Katherine - « Aipom! Peux tu venir s’il te plait ? »
Je rangeai immédiatement mon téléphone dans la poche droite de mon jean avant de sortir de ma chambre. Elle était grande, spacieuse et très lumineuse. Il y avait une grande baie vitrée qui prenait toute la longueur du mur donnant sur le jardin, gigantesque lui aussi. Elle était propre et rangée : mon lit trônait au milieu de la pièce et tout autour se trouvait mon bureau, mon étagère, des fauteuils. Il n’y avait rien de bien personnel ici. Nous étions dans la maison de vacances de Miami et nous n’y allions pas souvent. Aujourd’hui mes parents recevaient de vieux amis, les Austen. Monsieur Austen et mon père étaient tous deux chirurgiens plastique extrêmement réputés et mon père comptait dans son carnet de rendez-vous plusieurs mannequins, actrices et chanteuses autrefois célèbres. Ils avaient été à la fac de médecine ensemble. Inutile de préciser donc que nous étions très riches. Ma mère était une de ses femmes de riches qui ne faisaient rien de ses journées à part dépenser l’argent gagné par l’homme de la famille et assister à des galas de charité pratiquement tous les soirs. Elle aimait se faire voir affublée des plus beaux bijoux, et des plus belles robes de créateurs. Elle aurait pu décrocher la palme de l’élégance, mais pas la palme de la meilleure mère. Mes parents n’étaient pas souvent à la maison, ma mère plus souvent que mon père cela dit, mais quand elle était là elle ne s’occupait pas vraiment de moi. Pas qu’elle ne m’aimait pas, je suppose. Elle n’avait juste pas l’âme d’une mère. Heureusement pour moi, mes parents avaient engagé une nourrice qui faisait également office de professeur. Son prénom était Ester. Je l’aimais beaucoup. Elle est restée chez nous pendant plus de dix ans : de mes six ans à mes dix-huit ans. C’est d’elle que m’est née ma passion pour la littérature anglaise. Elle me faisait beaucoup lire et m’apportait des bouquins de chez elle, et dès que j’en avais fini un, elle m’en apportait un nouveau.

Je descendais les grands escaliers blancs et arrivais directement dans le hall d’entrée, où ma mère se tenait à côté de mon père. Les Austen étaient là eux aussi, avec leur fils, Ryan. Nous nous voyions assez souvent. Je les appréciais beaucoup. Monsieur Austen était un homme plutôt beau, et extrêmement sympathique. Il souriait tout le temps et inspirait la confiance. Il passait son temps à nous complimenter ma mère et moi. Madame Austen elle était magnifique. Digne des plus grands mannequins. Elle avait un corps de rêve et je voyais très bien que ma mère était jalouse, envieuse, vu la façon dont elle la regardait. Enfin, le fils Austen représentait tout ce que je pouvais détester : hautain, trop sur de lui, montrant qu’il avait de l’argent. Il était tout mon contraire et ne semblait pas se gêner pour dire qu’il avait de l’argent, qu’était le fils de etc. Lui non plus ne semblait pas m’apprécier. Mes parents eux, le trouvaient charmant. Il était beau, intelligent. Le gendre idéal quoi. Ils devaient sans doute espérer nous voir mariés. Ma mère aimait me dire à quel point nous serions bien tous les deux, ou qu’il serait parfait pour moi. Mais ce n’était pas demain la veille.
Katherine -« Dit bonjour aux Austen. Et j’espère que tu ne vas pas rester enfermée dans ta chambre toute la journée. C’est très impoli pour nos invités. »
Je levai les yeux au ciel avant de m’avancer et de leur serrer la main. J'avais dix-huit ans et ma mère semblait prendre toujours autant de plaisir à s'en prendre à moi et me rabaisser devant tout le monde. Elle devait sans doute penser qu'elle jouait correctement son rôle de mère en me remontant les bretelles de temps en temps. Mais oui bien sûr.

Nous profitions du temps magnifique pour manger sur la terrasse. Elle était immense et était entourée d’orangers. La table rectangulaire était recouverte d’une nappe blanche et pouvait accueillir une bonne vingtaine de personnes. Inutile de dire donc que nous avions de la place pour manger. Mon père se trouvait en bout de table avec ma mère à sa droite. En face d’elle il y avait Monsieur Austen avec sa femme à côté. Enfin, j’étais à côté de ma mère, le fils Austen en face de moi. Je demeurai silencieuse tout le long du repas. Je n’étais pas vraiment enchantée d’être là et n’attendait qu’une chose : pouvoir retourner dans ma chambre, et lire.

