Je venais de claquer la porte de chez moi alors que mon chiot sautillait pour me saluer. Il était 19h et je venais de passer une très longue journée au boulot. Il fallait que je me calme sur mes heures supp’ ou sinon j’allais finir par me tuer à la tâche si je continuais dans cette voix. Certes, après, le compte en banque me remerciait, mais j’avais de plus en plus l’impression que ce n’était une vie, de se tuer au boulot. J’étais jeune pourtant, et même si la fête et la drogue n’avait jamais été trop mon truc, je me mettais souvent à penser que je devais sortir et enfin prendre en main ma vie de jeune femme. Je n’avais que 23 ans que diable. Et il fallait que je profite de cette jeunesse. Seulement, je ne voulais pas sortir seule. Et on sait tous, qu’une fille seule dans un bar ou dans un club, c’était la loose assurée. Et une proie facile à vrai dire. J’essayais de joindre Dom, mais il était absent. Je me tournais donc vers Plum, messagerie aussi. Une dernière chance vers Constance qui était occupée avec d’autres amies et Camil était avec Charlotte. Bon, et bien, ça sera moi avec moi-même ce soir. Pendant que je me préparais, enfilant une petite robe noire et des talons, je me mis à réfléchir où est-ce que je pouvais aller. Puis ce fut comme une évidence : the Genesis. Elyes. Même si je ne voulais pas me l’avouer, il me manquait, et je n’avais pas été présente pour lui ces derniers temps. Alors au lieu de l’appeler (car je savais que j’allais me prendre un vent), autant aller à son club de jazz non ? Je m’étais décidée, clé de l’appartement et de la voiture et je volais jusqu’à là-bas. Il devait être pas plus de 20h quand je foulais les pieds dudit club. Je cherchais évidemment mon ex meilleur ami du regard. Aucune trace de lui pour l’instant. Peut être qu’il ne serait pas présent ce soir… Tant pis, j’étais là, je restais. Mon sac sur le pli du coude, je me frayais un chemin jusqu’au bar où je demandai au barman de me servir un mojito. Je posais mon sac sur mes cuisses et je mis à regarder autour de moi alors qu’il me servait mon mojito. J’espérai bien y croiser Elyes.
Ce soir, je me devais de me produire. Une fois par semaine je régalais mes convives de mes talents de pianiste. Je m’y affairai donc, le cœur n’y étant malheureusement pas. Je ne me sentais pas d’humeur à régaler ces personnes qui donnaient l’impression d’être venu dans un zoo afin d’assister à un spectacle incongru. Leurs regards, leurs manières avaient le don de m’horripiler ce soir. Néanmoins, j’avais un rôle à jouer, un masque à tenir. Tel était mon boulot. Les égayer, les divertir et récupérer leur appui pour mes affaires. C’était ainsi que le monde Sullivan fonctionnait. Bien qu’il avait une fille souffrante à l’hôpital, il ne devait rien montrer. Que le spectacle continue ! Je décidai de me concentrer sur mon jeu, sur la mélodie que je tentais de faire partager aux autres, veillant à ce que ce ne soit pas trop dramatique. Il fallait de la couleur, de la rêverie avec une légère touche de tragédie, à la manière des pièces élisabéthaines en somme. Rien qui ne devait personnellement les toucher, ni ruiner l’ambiance. Dieu qu’ils pouvaient être d’une superficialité sans borne. Je retins difficilement un soupir alors que je terminai ma prestation, affichant un grand sourire que je savais convaincant. Les applaudissements fusèrent tandis que je quittai mon siège. Je fis une révérence à mon public, sans me départir de mon humeur d’apparat. « Bon dieu, mon cher, c’était tout simplement divin ! » me félicita une de mes ferventes admiratrices qui n’avait cessé de me suivre depuis l’ouverture du club, toujours présente et très avenante. Un peu trop pour que cela fût platonique. Nous savions tous deux ce qu’elle attendait de moi, l’exotisme de se faire culbuter par un noir sans aucun doute. « Merci ma chère, je suis plus que ravi que les réjouissances aient été à votre goût » répondis-je d’un ton charmeur, prenant délicatement sa main pour la baiser. Après quelques banalités pompeuses, elle fut rejointe par son mari et je pus enfin m’éclipser. Ah dieu que ces bonnes femmes étaient bavards, impossible d’en placer une. Soudain, alors que je m’en retournai à la solitude de mon bureau, je fus attiré par des prunelles que je ne connaissais que trop bien. Denver. Eh bien, tout était possible. J’allais dans sa direction. « Tiens donc, il semblerait que Mademoiselle Hopkins ait décidé de veillé tard ce soir »
