Je terminai de laver la dernière assiette que posai afin qu'elle égoutte. Un bruit se fit alors entendre. Je ne voyais pas ce que cela pouvait être. Je passai la tête dans le mince couloir et aperçu une enveloppe sur le sol. Ca n'allait jamais s'arrêter. Je savais d'avance que c'était : une lettre de menace. Sur l'enveloppe, seulement les quatre lettres qui composent mon prénom, découpées dans des journaux différents. Je passai délicatement mon pouce afin de décoller le revers de l'enveloppe. J'en retirai la feuille pliée en trois qui se trouvait à l'intérieur. Je la dépliai. Une nouvelle fois, les mots avaient été découpés dans des journaux. Seulement une phrase ornée le milieu de la feuille « Tu t'en es sorti une fois, tu ne t'en sortiras pas deux. ». D'une main fébrile, je rangeai la feuille dans son enveloppe avant de retourner à la cuisine. Je la jetai sur la table, puis m'appuyais dos au mur. Je me laissais lentement glisser jusqu'au sol. Là, je ramenai mes genoux contre mon torse, et enfouissait ma tête entre mes bras. Cela ne cesserait jamais. Qui peut en avoir autant après moi ? Deux ans de prison n'ont pas été suffisant ? Des tremblements me secouaient de partout et j'avais le ventre noué. Je n'ose jamais regarder si des fois l'auteur des lettres n'est pas derrière la porte. Je me doute que non, il n'est pas idiot, mais parfois, j'aurais pu l'apercevoir. Mais j'ai trop peur. J'avais presque trois piles de lettres de menaces anonymes. Le message est toujours le même : Ce n'est pas fini. En sortant, je pensais que tout irait mieux, que je pourrais reprendre ma vie. Ce n'est pas si facile pourtant. Ma réinsertion est un vrai calvaire, personne ne veut m'embaucher, personne ne me donne de chance. J'ai parfois envie de leur crier que je ne suis pas mauvais, que je suis une personne normale, que je suis la victime. A quoi bon, ils ne me croiraient pas de toutes façons. Je suis heureux d'être sorti, mais j'ai toujours la peur au ventre. Je me dis qu'à chaque coin de rue je pourrais me faire tuer, kidnapper ou torturer. Chaque nuit, j'ai peur que la police débarque comme la première fois et me ramène en prison. Ces lettres sont la cause de cette peur incessante. Sinon, ça ne serait qu'une question de réinsertion. Là, c'est une question de survie.
Je ne sais plus quoi faire. J'essayais de me calmer, de reprendre mon souffle. Il faut que je fasse quelque chose. Je ne peux plus rester ainsi. Je voulais épargner Maël. Je ne lui ai rien dit à propos de ces lettres. Il a déjà fait assez pour moi, je n'ai pas envie de l'ennuyer avec tout cela. Ces lettres ne cesse d’affluer depuis ma sortie. J'ai réussi à le garder pour moi depuis ces deux mois, mais seul Maël saurait quoi faire. Je sortis difficilement mon portable de ma poche. Je passai mon doigt sur l'écran afin de le déverrouiller. Je restais un instant à fixer mon écran, hésitant. Je n'avais plus d'autres choix. Je pris une grande inspiration et me décidai à lui envoyer un message. J'écrivais rapidement qu'il fallait que je le vois d'urgence. Il était quinze heures passé et nous étions en semaine, par conséquent il devait être à son bureau. Je me relevais comme je le pouvais et attrapai la lettre jetée plutôt sur la table. Je pris également toutes les piles des lettres précédentes que j'enfouissais dans un sac à dos. J'attrapai vivement mes clés et le sac avant de sortir de mon appartement. Je courus dans les escaliers jusqu'à l'extérieur. Je détachai mon vélo, et m'élançai. Je pédalais le plus vite possible sans même prendre compte de la signalisation.
Le bureau n'est pas tout prêt de là où j'habite, mais je n'avais d'argent à mettre dans un ticket de métro. Trois quarts d'heure me suffirent pour arriver devant le bâtiment qui abrite le bureau de Maël. J'accrochai mon vélo à une anse prévue à cet effet. Une fois fait, je rentrais dans le bâtiment. Je demandai à la secrétaire si monsieur Livingston était libre et si je pouvais le voir. Elle acquiesça et mon désigna le bureau de mon ami. Je me dirigeai alors vers la porte avant de frapper contre le bois de cette dernière. Je serrais les bretelles de mon sac avec une telle force que j'en avais les marques aux creux des mains. Si il ne m'ouvrait pas dans la minute qui venait, j'allais très certainement m'évanouir. Je toquai de nouveau « Maël, c'est Silas ! ». J'étais d'une nature patiente à la base, mais pas dans ce genre de situation.