Alors que nous attendions le dessert, Monsieur Austen se tourna vers moi et engagea la conversation. Je poussai un soupir. Faire la conversation était la dernière chose dont j'avais besoin. Déjà que je n’étais pas la personne la plus sociable qui soit, c’était encore pire aujourd’hui. Je n’aimais pas vraiment la compagnie des autres gens. Ils ne me comprenaient pas. Je préférais rester dans mon monde, sans avoir de problèmes. Et puis la présence de leur fils me rendait désagréable.
Paul - « Alors Aipom. Comment vas tu ? Tu es très silencieuse, on ne t'a pas entendu de tout le repas. »
Aipom - « Je n'ai tout simplement pas grand chose à dire. »
Paul - « Ah. Bien j'arrête de t'embêter alors. »
Ma mère me lança alors un regard noir. Elle me l'avait répété sans cesse " Soit polie et gentille avec nos invités. " Je décidai donc de prendre sur moi. Après tout, ce n'était pas grand chose et le 'calvaire' était presque fini.
Aipom - « J'ai toujours rêvé d'aller en Angleterre. Visiter Londres, tout ça. Est ce qu'il y pleut vraiment aussi souvent qu'on le dit? »
Les Austen vivaient en Angleterre depuis que Paul avait fini ses études.
Paul Austen - « Crois moi, vas y dès que tu peux. C'est un pays magnifiques qui cache plein de jolies choses. Cela dit, il pleut pas mal en effet, et cela te changerait énormément de l'Espagne. »
Il me sourit, sourire que je lui rendis, visiblement content de voir que je voulais bien parler avec lui. Le dessert arriva enfin : fondant au chocolat avec coulis de fruits rouges et crème à la vanille. Un vrai délice. Je me dépêchai de terminer avant de m'excuser et de quitter la table. J'allai ensuite me réfugier dans ma chambre pour y trouver du calme enfin de continuer ma lecture du Portrait de Dorian Gray d'Oscar Wilde. Ce livre était un de mes favoris.

Le réveil posé sur mon bureau indiquait dix sept heures trente quand on frappa à la porte de ma chambre. Ce devait être ma mère qui venait me voir pour me réprimander. J'imaginai déjà ses paroles : " Je t'ai déjà dit de ne pas rester enfermée dans ta chambre quand nous avons des invités, c'est très impoli et blablabla... ". Je fus surprise quand la porte s'ouvrit sur Ryan Austen. Qu'est ce qu'il pouvait bien me vouloir ? Il n'avait pas compris qu'en m'enfermant dans ma chambre c'était pour être seule ? Il n'attendit pas que je l'invite à entrer pour le faire. Il se posta devant une des fenêtres tout en admirant la vue.
Ryan - « Jolie vue. Ca doit être sympa de se réveiller et de voir ça tous les matins. »
Aipom - « Ça l'est. Qu'est ce que tu veux ? »
Ryan - « J'en avais marre d'entendre ma mère parler de ses voyages et tout ça. Ce sont des trucs que j'ai entendu des dizaines de fois. Tu lis quoi ? »
Aipom - « Oscar Wilde. »
Ryan - « Le portrait de Dorian Gray. Je n'aurais jamais pensé que tu puisses être le genre de fille à lire ça. Je t'aurais plus vue à lire des magazines people et tout ça. »
Aipom - « Les apparences sont trompeuses. »
J'avais prononcé ces mots sur un ton froid et désagréable. Il n'avait pas l'air de vouloir s'en aller et je ne voulais pas paraitre plus malpolie que je le paraissais déjà en le chassant de ma chambre.
Ryan - « Je sais que tu ne m'apprécie pas. »
Aipom - « Hein. Quoi ? »
Ryan - « Fais pas l'innocente. J'ai bien comme tu me regardes et comme tu t'adresses à moi. Tu ne m'aimes pas. Avoue le. »
Aipom - « Peut-être bien. Avoue que tu ne m’aimes pas non plus. »
Ryan - « Je ne dirai pas ça. »
Aipom - « Comment ça ? »
Ryan - « Tu m’intrigues. »
Aipom - « Ah oui ? »
Ryan - « Tu ne parles pas beaucoup, tu restes enfermée dans ta chambre quand tu n’es pas obligée à aller dehors, tu parais cultivée et tu lis de la littérature anglaise, ma préférée. Et même si on se connait depuis pas mal d’années, je ne sais presque rien de toi. A part que tu aimes Oscar Wilde. »
Aipom - « Hmm. »
Je restai plongée dans mon livre. Il avait réussi à m’étonner : il paraissait s’intéresser à autre chose que sa petite personne pour une fois. Peut-être m’étais-je trompée sur son compte.
Ryan - « C’est tout ce que tu as à dire ? Arrête de te voiler la face, t’as envie de me connaître mieux aussi. A ta façon d’agir là, je vois que tu es… impressionnée ? Enfin tu ne t’attendais pas à ça de ma part, et peut-être qu’après tout, t’as envie d’apprendre à me connaître aussi. »
Il «était fort.
Aipom - « Non. Je voudrais juste finir mon livre. Je ne voudrais pas être désagréable mais tu me déranges là. »
Ryan - « Ah oui ? Pourtant tu ne donnes pas cette impression. Mais je vais quand même te laisser tranquille. »
Sur ce, il s'approcha de moi, m'attrapa par la nuque et m'attira à lui avant de m'embrasser. Je me laissai faire et l'espace d'un instant j'oubliai le fait que je le détestais au plus haut point. Il me lâcha après quelques instants, me regarda dans les yeux, sourit et sortit de la pièce.
Ryan - « A bientôt. »
Après ça, je fis en sorte de ne pas le voir de tout le reste du séjour. Il m'avait troublée. Et je le détestais encore plus. Je le détestais d'avoir fait ça, parce qu’il avait raison. Je pensais le détester parce qu’il m’insupportait, mais en vérité je le détestais parce qu’il m’attirait, et que j’étais trop fière pour m’en rendre compte.