Alors que je sirotais mon mojito, j’entendis la foule applaudir, dos à moi. Ne connaissant pas vraiment les coutumes de ce club, je me retournai pour apercevoir Elyes, assis devant un piano, qui s’apprêtait à jouer des morceaux. Et pour tout dire, il était plutôt convaincant. Toujours mon verre à la main, je l’observais, écoutant ses notes de musique. Je ne l’avais jamais vraiment vu dans un tel décor, jouer de façon si fine que tous les sens de l’ouïe y prenaient plaisir à l’entendre. J’étais sûre qu’une foule de fille était prête à l’applaudir dès la fin de son spectacle. Et ce qui se fit. Je souriais en voyant la scène de loin. Il m’avait manqué n’empêche. Rien que de le voir, même de loin, ça me faisait sourire. J’espérai qu’il me remarque, et encore mieux, qu’il vienne me voir et me parler. Je ne savais pas trop comment il réagirait lorsqu’il verrait que j’étais présente à son club de jazz alors que je n’avais pas été trop présente dans sa vie récemment. Je m’en voulais tellement. Après qu’il eut quitté la scène, je le suivis des yeux : il s’attardait sur une jeune femme qui avait complètement l’air hypnotisée par lui. Je le vis faire son gentleman et je terminai aussitôt mon mojito d’une traite quand je vis qu’il s’avançait dans ma direction. Je ne savais pas si l’appeler, ou le laisser s’apercevoir de ma présence. Lorsque je croisai enfin son regard, je sus qu’il ne fallait plus l’appeler. Et quand je le vis s’avancer vers moi, un sourire léger traversa mon visage. « Tiens donc, il semblerait que Mademoiselle Hopkins ait décidé de veillé tard ce soir » Je déposai mon verre vide sur le comptoir avant de sauter de ma chaise pour lui faire face : « J’espérai te voir en fait Elyes… » dis-je doucement, écartant une mèche de cheveux qui tombait devant mes yeux que je fixai derrière mon oreille. Je plongeais mon regard dans le sien, soupirant, puis je rajoutai : « Tu as du temps à m’accorder.. ? » Oui, il m’avait manqué.
J’observai un instant son manège, un léger sourire aux lèvres, amusé. Il était rare de voir mademoiselle l’avocate aussi sérieuse et peu sûre d’elle. Cette timidité nouvelle était aussi surprenante que plaisante. « Me voir ? » relevai-je simplement d’une voix neutre. Je ne savais qu’en penser. Tant de choses s’étaient déroulée dans nos vies respectives, en fait cela bien une éternité que nous nous n’étions pas retrouvés ensemble, ni vus en fait. J’acquiesçai simplement à sa question « Suis-moi » dis-je en prenant la direction de mon bureau. Je demandais discrètement à mon barman que l’on ne me dérangeât pas dans ma retraite, sous aucun prétexte. Dans ma pièce de la même taille qu’une suite dans l’hôtel le plus prestigieux de San-Francisco, aménagé avec goût, sans vantardise de ma part, je refermai la porte derrière nous. « Assieds-toi » l’invitai-je en désignant le canapé. J’avais fait en sorte que cela ne ressemblât en rien à un bureau afin de rendre l’ambiance moins stricte. Cela avait un effet dévastateur sur mes collaborateurs puisqu’ils se montraient beaucoup moins durs qu’ils auraient pu l’être, beaucoup moins concentrés sur ce que nous faisions. « Eh bien, dis-moi, qu’est-ce qui t’amène ? » finis-je par demander en me dirigeant vers mon bar personnel pour me servir un verre. Un bon scotch ne serait pas de refus. « Tu m’accompagne ? » Je levai légèrement la bouteille en signe d’invitation.
