❝i used to be baby

Je suis née à Stockholm, en Suède. Pas en centre ville, ou tout était magique à mes yeux de petite fille. Non, dans un des hlm pourrits qui le bordaient. On y vivait tous les quatre, moi, ma grande sœur et mon grand frère, et ma mère... Le paternel ? Disparu quand il a appris que ma mère était encore en cloque. Pas capable de s'occuper d'un troisième braillard. Pourtant, j'étais pas une gamine difficile, j'étais contente avec peu de choses, je n'étais pas rebelle pour deux sous et je ne faisais pas d'histoires.
On m'appelait le bébé. « Amène le bébé », « tu peux garder le bébé s'il te plait ? », même après que j'ai largement passé l'âge d'être un bébé. Je suis quand même resté le bébé Ainsworth, la dernière petite tête blonde à apparaître sur les photos de famille (rares). Un bébé doux et agréable à vivre, ce jusqu'à l'adolescence, et même alors je n'étais pas portée par les vagues de rebel'attitude qui emportait tous mes copains de classe.
J'ai toujours été une fille calme et un peu naïve sur les bords, sans être idiote pour autant, loin de là. Peut-être trop idéaliste. Je n'ai jamais traîné dans les sales affaires, je n'ai que rarement fréquenté la mauvaise graine de l'école et quand je le faisais, j'étais souvent trop mal à l'aise pour m'acoquiner avec eux. Contrairement à ma sœur qui elle, suivait Stymest partout où il allait. Partout, bien plus loin que je ne l'aurais jamais imaginé d'ailleurs. J'étais proche d'elle, mais sûrement pas autant qu'elle l'a été avec Stymest. Il y a toujours eu un certain malaise entre lui et moi, il a fini sans avoir besoin de m'en parler par me convaincre que j'étais la seule et unique responsable si nous n'avions plus de père. Après tout, moi-même je ne voyais pas d'explication... J'avais été celle de trop. Soit, je n'ai jamais cherché à m'excuser, qu'aurais-je dit de toute façon ?

❝and i still am

Les années ont passé, le collège, le lycée, porteur de tant de malheurs et de joies. Le premier baiser, le premier amour, la première déception. Il s'appelait Thaniel. La moindre de ses paroles m'apparaissait comme une vérité si pure qu'il fallait être fou pour ne pas y croire. Chaque frôlement, chaque caresse était un embrasement terrifiant et grisant à la fois pour mon corps vierge. Je ne crois pas me souvenir qu'il m'ait dit un jour qu'il m'aimait, mais j'en étais intimement persuadée. Tout était si parfait entre nous, comment aurait-il pu en être autrement ? Je ne me suis jamais même posé la question. Naïve petite fille. Ça a duré longtemps, ça a semblé durer un siècle, mais en fait ça a juste duré deux semaines. J'avais dix-huit ans quand Frankie m'a dit « je m'en vais ». Elle a ponctué tout ça de « on s'écrira », « on s’appellera », alors que moi, je n'entendais que l'affreuse vérité : « je pars et on ne se reverra plus ». Seule, seule, seule. Alors quand ils sont partis, je me suis d'autant plus raccroché à ce garçon que je prenais pour l'amour personnifié, un ange envoyé pour combler leur départ. Si j'avais eu plus d'expériences, j'aurais sans doute trouvé étrange qu'il se contente de me caresser le bras, qu'il ne fasse rien pour m'approcher, qu'il ne tente même pas plus qu'un baiser chaste. Pour moi, c'était normal, et terriblement rassurant. Je lui ai voué ma confiance sans réfléchir.
« Tu veux venir à une soirée avec moi ? » J'ai dit oui. Pour moi, la soirée ne serait rien d'extraordinaire, je le croyais comme moi, habitué au calme et aux rencontres dans le parc avec les amis. Autant dire que j'étais loin de me douter dans quoi je mettais les pieds en enfilant mon jean sage et mon top à paillette. L'alcool coulait à flots, la fumée emplissait la baraque jusqu'au plafond. Ça sentait la débauche, la sueur et l'ivresse. Thaniel me guidait, me présentait. « Maddie », disait-il juste. Pas de « ma copine », rien qui y ressemble. Je me souviens avoir bu, pour faire comme les autres. Avoir tenté de décliner un dernier verre, le verre de trop, celui qui me plongea dans une amnésie profonde pour le reste de la soirée. Je me souviens du malaise intense, du sentiment d'être piégée sans pouvoir me l'expliquer. Et puis je me souviens m'être réveillée totalement nue dans une chambre où trois personnes tout aussi dévêtues dormaient soit sur le lit à mes côtés, soit à même le sol. Les bouteilles vides jonchaient le sol comme un tapis luisant. Je n'ai pas cherché à savoir, mais j'ai su. J'ai compris que mon corps n'était plus le même. Plus tard, j'appris qu'il s'agissait d'un pari idiot. Tellement banal. J'espérais que cette ordure n'avait pas obtenue son du après m'avoir vendue comme un morceau de viande, après avoir salopé cette vierge de Maddie Ainsworth.
Les études sont devenues mes seules occupations, pendant deux ans. Deux pauvres années de méfiance et de solitude. Au bout de ces deux années, j'ai regardé derrière moi l'air de dire, mais putain, qu'est-ce qui s'est passé ? J'étais toute seule, ma mère n'étais plus qu'un hologramme sur le fond tremblant de mon existence, mon frère et ma sœur étaient partis on ne savait ou. On avait beau avoir le téléphone, fesse-de-bouc, qui aurait cru que ça nous retiendrait à jamais ? La famille était disloquée, à cause d'eux, et moi, je me sentais atrocement seule. A mon tour j'ai juré de me tirer d'ici. Il était temps de me retrouver, de redevenir celle que j'étais. Il m'a fallu deux ans pour me rendre compte que ce qu'ils avaient fait de moi n'avait pas à avoir autant d'impact sur ma vie. A l'obtention de mon diplôme de fin d'études, j'ai embrassé ma mère, j'ai plié bagages et je suis partie. Ni plus, ni moins.

❝now i'm a jedi

San Francisco, les lumières sur l'aéroport à mon arrivée en plein nuit, la mer, les visages nouveaux, les bâtiments. Tout me ravit. L'annonce de collocation et ce fut fait, en un soir j'avais trouvé un logement. Un homme au visage taillé à la serpe, les yeux durs et doux à la fois... Je n'ai pas essayé de le cerner, tant de nouveauté m'intimidait trop pour que j'essaye ne serait-ce que de faire la curieuse avec un inconnu. Même si cet inconnu devait être celui avec lequel je partageais mon toit. Au fil des jours, mon mystérieux compagnon s'avéra dangereusement attrayant. Inaccessible et si proche à la fois...
Les jours passèrent, fournis d'inscriptions administratives à la fac, de découverte de la ville, des journées ponctuées par mon doigts composant le numéro de Frankie, sans jamais aller jusqu'à l'appel. J'étais là pour elle, pour eux, pour les retrouver enfin. Et je flippais comme une gamine dans le noir. Maintenant que j'avais quitté Stockholm, la perspective de voir son visage a nouveau me parut terrifiante. Pourtant elle me manquait bel et bien, il s'était passé tant de choses que j'avais gardé pour moi alors que j'aurai voulu les partager avec elle. Il était temps de remettre les choses en ordre.
Et puis ce matin là, j'étais seule dans l'appartement. Je pris enfin mon courage à deux mains et composai une bonne fois pour toute le numéro de la frangine. