Lettre manuscrite adressée à C. Jefferson, psychologue.

San Francisco, le 23 avril 2014

Monsieur Jefferson,

Comme vous l’avez pu le constater, cela fait trois séances le mardi de dix-huit heures à vingt heures que je ne viens pas. Je vous annonce donc dans cette lettre que vous ne me reverrez plus. Je pense en avoir assez dit sur ma vie et mes maux, et aie assez dépensé 100$ par séance. De plus –sans vouloir vous vexer- ma psychologue à Baton Rouge était nettement plus performante que vous. Elle ne me donnait pas des calmants pour me détendre  (qui en plus m’ont fait avoir d’épouvantables cauchemars et un manque d’appétit).

Je suis prête. Je n’ai plus besoin de vous, je me sens mieux. J’ai fait le deuil d’Achille.  Il n’est plus qu’un souvenir enfouit dans un recoin de ma cervelle. A vrai dire, j’ai même la sensation de n’avoir jamais été enceinte. Je suis tombée dans un profond sommeil après ma rupture avec mon ex petit ami en septembre et je me suis réveillée fin février. Il ne s’est rien passé entre temps. Le temps s’est figé. Je n’en veux plus d’ailleurs à Médée et sa grossesse. Je ne la jalouse plus, je l’admire. Puis après tout, c’est mon amie et je ne jalouse pas mes amis. J’espère secrètement que je pourrais avoir un rôle dans la vie de son enfant (marraine, ça serait top).

Sinon, mon frère Sisyphe fête ses vingt-huit ans samedi. J’ai décidé de suivre votre conseil. Je ne resterai pas enfermée chez moi ce jour-là, j’vais lui rendre honneur en piquant une tête au fond de l’océan Pacifique. Je ne sais pas s’il m’en veut de sa mort. Alors que moi, je culpabilise encore et toujours et je le ferai jusqu’à mon dernier souffle.

Pour finir, je continue toujours à consommer de la drogue. Je fais en sorte d’espacer toujours un peu plus mes prises de cocaïne. J’estime pouvoir me gérer seule, bien plus qu’il y a quelques années, donc  non je n’irai pas me faire aider par le pèlerin du coin.

Sur ce, adieu et bonne continuation.

Cordialement,

S. Desrosiers

03.08.14

Allongée sur ce lit de fortune qu'un cher type m'a prêté pour la nuit, je pense. Je pense trop. J'écoute en boucle A Sky Full Of Stars depuis que je l'ai entendu à la radio hier. Je ne devrais pas, je suis sûrement masochiste parce que je me reconnais dans ces quelques paroles. Je sens les battements de mon cœur résonner si puissamment dans ma poitrine qu'on dirait qu'il va éclater. C'est con l'amour et bizarrement foutu. Avoir le sentiment d'être la fille la plus heureuse du monde, puis, bim bam boum, le lendemain plus rien. Sauf des ciboires de regrets et remords, en pleurant toutes les larmes de son corps et en hurlant que c'est la fin des haricots. Bien sûr que non, ça ne l'est pas. Personne ne va crever (sauf les lâches incapables de gérer un chagrin d'amour).

Bien sûr que tout ira pour le mieux, bien sûr que je vais à nouveau réussir à panser cet organe si imprévisible et à calmer mon esprit.

Je l'ai déjà fait, je connais la chanson par cœur maintenant et je sais comment je suis, mes réactions face à cet échec. Rien d'écrire ce mot, ça me fout un peu plus le cafard. Je les déteste ces échecs. Surtout les échecs sentimentaux. J'aime le monde, la nature, la plainte de l'aigle royal qu'on entend au loin. J'aime les êtres humains, j'ai de l'amour à donner et je veux rendre heureux. C'est juste dégueulasse de se prendre une porte en pleine face comme ça quand on est éperdument amoureuse. La rage, l'amertume et la tristesse profonde coulent à présent dans mes veines.

Bien sûr que tout ira pour le mieux, bien sûr que je vais à nouveau réussir à panser mon cœur et apaiser mon esprit. Seulement à ses côtés.