J’ai été créé par ce qu’on m’a fait. Il y a un principe simple de l’univers qui veut que chaque action crée une réaction égale et opposée.Δ Octobre 1991« Elle ne se réveille plus. » Ma voix était calme et posée. Mon cœur ne bat pas plus rapidement que d’habitude. Sang-froid qui me servira à l’avenir. A l’autre bout du fil, ma grand-mère affolée par cette nouvelle. Ma mère. Ma mère, qui, à l’accoutumée se levait aux aurores, demeurait immobile sur son lit, les yeux solidement scellés. Nous avions eu beau la secouer avec force, crier, elle ne daignait pas faire le moindre petit mouvement. Cela n’était pas normal. Loin de là. Elle avait toujours eu un sommeil léger, s’éveillant au moindre petit bruit. Alerté par son inactivité, j’avais passé ma main devant sa bouche pour sentir son souffle. Rien. Je compris. Je fis sortir mes frères et sœurs de la pièce sans précipitation puis allai téléphoner à la seule famille qui nous restait. En effet, ma défunte mère n’avait jamais eu de chance avec les hommes puisque sur ses trois enfants, aucun n’avait le même père. Ils l’avaient tous abandonnée lorsque les choses devenaient un tant soit peu sérieuses, la brisant un peu plus à chaque fois. Néanmoins, il n’était pas aisé de subvenir aux besoins de trois enfants si bien que ma mère se devait de travailler comme forcenée, ayant plus de trois boulots à son actif. Elle ne souciait guère de la fatigue que cela engendrait, tout ce qu’elle désirait c’était que ses enfants soient à l’abri du besoin. Etant l’aîné de la fratrie, je décidais de l’aider de mon mieux en prenant soin de mon frère et ma sœur ainsi que de la maison. Mamie venait également à l’occasion nous donner un coup de main mais maman, étant aussi têtue qu'une mule et voulant s’en sortir par elle-même, déclinait très souvent les offres d’aides de sa mère. J’admirais ce petit bout de femme qui malgré toutes les épreuves dont elle avait dû faire face, se relevait toujours et ne courbait jamais l’échine. Elle ne s’apitoyait pas sur son sort, au contraire, tentait de combattre toutes les difficultés qui se dressaient sur son chemin. Elle me semblait capable de dompter la mort, mais l’ironie voulut que l’épuisement eût raison d’elle. C’était à prévoir vu les heures de travail qu’elle enchainait dans le but de nous envoyer à l’école. Elle voulait que nous ayons une éducation et puisque rien n’était donné dans le système anglais, il fallait qu’elle donne réellement de sa personne pour atteindre son but. Quelques heures plus tard, Grand-mère nous annonça de but en blanc que nous allions désormais vivre chez elle. Cela ne se passa pas dans cet ordre bien entendu, elle alla d’abord recueillir au chevet de sa famille, versa quelques larmes et vint par la suite nous expliquer ce qui se passait. Adam, le benjamin, ne saisit pas l’ampleur de la situation et se contenta de demander quand est-ce que maman allait rentrer tandis que Diaryn, ma cadette, le prenait dans ses bras, les larmes aux yeux. J’observai cette scène larmoyante avec une certaine neutralité. Incapable de pleurer avec eux. Incapable d’exprimer quoique ce soit.
Handicapé sentimental.
You’re not afraid of death. You’re like me.Δ Août 1997« J’arrête tout ça. En septembre je m’en vais à l’Université. » Je stoppai brièvement mon mouvement, le temps que l’information atteigne mon cerveau puis retournai vers William assis en face de moi. Son regard me renvoyait le même discours. Je souris. Il était donc temps de prendre des chemins différents. Je savais que cela arriverait mais je ne pouvais m’empêcher d’être quelque peu triste. J’avais l’impression d’être retourné six ans en arrière alors que je venais de découvrir le corps inanimé de ma mère. Une seconde perte importante. C’était cool le temps que cela avait duré, cela dit. En effet, quelque temps après mon installation chez ma grand-mère, je sentis le besoin de m’éloigner de ce cocon familial qu’elle tentait de son mieux d’instaurer. Je n’en voulais pas. Bien que je l’aimasse, je n’appréciais que très moyennement qu’elle veuille remplacer ma génitrice. Au fond, je n’avais pas encore digéré son départ définitif. De plus, la vie m’était pénible, bien trop ennuyeuse à mon goût. Pour rendre mon existence plus excitante, je suivis le chemin tout tracé pour un jeune de quartiers défavorisés, je rentrai dans un gang. Très bon moyen de pimenter les choses si vous voulez mon avis. D’ailleurs, ainsi dans la cité, personne n’osait s’en prendre à moi ou bien à ma famille. C’était tout bénef pour moi. Ce fut là que je rencontrai William avec qui je liais d’amitié. Mon seul et véritable ami. Cela ne se fit pas par l’apparition du saint esprit, bien entendu, mais il fallut passer bon nombre d’épreuves, comme par exemple se sauver mutuellement la vie pour en arriver là. Ce qui était un bon moyen au vu de nos caractères respectifs, nous faisions difficilement confiance, ni n’étions réellement intéressés par nos ‘frères’. En outre, ce qui participa sans doute à nous rapprocher un peu plus fut sans doute nos obsessions respectives, lui pour le sang et moi pour le feu. Nous faisions la paire. D’ailleurs, nous formions un duo du tonnerre au sein du gang, d’importantes recrues et ne tardâmes pas à monter dans la hiérarchie. Malgré cette proximité, le fait que l’un passait du temps chez l’autre, comme s’il eût fait partit de la famille, demeurait tout de même un fossé entre nous deux. Les exemples parfaits de cela étaient tout d’abord nos origines sociales complètement différentes et le fait que, lui avait songé à ce qu’il comptait faire plus tard alors que moi je n’avais pas vu plus loin que cette existence que je menais. J’aurais dû le savoir que cela ne pouvait durer indéfiniment. Tout était éphémère. Une année après le départ de William, je prenais dix ans de taule pour incendie volontaire.
