l’allemagne, t’as dans la peau. ton âme, en quête de rédemption, y est accrochée, comme à une bouée de sauvetage. il n’y aura pas de rédemption pour toi, l’espoir t’a quitté voilà des années. tu erres sans but, le cœur en peine. tu attends ton heure ; indocile et impudente créature. le verdict tombe, implacable, solomon n’est pas là. le fourvoiement t’a emmené jusqu’ici, courir après un spectre du passé dont l’existence même est douteuse, tu sais l’idiotie de ta décision. un soupir se fraie un chemin, le destin ne vous réunira plus jamais te crient tes entrailles, se tordant d’inquiétude. la peur s’infiltre dans ton organisme, perfide et vicieuse, perspective d’une fin prochaine ; un mauvais pressentiment te laisse un goût amer en bouche. l’appel de l’enivrement retentit, mettant tes pensées dans un imbroglio sans précédent. la porte du bar s’ouvre, crachant un léo d’une neutralité coutumière. un simple signe de main suffit à le mener jusqu’à toi, sourire installé sur tes lèvres sèches. tu vous commandes deux grandes pintes dans un allemand familier, tu as tes habitudes par ici. prêt à rentrer ? tu demandes à ton ami, par intérêt que par politesse comme tu l’aurais fait avec n’importe qui d’autre. c’est ta coloc qui va être contente, petit rire amusé par ce que tu as pu lire sur facebook.

Tu es bien en Allemagne, tout ce qui sort de ton quotidien est toujours mieux. Cette vie que tu t’es créé à San Francisco te pèse de plus en plus. Les problèmes d’argent, Camille et tout ce qui va avec. Toi qui pensais ne connaitre personne dans cette ville si loin de la France, tu te mets à croiser tous ceux qui en savent un peu trop sur toi. Heureusement, Utz est là. Tu ne voudras jamais dire sérieusement ce qu’il représente à tes yeux, vos blagues sur l’amour et les niaiseries sont là pour te protéger de lui. Tu t’accroches de plus en plus à ton ami, le seul que tu considères comme tel sur cette maudite planète. Il a su, parmi tous ces moutons qui te dégoutent, se montrer différent et attirer ton attention. Il te comprend, tu le comprends, vous n’avez jamais vraiment cherché plus loin. Tu ferme la boucle de ta ceinture et lance un dernier regard à cette fille que tu ne reverras jamais. Tu avais besoin de te vider un coup, tes nerfs t’y ont poussé surtout. Tu te sens trop près de la France, tu détestes tout ce qui s’en approche. Marseille est encore loin,  ça ira pour cette fois, pas besoin de te passer la corde au cou une fois de plus. Tu pousses la porte du bar où Utz t’as demandé de le rejoindre, tu aperçois sa barbe un peu plus loin au milieu du monde. « prêt à rentrer ? » Tu hausses les épaules, tu n’es pas de très bonne humeur. « c’est ta coloc qui va être contente, » Elle n’est pas ta coloc, juste une fille qui a marqué son territoire un peu partout chez toi. « Que veux-tu, une fois qu’on me connait on ne peut vivre sans moi. » Tu ne souris pas malgré que ta phrase soit censée être une blague. Tu bois quelques gorgées de ta pinte. « Tu as trouvé ce que tu voulais en venant ici ? » Tu parles de l’Allemagne, tu n’as pas posé beaucoup de questions mais tu sais qu’il n’est pas rentré au pays pour rien.

dès lors que léo te rejoint, tu ressens immédiatement sa mauvaise humeur. cette compréhension mutuelle et silencieuse, te surprend autant qu’elle te rend perplexe, d’autant plus que le naturel a primé sur le reste. tu peux dire de lui que c’est un ami et cette simple formulation entraîne un océan de questionnements que tu noies dans une gorgée de pure bière allemande. l’allemagne, ce pays qui t’a façonné de manière bancale, pourtant tu ne lui en veux pas, loin de là, tu l’aimes aussi profondément que tu peux la haïr dans certains moments de ton existence, quand les souvenirs puissants viennent te mettre à terre. un sourire lointain vient prendre ses aises sur tes lèvres lorsqu’il fait remarquer son côté indispensable et l’idée que ce soit vrai dans ton cas t’effleure timidement l’esprit avant de faire demi-tour, comme pris sur le fait. la surprise prend le pas sur tes émotions quand sa question retentit, il est parvenu à s’approcher de toi à ton insu, ça, tu le savais. non, mauvais timing est ta seule réponse alors que tu prends conscience de la réelle portée de votre relation, ça te laisse un arrière-goût d’appréhension en bouche. alors cette bière ? c’est la meilleure que t’aies bu non ? la remarque s’échappe avec enthousiasme quand tu le vois entamer sa boisson, tu lui as tant vanter les mérites des spécialités de ton pays que la déception serait au rendez-vous s’il ne se montre pas coopératif. changement efficace de sujet et tes prunelles balaies distraitement la salle avant de se poser sur un visage familier tourné dans ta direction. tes dents se découvrent en un sourire amusé tandis que tes yeux ne le lâchent pas, une joute visuelle mettant vos égos respectifs en action. j’espère que tes poings sont en forme ce soir, ils vont servir un murmure pour léo tout en regardant la crapule se mettre sur ses jambes, le passé nous rattrape toujours parait-il.

« non, mauvais timing. » Tu ne comprends pas sa réponse et tu n’iras pas chercher plus loin. Poser des questions personnelles ne fait pas partie de tes habitudes, mais surtout tu sais que Utz ne te dira surement rien de plus. Vous avez beau être amis, il reste très mystérieux sur sa vie et tout ce qui ne te concerne pas. Ca ne te dérange pas, toi-même tu ne lui as jamais rien dévoilé de ta vie avant San Francisco. « alors cette bière ? c’est la meilleure que t’aies bu non ? » Tu souris légèrement, il t’avait vanté les mérites de ses produits locaux depuis bien longtemps et tu savais que tu ne serais pas déçu. L’Allemagne était un beau pays, trop près de la France à ton gout mais tout le reste était parfait jusqu’ici. « C’est vrai qu’elle est bonne, tu n’avais pas menti. » Tu bois quelques gorgées de plus pour la peine, tu te perds un peu dans la contemplation du liquide dans ta pinte. Le silence s’installe entre vous et il ne te dérange pas, tu ne te sens jamais obligé de parler quand tu te retrouves avec lui. Tu finis par lever les yeux vers ton ami, ses yeux sont rivés sur un gars à l’autre bout du bar et son sourire n’annonce rien de bon. « j’espère que tes poings sont en forme ce soir, ils vont servir » Tu lâches un léger rire, ton regard s’étant lui aussi accroché à l’inconnu. Tu ne refuses jamais l’occasion de te battre, peut-être que ta mauvaise humeur finirait par passer avec ça. « Tu me connais. » Ce n’était pas la première fois que vous alliez faire ça à deux, vos centres d’intérêt étant similaires. La fin de ta pinte glisse dans ta gorge et tu reposes ton verre. L’autre gars fait un léger signe de tête en guise de défi avant de sortir du bar, tu te lèves. « Aller, finis ça qu’on puisse y aller. » L’excitation pouvait se lire dans tes pupilles.