Léo soupira. Elle devait écrire des articles, rendre des papiers intéressants. Elle désirait écrire des articles et rendre des papiers intéressants. Hélas, elle ne pouvait écrire des articles et rendre des papiers intéressants. Pour la simple et bonne raison qu'elle ne recevait pas d'informations croustillantes à traiter. Elle était en stage et pour que le boss soit content, elle se devait d'être à la hauteur. Néanmoins, c'était de plus en plus dur de trouver des infos. Tu devras juste écrire ce qu'on te donne, on te mâche le travail, lui avait-on dit. Mon oeil oui, si elle désirait avoir un bon sujet pour écrire et se faire une place, elle devait bouger elle-même son cul et fouiner. Même du côté des photographes, c'était le néant. Cette après-midi, elle avait reçu un cliché d'un homme sortant d'une maison. Elle ne connaissait cet homme ni d'Eve ni d'Adams, et pourtant le photographe lui avait tendu cette photo, l'air confiant.

Ils se foutent de ma gueule, maugréa la blonde en jetant un dernier coup d'oeil au cliché. Elle avait bossé comme une dératée toute la journée, ne s'accordant que quelques heures pour souffler un peu et reprendre des forces. À contre coeur, elle avait dû se rendre à l'évidence qu'elle n'arriverait à rien aujourd'hui. Dépitée, elle décida de rentrer chez elle, la soirée étant déjà bien entamée.

La jeune stagiaire reprit ses affaires et se mit en route. Elle habitait un quartier fort peu fréquentable et généralement, elle tâchait de ne pas rentrer trop tard. Du moins, elle essayait. Mais acharné comme elle l'était, ça lui était souvent dur d'abandonner son travail incomplet.
Léo pressait le pas; plus les heures avançaient, plus elle courrait des risques. Les trottoirs étaient déserts et, un oeil sur son smartphone un attentif au chemin, elle slalomait habilement entre les passants. Soudain, une personne surgit d'elle-ne-sait-où, et la collision fût inévitable. Elle leva les yeux et remarqua rapidement qu'il s'agissait d'un homme et qu'à sa posture, il venait sûrement de sortir du bâtiment. « Excusez-moi.. Je ne vous avais...», elle ne sût terminer sa phrase, reconnaissant le visage familier de son interlocuteur. Blake Lewis, la célébrité avec laquelle elle s'était prise la tête !
Il ne manquait plus que lui !, pensa-t-elle. Mais sous l'effet de la surprise, elle ne sut articuler qu'un « Vous...» silencieux. Elle ne savait pas qu'il habitait dans la rue qu'elle empruntait chaque jour, pour aller chez elle. Ca l'étonnait d'un certain côté, elle avait toujours imaginé les stars dans de grands quartiers riches inaccessibles. Mais après tout, elle ne s'était jamais vraiment posée la question d'où il pouvait bien habiter. Elle s'en moquait. Pour l'instant, elle voulait simplement rentrer chez elle et prendre un bon bain relaxant. Espérons juste qu'il ne soit pas d'humeur à faire un caprice ou mieux, qu'il ne la reconnaisse pas.

Le jour même, le chanteur avait posté une annonce sur facebook concernant son orientation sexuelle. Comme Léo l'avait deviné, son couple avec la jeune femme était bien une supercherie. Par contre, la suite de l'histoire, elle ne l'avait imaginé. Sur le coup, la révélation l'avait surprise. Un instant, elle se sentit presque coupable en imaginant qu'elle aurait pu être la cause de ce statut, mais la seconde d'après elle en voulu presque au musicien de s'être dévoilé si vite, et qu'elle n'ait pas eu le temps de fouiner. Une telle information, ça valait de l'or. Hélas, son prix était diminué de moitié quand c'était la proie même des rumeurs, qui l'avouait. Enfin bon, il lui restait toujours à savoir qui était son amant.