Un duo n’était fait que pour fonctionner à deux. - Are you going to kill me now?
- I killed you ten minutes ago while you slept.Δ Novembre 1998« Ils sont tous…un grand incendie…meurtre…tout le monde…mort. » Je raccrochai le téléphone du parloir et demandai à être ramené dans ma cellule. Troisième perte. Jamais deux sans trois, n’a-t-on pas coutume de dire ? Je ne pleurai pas non plus cette fois. Mes yeux semblaient être à jamais arides. Une fois dans mon antre, je m’assis sur mon lit et fixai le mur grisâtre qui s’offrait à ma vue. La culpabilité me rongeait, me bouffait, me consumait. Je savais que tout était de ma faute. Jeune, con, invincible et avide de sensations fortes. J’avais commencé à prendre cette histoire de gang au sérieux et avais voulu étendre un peu plus notre zone d’influence ce qui nous avait entraîné sur le territoire d’un groupe important, qui avait précédemment essayé de me rallier à eux, offre que j’avais refusé et refus dont ils ne voulaient rien entendre. Notre attaque se solda par un échec cuisant, beaucoup d’entre nous furent blessés mais l’on ne décompta aucun mort, ce qui prouvait que notre adversaire n’était pas sérieux. Pas encore. Il nous envoya par la suite des messages personnels, le mien fut mon petit frère roué de coups. Je vis rouge et ni une, ni deux, je me pointai sur leur territoire où je mis le feu à une maison dont je savais qu’elle appartenait au responsable de l’état de Adam, ne me souciant guère s’il y avait ou non des gens. Je restai là, à regarder tout partir en fumée, éprouvant un plaisir proche de la jouissance. Lorsque je voyais un feu, j’étais incapable de me contrôler, ni de faire preuve de prudence, tout ce qui comptait c’était le spectacle que j’avais sous les yeux. C’est ainsi que je fus emprisonné. Je n’écopais que de dix ans car aucune mort ne fut déclarée. Le massacre de ma famille dans cet immense incendie était une manière de me dire que tout était loin d’être terminé, qu’ils me détruiraient et je ne doutais pas qu’ils puissent m’atteindre jusqu’en prison. Ce qui ne tarda pas à arriver. Je fus victime de plusieurs attaques auxquelles j’échappais de justesse, mais l’une fut tellement violente que je me retrouvais consigné à l’infirmerie durant deux bonnes semaines et en conservais même une cicatrice. Néanmoins, je n’avais dit mon dernier mot et je ne comptais pas les choses se faire ainsi.
Ce que j’ai subi a fait de moi ce que je suis.Il n’y a pas de certitudes, il n’y a que des opportunités.