Depuis ce matin sept heures, je cours partout dans le cabinet. On m’appelle ici, on me demande là-bas, je ne savais plus où donner de la tête. Le métier d’avocat n’est pas de tout repos, je le savais avant de me lancer dedans, mais je n’avais pas beaucoup dormi cette nuit et je n’en peux plus. Hier soir, j’ai appelé Derek, le flic qui m’a aidé lors de l’affaire Arkin. J’avais besoin de parler à quelqu’un de toutes ces lettres de menace que je recevais depuis la libération de Silas. Lorsque je m’étais décidé à devenir l’avocat de ce dernier pour l’innocenter, je savais d’ores et déjà que je n’allais pas me faire que des amis. Après tout, je remettais en cause tout une enquête et un procès, mais cette affaire ressemblait énormément à un coup monté. Le pauvre homme avait passé deux années de sa vie en prison alors qu’il était innocent. A sa sortie, il était maigre, fatigué même exténué et lui arrachait un sourire était une tâche compliquée. J’étais fier de ce que j’avais fait, j’étais fier de ne pas être une de ces mauviettes qui a peur d’agir. J’avais libéré un homme innocent qui allait pouvoir reprendre sa vie en main, même si cela s’annonçait tout de même difficile de se réintégrer. J’attrapais la feuille que me tendait ma secrétaire et la signais avant de la lui rendre. Mon bureau était dans un état pitoyable, totalement recouvert par les dossiers et les feuilles. Je ne m’y retrouvais plus. Un soupir traversait mes lèvres alors que je passais une main dans mes cheveux. L’affaire Arkin est sûrement l’un des plus importantes et difficiles affaires que j’ai eu à traiter. Il a fallu beaucoup de travail, de patience et de nuits blanches pour réussir. J’avais fait de cette affaire ma préoccupation numéro une et aujourd’hui qu’elle était terminée, elle continuait de me poursuivre avec ces foutues lettres. Certains riraient devant ces menaces, se disant que ce ne sont que des paroles. C’était ma réaction au début, mais plus d’un mois après la libération de Silas, je continue d’en recevoir et je commence à penser que ce n’est pas juste une mauvaise blague.
Je sortais de mes pensées lorsqu’on frappait à la porte. Jetant des coups d’œil rapides autour de moi, je m’empressais de ranger un peu mon bureau qui était loin d’être présentable. On toquait à nouveau et cette fois la personne déclinait son identité. En entendant le prénom Silas, je me levais d’un bond. « Entre, vas-y » Je m’approchais de lui et lui serrais la main chaleureusement. « Tu sais bien que tu n’as pas besoin de toquer à la porte. Entre directement la prochaine fois. » Un sourire étirait mes lèvres alors que je retournais derrière mon bureau. Je lui montrais un des deux fauteuils d’un signe de la main pour qu’il s’asseye. « Je te propose un café ? » demandais-je en haussant les sourcils. Il ne semblait pas être dans son assiette, il paraissait préoccupé et fatigué. « Tout va bien ? » La raison de sa venue à mon bureau m’intriguait. Je m’asseyais à mon tour et croisais les bras sur mon torse attendant des explications de sa part.
Piétinant presque sur place, Maël vint enfin m'ouvrir et m'invita à entrer. Je lui serrais la main « Je suis désolé, j'espère que je ne te dérange pas. ». Je fermai la porte derrière moi. Je n'avais pas réellement envie que des oreilles indiscrètes ne se mêlent de nos affaires. Il me dit que je n'avais pas besoin de frapper et que je devais entrer directement la prochaine fois. Je hochais timidement la tête. Il me l'a déjà dit une bonne dizaine de fois, mais ça ne rentre pas. Il me sourit avant de s'installer de derrière son bureau. Je restai debout malgré que mon ami m'ait invité à m'asseoir, les mains serraient sur les bretelles de mon sac. Je n'avais pas été aussi stressé que depuis mon dernier procès. Mon regard se posait sur tout les recoins du bureau de Maël. Je ne savais pas comment j'allais pouvoir lui parler de tout cela. Je mordais nerveusement ma lèvre inférieur. Il me proposa un café. « Je veux bien s'il te plait. » dis-je doucement. Ca ne me ferait pas de mal. Peut-être même que la caféine arriverait à calmer mes nerfs, ou tout au contraire. De plus la fatigue commençait à se faire ressentir. Mes dernières nuits avaient été agités. J'avais fait des cauchemars à répétions, donc je compensais en faisant du sport. Seulement, mon corps n'arrivait plus vraiment à suivre. Mon visage était marqué par la fatigue. Je carburais à la caféine depuis déjà presque une semaine, et ça ne semblait pas vouloir s'arranger.
Il me demanda alors si tout allait bien. Mon regard perdu se posa sur mon ami. Je l'observai s'asseoir alors que je cherchais mes mots. Comment lui dire que j'étais victime de lettres anonymes depuis ma sortie, que je ne savais pas comment m'en sortir et que j'étais mort de peur. J'aurais voulu lui répondre que oui tout allait bien, que je venais juste prendre de ses nouvelles, et pourtant je ne pouvais pas. Une fois de plus, je ne pouvais pas me débrouiller seul. Une fois de plus, j'avais besoin de Maël. Je pris tant bien que mal une grande inspiration, et décidai de me jeter à l'eau. « Pas vraiment en fait... » je baissais les yeux vers mes baskets – qui étaient dans un sale état d'ailleurs. Je sentais mon cœur qui battait bien plus vite que la normal. « Je ne voulais pas t'embêter avec ça, mais ça ne va pas en s'arrangeant... » je marquais une pause, cherchant de nouveau mes mots. « Je te promet, je ne voulais pas te mêler à ça. Je... J'ai essayé de trouver un moyen, de... de régler ça par moi-même, mais je n'ai pas trouvé... ». Je déglutissais avec difficulté. Je retirai mon sac avant de faire glisser la fermeture afin de l'ouvrir. Je m'avançai et déposai le sac au milieu des papiers de mon ami. « Je ne voulais pas... » je secouais la tête « Je te jure, je ne voulais pas... ». Pour une raison qui m'échappe, je me sens coupable. Comme si c'était de ma faute si j'avais été accusé de meurtre et si je reçois des lettres de menace. Je me grattai nerveusement l'arrière de la nuque en observant mon ami. Jamais je n'arriverais à être tranquille.