Une personne entre, une autre sort, et puis ça recommence, encore et encore. J'essayais de ne pas trop regarder ma montre entre chacune des clientes dont je m'occupais, histoire de ne pas me désespérer moi même du temps qui passait trop lentement, mais c'était assez difficile. Le vendredi après-midi, j'étais toujours plus distrait que d'habitude et ça, ma supérieure l'avait très bien comprit, si bien qu'elle gardait constamment un oeil sur moi pour vérifier que je ne rêvassais pas trop. Oh, dieu sait que j'avais eu cette envie pressante de la fixer comme elle le faisait avec moi à plusieurs reprises, tout comme j'avais souvent celle de lui lancer une remarque désagréable de mon cru en pleine figure... mais non, je ne pouvais pas me le permettre. Après tout, j'avais besoin de ce travail pour payer mes factures, ce n'étaient pas combats de boxe qui allaient me rendre riche, d'autant plus que je devais refaire ma réputation dans le milieu depuis que j'avais quitté la ville, l'an passé. Ah, au fond de moi, j'espérais franchement qu'un agent de mode entre dans le magasin où je bossais et me propose de faire des photos pour l'agence qu'il desservait, un jour ou l'autre. Pourquoi pas ? C'était tout à fait réaliste, j'étais grand, athlétique et je n'avais pas trop à me plaindre de mon visage, contrairement à d'autres mecs du coin.

En attendant, voila à quoi ressemblait mon quotidien : des heures passées à conseiller des femmes au porte-monnaie gonflé, à être aimable et à leur sourire... en quelques mots, c'était tout à fait contre-nature pour moi, mais je prenais ça comme un exercice pour entrainer mes aptitudes sociales.

Finalement, l'heure de la fin de mon service arriva et je ne me fis pas prier pour quitter mon poste afin d'aller à mon rendez-vous suivant, encore vêtu de mes habits de travail (vous imaginez bien qu'un vendeur de vêtements de luxe ne se promène pas en t-shirt). Ca ne me gênais pas d'être en chemise et de porter des chaussures en cuir, loin de là, je me sentais bien, parce que je savais l'effet que je créais sur mon passage, mais ça, je le précise juste pour remplir quelques lignes de texte.

Une fois arrivée devant la porte d'entrée de l'endroit où je devais me rendre, je soupirais pour faire sortir le reste de ma frustration de la journée, puis passais finalement à l'intérieur en vérifiant que je n'arrivais pas en pleine séance. Visiblement non. Parfait, je n'aurais pas besoin de faire attention à mes mots. « Mademoiselle Arias, bien le bonjour ! Comment va la bonne aventure ? »

J'étouffais donc un petit rire en entendant sa remarque sur sa fameuse boule de cristal et paris m'installer tranquillement en acceptant une boisson de sa part. En voyant la jeune femme se retourner pour partir dans sa cuisine, cependant, mon regard glissa discrètement dans sa direction pour observer sa dégaine peu habillée. Hm... je vous mentirais si je vous disais que je n'avais absolument au-cune attirance envers les jolies filles parce que j'étais quelqu'un de très pro. S'il fallait que j'évite tout débordement dans le magasin où je bossais (c'était pas trop difficile vu la moyenne d'âge des clientes), il fallait bien avouer qu'en dehors...

« T'as passé une bonne semaine ? » En attendant le retour de Carmen (allez savoir si c'était son vrai prénom), je me suis levé pour me diriger vers son lieu de travail afin de jeter un coup d'oeil aux fiches contenant des informations sur les personnes qui venaient la voir et qu'elle gardait précieusement dans un coin. Certaines d'entre-elles, la majorité, même, je les connaissais... mais ça n'empêchait pas le fait que leurs situations pouvaient bouger avec le temps. « Hahaha ! Elle s'est toujours pas trouvé son puits d'or, la madame Ri... ? » Au moment de reposer la feuille, une impression étrange me pris à la poitrine, jusqu'à presque me faire mal, et je m'immobilisais sur le coup en entamant une lecture plus approfondie du document. « C'est quoi qu'elle t'a dit sur elle, dernièrement, la Richards ? »

Je finis par lâcher le bout de papier plutôt brusquement, une grimace sur le visage... grimace qui se transforma vite en une expression dédaigneuse lorsque Carmen répondit à ma dernière question. Je roulais les yeux au ciel et claquais la langue en me saisissant d'une canette de redbull. « Ouais, bien sûr, ça va se résoudre tout seul... » Un ton de voix plus sarcastique que celui que j'avais utilisé en prononçant cette phrase, tu pouvais toujours courir pour en trouver. D'ailleurs, je ne pus retenir de siffler un très léger « quelle connasse » avant d'avaler une gorgée de ma boisson. Les informations émotives que j'avais reçues un peu plus tôt concernant la cliente de Carmen évoluaient au fil des secondes et c'est uniquement pour cette raison que je ne pus lui donner de détails tout de suite. Je n'étais pas expert en la matière... à vrai dire, je n'avais même jamais tenté de maîtriser le savoir à ma disposition, car je passais trop de temps à le fuir. Ca n'était pas drôle, la majorité du temps. Même si personne n'avait à le savoir, je me réveillais parfois au milieu de la nuit avec des frayeurs totales, surtout lorsque j'étais seul dans l'appartement, raison pour laquelle j'avais peur de dormir. Peur de voir ces choses horriblement violentes comme si c'était moi qui les vivais à chaque fois. Je ne comprenais vraiment pas comment j'en étais venu à développer un fardeau pareil qu'on appelait pourtant « don ». En quoi était-ce un don de voir des putains de fantômes et de se faire squatter le cerveau par LEURS souvenirs ? C'était dégueulasse, j'avais pas demandé à être un passeur d'âme, comme diraient les informations que j'avais trouvées sur internet... j'avais jamais rien demandé à personne. Après avoir lâché un léger soupir, je finis par reprendre la parole. « Je suis pas sûr de qui c'est, mais y'a quelqu'un qui est en dépression sévère dans l'entourage de cette nana... elle a qu'à se bouger le cul au lieu de penser que ça va s'arranger tout seul. C'est pas venir ici qui va empêcher quelqu'un de se suicider. » Ca me blasait. Les gens me blasaient. Est-ce que cela se voyait sur mon visage, au fait ?

Ne voulant pas aller plus loin dans le sujet, je finis par reposer mes yeux gris sur ceux de Carmen. Silence, puis léger sourire de ma part.