[fuu, c'est long --']

J'avais décidé de rentrer à la maison ce soir, enfin. Il faut dire que rester loin de ma soeur était plus difficile que je voulais bien me l'avouer... d'abord parce qu'elle avait besoin de moi, et ensuite parce que malgré tout ce que je disais, j'avais besoin d'elle aussi. Je ne sais pas exactement ce qui m'avait poussé à revenir à l'appartement aujourd'hui, mais quoi qu'on en dise, si on m'avait posé la question, j'aurais répondu qu'il s'agissait du destin. Bref... j'étais sur le chemin de retour lorsqu'une silhouette attira vaguement mon attention au bout de la rue. Je balayai le type du regard sans faire trop attention, et ce jusqu'à me rendre compte que je connaissais la veste qu'il portait, tout comme sa manière de se tenir.

...ce gars

Mon corps tout entier se figea presque aussitôt alors que je n'avais même pas eu affaire directement au personnage qui s'en allait du quartier en ce moment. Sans que je puisse faire quoi que ce soit, un sentiment d'insécurité me prit aux tripes et me cloua sur place. Je ressentais de la peur. Sincèrement. Une peur à l'état pur, instinctive, celle qui se passait entre deux animaux à des niveaux différents de la chaine alimentaire. Et j'étais la proie. Mattéo. Mattéo... Mattéo m'avait tué, et aujourd'hui encore, je ne vis plus qu'à moitié.

Il me fallut une minute avant de pouvoir me remettre à bouger pour rentrer dans l'immeuble et monter les escaliers. Ce que je vis alors dans le couloir me donna envie de vomir. Du sang, beaucoup de sang, trop de sang. Ma tête se mit à tourner mais je finis de monter jusqu'au palier où se trouvait ma sœur. C'était un cauchemar, ça ne pouvait être qu'un cauchemar.

Je m'accroupis à côté d'Ange et tentais de lui redresser la tête en contenant difficilement ma propre panique.

▬ Dem... je suis là, ça va aller... tiens le coup. Essaye de bouger tes bras et tes jambes.

Bon sang, mais comment elle trouvait le moyen de me sourire dans une situation pareille? Je ne savais absolument pas quoi faire, et pire que ça, j'étais presque incapable de bouger en raison des sons qui se mettaient à résonner dans ma tête. Des coups de feu, des cris, quelques derniers mots prononcés par ma mère avant de décéder. Bordel, j'avais tout vu...

▬ Non, il est parti avec sa voiture.

Je redressai le regard et sentis tout l'immeuble se mettre à tourner autour de moi. Je me sentais tellement mal que ma vision se brouilla totalement. Et puis j'avais terriblement chaud. Mais ma main ne lâcha pas celle d'Ange, et en désespoir de cause, ma voix s'éleva dans le hall et résonna dans tout le bâtiment pour demander l'aide de quelqu'un. Puis, je me repenchai sur la jeune femme en serrant un peu plus fort sa main.

▬ ça va aller... quelqu'un va venir... tu vas voir... tiens le coup

Heureusement pour nous, ce quelqu'un arriva rapidement. Il s'agissait du voisin infirmier du dessus qui sortait de chez lui pour voir ce qui se passait et fut à côté de nous sans que je l'ait vu arriver. À partir de là, ma mémoire me fis défaut. Tout ce que je sais, c'est que je n'ai pas réussi à placer le moindre mot et que le mec a appelé sa copine pour qu'elle lui refile le matériel dont il avait besoin pour stopper l'hémorragie de ma sœur.

Après avoir refermé la porte, je partis dans le salon pour rejoindre Ange qui venait d'éclater en sanglots. J'aurais voulu dire quelque chose pour la rassurer, n'importe quoi, ou alors un truc un peu piquant comme j'en avais l'habitude, mais rien ne sortis. Je me passai une main tâchée du sang de ma soeur sur le visage en essayant de soupirer sans y parvenir, puis me laissai tomber au pied du canapé en fixant le sol devant moi. C'est uniquement là que je me permis de respirer un bon coup. Actuellement, je me sentais tout aussi impuissant qu'Angie. J'avais l'impression de revenir quelques années en arrière, mais l'envie de pleurer ne vint pas. Je me contentais d'essayer de calmer mes halètements dus à l'effroi. Nous n'étions pas en sécurité. Il sait où nous vivons, il sait certainement où ma sœur travaille, et s'est peut-être renseigné sur ses horaires. Horreur.

Je tournai mes yeux grands ouverts d'angoisse vers mon aînée, puis grimpai sur le canapé pour m'asseoir à côté d'elle et passer un bras autour de ses épaules pour la tirer vers moi. Gaïa ne tarda pas à venir voir ce qui se passait

▬ On va appeler la police et leur montrer tes blessures... ou alors on peut appeler Dwight.

Pour une fois, je ne refusai pas le contact physique avec Ange. Au contraire. Mes bras se firent plus fermes autour d'elle et ce simple geste eu pour effet de me forcer à me calmer rapidement. Ma soeur s'était occupé de moi tout ce temps... mais maintenant c'était à moi de le faire. Personne n'avait le droit de lui faire du mal. Personne. Et je m'en voulais de ne pas être arrivé plus vite à la maison... j'aurais pu prendre ce salaud par surprise et lui éclater sa gueule. Je finis par poser une main sur la tête de mon aînée pour lui caresser les cheveux tout en l'écoutant parler, puis lui embrassai le sommet de la tête doucement en fermant les yeux.

▬ Arrête de parler, tu vas finir par tomber dans les pommes... le voisin a appelé un taxi, on va descendre et aller à l’hôpital, d'accord?