J’avais envie de mettre ce malaise derrière nous. De retrouver cette relation, cette complicité que nous avions eu tous les deux il y a maintenant assez longtemps… Plusieurs fois je pensais à Elyes, voulant lui raconter mes aventures, mes mésaventures, mais à chaque la barrière que j’avais en quelques sortes dressée entre nous m’empêchait de me comporter en bonne amie. Et puis, ce n’était pas comme si je l’avais rayé de ma vie. Les réseaux sociaux m’aidaient à savoir comment il allait, et je n’osais pas le déranger. Mais ça, c’était avant. Maintenant je voulais qu’on se retrouve de nouveau et qu’on n’ait plus à se voiler la face en faisant mine que tout va bien. Donc oui, j’avais décidé de le voir. Et il avait l’air plutôt surpris de ça. « Me voir ? » J’haussais légèrement les épaules, acquiesçant de la tête sans le quitter des yeux. Bon au moins, il était disposé à me voir puisqu’il accepta ma proposition. « Suis-moi » C’était déjà ça. J’enclenchais donc le pas, le suivant à la trace vers ce qui devait être, son lieu privé. Il avait bien aménagé son bureau en tout cas, j’aurai pu le lui dire, mais au lieu de ça, je fermai ma grande gueule et je patientais. Le sac entre mes mains, je restais silencieuse alors qu’Elyes me désigna le canapé « Assieds-toi. » Je m’exécutai, me dirigeant vers le canapé, je posai mon sac au sol avant de m’asseoir. Je levai mes yeux vers lui alors qu’il me posait une question, la question cruciale : « Eh bien, dis-moi, qu’est-ce qui t’amène ? » Je mordis quelques secondes la lèvre inférieure, ne sachant pas où commencer, mais Elyes ne me donna pas vraiment le temps de répondre alors que je le voyais brandir une bouteille d’alcool : « Tu m’accompagne ? » Je desserrai enfin mes lèves en hochant la tête : « Volontiers. » Quoi de mieux qu’un bon verre de scotch pour accompagner la discussion qu’on allait avoir. Alors qu’Elyes préparait ledit verre, je rejetai légèrement mes cheveux en arrière avant de me lancer : « Et pour répondre à ta question…Tu me manques. Voilà tout. » Je baissais mon regard sur mes chaussures à talon avant de le remonter vers Elyes : « Et je voulais prendre de tes nouvelles aussi… »
Je portai le verra à mes lèvres en fermant légèrement les yeux. Il s’agissait du quatrième en moins d’une heure et toujours aucun signe d’étourdissement. L’ivresse se refusait visiblement à moi, l’oubli par conséquent aussi. Oublier quelques secondes, voilà ce quoi j’aspirais ces derniers jours, sans grand succès cependant. Comme on le disait si bien, que le show continue et j’avais pour devoir de continuer de faire tourner mon affaire, de manifester de l’intérêt pour des personnes d’un égocentrique et d’une superficialité à toute épreuve alors que…alors que ma fille… rien ne servait de se pencher sur la question pour l’heure. D’ailleurs la confession de Denver eut l’effet de m’extirper complètement de mes mornes réflexions tandis que mes lèvres s’étiraient lentement. Je savais ce qui lui en coutait de faire pareil aveu, je la connaissais suffisamment pour savoir que ce n’était pas dans ses habitudes de se montrer aussi expressive, comme moi d’ailleurs. Nous avions cela en commun, c’était sûrement ce qui avait causé notre éloignement. « Je suis content de te voir » répliquai-je alors en lui tendant son verre. Je savais qu’elle comprendrait ce que cela impliquait, qu’elle m’avait également manqué, mais étant nettement plus réservé sentimentalement parlant, j’optai ainsi pour une autre manière de l’exprimer. Je pris place à ses côtés « Eh bien, ca va » Ce n’était pas tout à fait vrai, tout m’échappait en ce moment, ma relation avortée -sans jeu de mot- avec Julie et l’état inquiétant de Jade. « Et toi ? D’ailleurs, mes félicitations pour ta mise en couple avec Torres, tu y es parvenue finalement ! »