Après ça, nous ne nous sommes pas revus pendant trois ans. J’étais partie étudier la littérature anglaise à Londres, et lui étudiait la médecine aux Etats Unis. Au début je pensais pas mal à lui. Même tout le temps en fait. C’était peut-être cliché mais j’aurais aimé qu’il vienne à l’aéroport le soir de mon départ et m’empêche de partir… Je regarde vraiment trop de comédies romantiques. Encore aurait il fallu qu’il sache ce que je que je ressentais pour lui. Une part de moi savait que c’était réciproque, mais j’avais bien trop peur pour l’appeler. Alors comme je l’ai dit, je l’ai évité pendant trois ans. Au bout d’un an en Angleterre, j’ai rencontré un garçon, Sean. Nous sommes très vite sortis ensemble, et j’ai commencé à oublier Ryan. J’étais pas mal avec lui, nous avons même vécu ensemble pendant deux ans, jusqu’à ce que je retourne chez moi, il a quelques mois. Aujourd’hui je travaille dans une librairie, à San Francisco, je vis dans un loft assez luxueux à San Francisco, et je sors toujours avec Sean. Au départ je pensais qu’une relation longue distance serait difficile à tenir, mais on s’en sort plutôt pas mal. Mais j’ai revu Ryan, la semaine dernière, par hasard. Il est venu à la librairie où je travaille. Enfin, par hasard, c’est lui qui le dit.
Ryan « Excusez moi, où se trouve la section ‘littérature anglaise’ ? »
J’avais le dos tourné, il n’avait pas remarqué que c’était moi. En revanche, j’ai tout de suite reconnu sa voix. La surprise de l’entendre m’avait comme bloqué, impossible de faire un mouvement. J’ai du rester immobile pendant une bonne minute avant qu’il ne repose sa question.
Ryan « Eh ho ? »
Aipom « Hmm… Tout au fond de la boutique. »
Je me retournai enfin, essayant de cacher ma surprise et de garder un air détaché. Pour lui en revanche, c’était raté. Il me regarda quelques instants, comme pour être sur que c’était bien moi, puis me fit son célèbre sourire en coin, dont lui seul avait le secret.
Ryan « Carter. Ca faisait longtemps. Tu deviens quoi. »
Aipom « Qu’est ce que tu fais là ? »
Je n’avais pas voulu me montrer agressive. Je ne m’attendais pas du tout à le voir là. Je n’avais pas besoin de ça maintenant, pas alors que j’étais bien avec Sean, que j’avais réussi à l’oublier. Enfin réussir était un bien grand mot. Mes sentiments étaient comme enfouis à l’intérieur d’une petite boîte, tout au fond de moi-même. Et voilà que cette boîte refaisait son apparition. Je le sentais. Je me revoyais ce jour là, où il m’avait embrassé. La dernière fois où on s’était vu.
Ryan « Wow ça fait plus de trois ans qu’on ne s’est pas vu, et c’est comme ça que tu m’accueilles ? Je ne pensais pas que tu me détestais toujours. »
Aipom « Disons que je ne m’attendais pas à te voir. »
Je l’avais après ça conduit jusqu’au rayon. Il avait bien prit son temps, avant de choisir son livre. Comme s’il savait à quel point sa présence m’était insupportable à ce moment précis.
Ryan « Bon et bien ça m’a fait plaisir de te revoir. En tout cas plus qu’à toi. J’espère quand même que l’on se reverra à l’occasion. »
Aipom « J’ai quelqu’un dans ma vie en ce moment, je suis heureuse avec lui et la dernière chose dont j’ai besoin c’est de te revoir. »
Wow. Les mots étaient sortis tous seuls de ma bouche. Je n’arrivais pas à y croire. Il me regardait avec de grands yeux, ébahis. Quelle mouche m’avait piqué ?! Je me détestais. Je lui tendis son livre, rendit sa monnaie et le regarde partir. Il n’avait rien dit, mais je crus déceler de la déception dans son regard. Je n'avais alors qu'une envie : courir après lui, le retenir, tout lui dire, tout ce que j'avais enfoui au fond de moi pendant ces trois ans. Mais je restai figée sur place. Seule la sonnerie de mon portable réussit à me tirer de ma rêverie : c'était Sean qui m'annonçait qu'il venait me rejoindre à San Fransisco.