Maintenant que j'avais arrêté de penser à moi, j'arrivais à être content d'avoir encore Ange en vie sur ce canapé. Mais on ne pouvait pas la laisser comme ça. Après m'être levé, je m'accroupis devant le sofa et tendis les bras vers ma sœur afin qu'elle me laisse la porter jusqu'en bas.

Le voyage se passa très bien même si c'était dans le silence. Je fixai le paysage en me rappelant le jour où je l'avais fait en sens inverse lorsque j'étais sorti de cet hôpital de malheur. Ce jour-là... je ne tenais pas la main de ma soeur. J'étais même complètement de l'autre côté de la banquette, contre la fenêtre, avec mon casque audio sur la tête. C'était il y a quelques années seulement... et les choses n'avaient pas beaucoup évolué avec le temps, finalement. Mais j'avais envie de ça change je crois. Ouais... ça serait bien.

Une fois arrivés, le chauffeur nous annonça qu'il ne voulait pas qu'on le paye puis-ce qu'il s'agissait d'une urgence et qu'il était content d'avoir pu aider à sauver quelqu'un, puis il fit une sorte de prière en espagnol. J'imagine qu'il s'agissait d'un croyant qui pensait que c'était dieu qui lui avait donné une mission. Mouais, bref, en tout cas ça m'arrangeait bien.

Après avoir remercié le taxiste, je sortis du véhicule et fis le tour pour ouvrir la portière d'Ange afin de la porter à nouveau. Elle n'allait pas bien... et je sentais que ça empirait de minutes en minutes. Connard de Mattéo... j'espère que tu vas bientôt finir six pieds sous terre.

Je me pressai donc jusqu'aux portes des urgences pour interpeller quelqu'un, et après ça, tout s'enchaina tellement vite que je n'eus pas le temps de tout suivre.

Ils ne voulaient pas que je passe la nuit ici... mais où vouliez-vous que j'aille, seul? J'avais peur de sortir après ce qui était arrivé... et me retrouver sans personne à la maison, c'était une idée qui m'était insupportable. Alors avec un peu de blabla, les infirmiers finirent par accepter de me laisser le lit à côté de celui de ma soeur. J'espérais pouvoir dormir, mais cela ne fut pas possible. Après avoir attendu une longue heure qu'ils sortent Ange du bloc opératoire, je me retrouvai avec elle dans une pièce immaculée qui sentait l’antiseptique. les seuls meubles étaient une table à roulette et quelques chaises... puis ces machines autour de mon aînée. Avec des "bips" incessants qui me donnaient mal à la tête. Et si...

Et si elle ne se réveillait pas?

Le connard qui avait fait ça devait mourir, c'est tout ce que je savais. Et la colère dans mon coeur ne fit que s'amplifier, si bien que je me mis à haïr les médecins qui passaient de temps en temps, les autres patients, ainsi que leurs proches. Je voulais les voir souffrir... ils n'avaient pas le droit d'être contents.

Au final, je parvins à fermer les yeux quelques heures, puis me réveillai aux alentours des cinq heures. Après être descendu de mon lit, je lançai un regard vers la porte, puis m'intéressai à Ange qui semblait paisible. Après avoir fait le tour de son lit sans la lâcher des yeux, je m'assis sur le rebord de son matelas et l'observai pendant de longues minutes.

▬ tu sais... je fais beaucoup de mal aux gens moi aussi, et je ressens pas le besoin de m'excuser pour ça... parfois j'ai peur du jour où je dépasserai les limites. Si je tue quelqu'un, je vaudrais pas mieux que Mattéo... hein? Mais je peux pas faire ça, je suis pas un meurtrier... je suis juste extrêmement triste au point de pas réussir à passer au-dessus de ce qui est arrivé. Et je te ferai jamais de mal à toi. Tu sais... j't'aime. Ça va s'arranger entre nous. Et moi... moi je sais pas où je vais finir si ça continue comme ça... mais je te ferai jamais souffrir volontairement.

En reposant les yeux sur Ange, je vis qu'elle était réveillée et qu'elle m'adressait la parole. Un sourire calme s'afficha sur mon visage épuisé.

▬ T'es tombée dans les escaliers.

Un rire sans joie m'échappa lorsqu'Ange me répondit.

▬ T'as fini par perdre connaissance, et les médecins t'ont... sauvée.

C'était le mot. Elle était passée proche de la maison de la faucheuse. À quelques minutes près, je crois que je l'aurais perdue. Quelle chance que je sois rentré ce soir au lieu de faire ma tête de mule en restant loin de l'appartement. Ma soeur reprit la parole, alors je l'écoutai tout en gardant mes yeux posés sur elle, à moitié cachés derrière une épaisse mèche noire qui me barrait le visage. Les infirmiers avaient eu peur de moi en raison de mon apparence ce soir, mais j'avais d'autres priorités qu'eux. Parce que malgré tout, derrière ces vêtements sombres, les tatouages, la dureté de mon visage et le maquillage, il y avait un être humain qui ne voulait pas perdre la seule famille qui lui restait. Je ne savais pas quoi dire à mon aînée, mais mon menton se posa sur le rebord du matelas avant que je baisse le regard tristement. Il y eut un long silence, plus ou moins lourd.

▬ Non, je te déteste pas toi. Je t'ai jamais détestée... c'est ce monde de merde que je hais. Belle m'a fait jurer de te protéger il y a quelques jours... et je vais le faire parce que je suis plus un enfant maintenant et que je peux gérer ça. Je te ferai plus jamais de mal... mais je peux pas revenir en arrière, Ange. Je suis comme ça à présent.