Δ Avril 2000« J’te suis éternellement reconnaissant. » Je fixai le jeune homme en face de moi et souris. Bien, bien, tout se déroulait comme je l’avais prévu. En une année et demie, j’avais pris le temps d’observer la manière dont tout se passait par ici pour ainsi savoir à qui je devais ou non m’associer. Celui qui était ou non capable de m’apporter cette revanche que je désirais tant. Lucchese fils s’était présenté à moi comme une évidence, après tout il était issu de l’une des familles mafieuses les plus importantes régnant sur New-York. Il pouvait donc m’apporter les fonds, le pouvoir et l’influence dont j’avais besoin. Néanmoins, je ne pouvais l’approcher aussi facilement, il me fallait quelque chose d’assez important pour qu’il se sente redevable. Quoi de mieux que de lui sauver la vie pour ce faire. Attilio était une proie facile pour ceux qui avaient eu à faire à son illustre famille et aussi surprenant que cela pût paraitre, ils étaient nombreux à Londres à en avoir gardé rancune. Certes, son père avait payé certaines personnes pour le protéger mais ce n’était pas assez, visiblement. Nous devînmes par la suite inséparables, pour des raisons complètement différentes. Lui aspirait à devenir mon ami, finit même par y croire alors que moi je ne voyais en lui qu’un moyen d’atteindre mon but. Je n’avais ni le temps, ni l’envie de m’attacher d’ailleurs. Tout ce qui m’importait c’était ma vengeance et je me fichais bien de la manière dont j’allais l’obtenir, fallût-il que je vendisse mon âme au diable que je le ferais. Attilio, à ce que j’avais compris, ne tarissait pas d’éloges sur moi auprès de son paternel et puisque dans ce milieu les dettes étaient d’une importance capitale, ce dernier était bel et bien résolu à m’aider. Parfait, parfait. Tout était en place. D’ailleurs, grâce aux Lucchese, leur influence et leur argent, je fus libéré quatre ans en avance. Les choses se passaient merveilleusement bien.
Mieux que je ne l’aurais cru. Dédaignant la fortune et brandissant son épée qui fumait d’une sanglante exécution.
Δ Mai 2004« Vous êtes libre. » Je tapotai l’épaule du gardien avec un sourire puis le dépassai et allai rejoindre Attilio, sorti une année avant moi. Bien que j’aie fini par l’apprécier, je n’en oubliais pas mon but premier pour autant. Lucchese père était résolu à me filer un coup de main et pour ce faire, j’entrais dans leur organisation. De toute manière avec mon casier judiciaire chargé, je doutais que l’on me prît pour un métier dit réglementaire et n’en éprouvais aucune envie non plus. Plus rien ne me rattachait à Londres, nous partîmes donc pour New-York, leur royaume. Durant près de deux ans, je m’évertuais à rattraper le temps perdu en prison et à m’intégrer dans mon nouveau lieu de vie. J’étais avide de savoir, si bien que je me taisais et observais, agissant lorsque l’on me le demandait. Un véritable petit soldat. Tout vient à point à qui sait attendre, il ne servait à rien de se précipiter. Voilà ce que m’avait appris mon séjour au trou. Si l’on désirait que les choses se passent bien, il valait mieux attendre et veiller au moindre petit détail. Ce n’était pas la chose la plus aisée qui fût, surtout lorsque l’on avait une revanche à prendre sur la vie mais c’était nécessaire. Il serait stupide d’avoir fait tous ces efforts pour ne rien récolter au final. Je me fis très vite à ce mode de vie entre les extorsions, les divers trafics ou bien encore les escroqueries, je trouvais ma place. Je gagnais en influence et en assurance, larguant un peu plus ma conscience. Elle n’était qu’un obstacle sur le chemin de ma vengeance. Lorsqu’il décida que j’étais fin prêt, Lucchese père m’envoya à San Francisco, ville où se trouvait l’homme qui m’avait pris ce que j’avais de plus cher, en mission d’infiltration afin d’en apprendre plus la manière dont les choses fonctionnaient. J’étais intiment persuadé que sa proposition de me soutenir était loin d’être désintéressée. Et pour cause, il avait toujours rêvé d’étendre son pouvoir en Californie mais n’avait trouvé personne ayant les épaules assez solides pour cela. C’était là où j’intervenais, m’ayant façonné à son image et pensant me contrôler telle une marionnette, il était prêt à m’installer sur le trône. Ah, qu’il était beau de se bercer d’illusions, quel crime que de lui ouvrir les yeux n’est-ce pas ? Laissons-le y croire pendant encore un moment, le temps que je mette en place que j’avais prévu. Après tout, ce qu’il ignorait ne pouvait point lui faire de tort. Je passais les six années suivantes à étudier le milieu, en commençant par le bas de l’échelle puis montai progressivement. Le but de cette manœuvre était de me faire des relations susceptibles de m’être utiles plus tard. Grâce à l’appui de Lucchese père, j’obtins des soutiens de personnages riches et importants, chose qui aurait été impossible si j’avais été seul. Je profitais aussi de ces six années pour retourner sur les bancs de l’université où j’étudiais la psychologie et la psychanalyse afin de me perfectionner dans l’art de manipuler les gens. Et je fondais également un foyer pour jeunes en difficultés qui en plus d’aider ces délinquants et d’en recruter certains pour ma cause, me permettait de couvrir toutes mes activités illégales. Preuve est faite que visages dévots et pieuses actions nous servent à enrober de sucre le Diable lui-même. Tout était fin prêt.
Un seul Verdict : la Vengeance. Une Vendetta telle une offrande Votive mais pas en Vain.Δ Février 2013UC