que ça puisse être pardonnable. Je veux que tu trouves quelqu'un de mieux que moi. »

Toutes ces méchantes choses que je lui avais dites n'avaient pas de réel sens. Et je crois que je n'avais pas supporté l'idée qu'il puisse préférer une fille à moi, parce qu'à côté de ça je ne faisais pas le poids, je ne pouvais pas lui donner tout ce qu'il voulait. Ma possessivité était maladive, elle avait même poussé Evelyn à essayer de se suicider, alors je ne m'étonnais même pas d'avoir réagis de la sorte avec Andrew. Je n'essayais pas de le retenir, je cherchais à l'exclure. Pourquoi? Parce que c'était plus facile.

En une fraction de secondes, le chanel switcha dans mon cerveau et je me remis à pleurer, et cette fois pour une raison toute autre que celles que j'avais eues jusqu'à maintenant. Je me mis à agripper son col en redressant la tête.

« Pourquoi t'es parti? Pourquoi t'es parti?! Pourquoi tu m'as pas contacté plus souvent? Pourquoi tu m'as pas dis quand t'allais mieux? Pourquoi tu m'as pas dis que t'allais revenir?! Tu voulais que je t'attendes combien de temps comme ça? J'étais tellement paumé sans toi, j'ai fais cette connerie parce que tu m'as abandonné! Pourquoi tu m'as abandonné?! J'ai toujours été là pour toi! J'ai arrêté mon job pour toi, j't'ai toujours fais passer avant les autres... pourquoi tu m'as abandonné?! »

On n'était plus ensemble à l'époque où Andrew est parti de la ville... mais je me suis senti trahi par son geste, alors j'ai voulu me venger de cet "abandon". Dans ma tête, il ne voulait plus de moi, il voulait changer de vie, il ne m'aimait pas. Est-ce que c'était si difficile de comprendre que j'avais vécus l'enfer sans lui?

Je me suis calmé et l'ai finalement relâché en silence. Je n'avais pas envie de me démener pour le retenir alors qu'il était parti du jour au lendemain et ne m'avait rien dit pendant de longues semaines sans fin, alors qu'il m'avait laissé avec cette appartement à vider seul et une vie que j'ai eu du mal à poursuivre. Il ne s'est pas excusé pour cette absence, j'en gardais un arrière-goût amère, mais je l'aimais trop pour lui dire "non" à quoi que ce soit, et même Yuri, j'aurais pu le laisser pourrir pour les beaux yeux d'Andrew. Il ne m'avait jamais fait de remarques à ce sujet, d'ailleurs. C'est parce qu'il me faisait confiance? C'était trop beau pour être vrai, sa possessivité l'aurait fait réagir en temps normal... mais non, je n'étais même pas parvenu à attirer son attention avec ça. Ouais, en fait Yuri avait raison, je l'utilisais, en quelques sortes, comme un moyen d'attiser l'intérêt de Danny. Mais il ne s'était rien passé, et je ne savais pas comment interpréter ce manque d'attention. Alors oui, il était énervé aujourd'hui et il souffrait... mais c'était la conséquence de tout un tas de choses. Mes erreurs, ses erreurs, et surtout le manque d'efforts de la part de tous les deux. Mais je ne voulais personne d'autre, moi, je le voulais LUI, même si ça devenait de plus en plus impossible et de plus en plus illogique. Les sentiments n'ont pas de logique, et personne ne pourra jamais remplacer ce mec.

« C'est pas toi qui a changé, en fait... c'est moi. T'as bien vu que j'ai peur de tout maintenant, je suis plus le type que t'as connu. J'ai pas envie de me battre pour toi, parce que tu le fais pas pour moi. Je t'aime... mais ça suffit plus. »