Le jeune homme bafouilla quelques excuses et levant la tête vers elle, repartit. Un instant, elle l'observa progresser dans la nuit puis elle releva les yeux vers la bâtisse. Belle baraque, remarqua-t-elle. Si elle n'avait su être journaliste, elle se serait sûrement dirigée vers des études d'architecture. Elle aimait les belles maisons, presque autant qu'elle aimait sa belle France. Elle continua son chemin, vaguant dans ses pensées, quand un détail la frappa. Elle s'arrêta net. La maison du chanteur... Elle l'avait déjà vu quelque part. Elle rebroussa chemin et s'arrêta devant, plissant les yeux pour détailler le bâtiment. L'étudiante avait une forte intuition. S'accroupissant, elle posa son sac par terre et fouilla à la recherche de l'objet sacré. Une fois trouvé, elle leva la main en signe de victoire et se releva, un sourire aux lèvres. Il lui semblait bien. La maison était la même que celle sur le cliché autour duquel elle s'était trituré l'esprit toute la journée. Et l'homme dessus pourrait peut-être bien être le fin mot de toute cette histoire... Ni une ni deux, elle se mit à courir à la poursuite de la star, son ambition revenant à la charge. Aussi près de la vérité, elle ne pouvait rentrer chez elle tranquillement. Rien ne pouvait l'empêcher de toujours vouloir trouver l'explication à chaque problème. Elle était comme ça, passionnée.

Arrivée à un croisement de rue, elle souffla un coup. À gauche, à droite, rien. Elle sentait la peur d'avoir perdu sa réponse monter quand elle le vit enfin. Une silhouette disparaissant à la fin d'une autre rue. Elle se précipita vers lui et, à l'instant où il allait disparaître à un coin de rue, elle le héla. « Monsieur Lewis ! », elle piqua une dernière accélération et arriva enfin à sa hauteur. Au moins, toutes les fois où ado, elle s'était barrée en courant après s'être faite chopée à faire le mur, lui auront servie. La blonde inspira une bouffée d'air puis, tendant le cliché au musicien, articula. « C'est lui, n'est-ce pas ? ». Elle savait qu'elle n'avait pas à en dire plus, il n'était pas con. Il comprendrait là où elle voulait en venir.

Quand il se retourna, la fusillant du regard, elle sut qu'elle avait fais une erreur. Elle n'aurait pas dû aller lui parler, elle aurait dû rentrer chercher elle-même la réponse. Après tout, sa dernière conversation avec lui n'avait pas été très fructueuse, même si son énervement avait soulevé ses doutes. Elle était naïve de croire qu'il lui dirait clairement que oui, c'était son idylle masculine. Elle hésita un instant. Non, elle ne partirait pas. Quand bien même elle l'énerverait, elle devait lui soutirer des informations, des indices, quelque chose qui lui indiquerait sur quel chemin diriger ses recherches.

Cependant, il eut l'air plus calme quand il lui répondit.
C'est le docteur de son frère, disait-il. Mais voyons. Elle n'avait encore jamais vu un médecin se rendre au domicile de la famille du patient. A moins que... L'amant soit médecin. Ou le médecin soit amant. Du pareil au même. Elle arqua un sourcil en signe d'interrogation. Elle se devait de creuser. Léo se doutait qu'il ne resterait pas calme très longtemps et, étant elle-même à bout de nerfs, elle sentait la tempête arriver. Il fallait qu'elle se calme. Qu'elle reste zen.
Une clope. Il lui fallait une clope. Elle se douta que la demander à la célébrité serait un peu ironique vu les circonstances. Elle se mit donc à la recherche de son paquet, en espérant qu'elle l'ait toujours vu la rareté de son utilisation. Merde, elle l'avait oublié sur sa table de nuit. La seule fois où le sortait de son sac, elle en avait besoin. Elle enrageait. Foutu paquet.

Relevant la tête, elle regarda son interlocuteur dans le blanc des yeux et lui répondit calmement. « Un médecin très séduisant, n'est-ce pas ? ». Elle y avait glissé une pointe d'ironie, son sous-entendu était aussi gros que le monde.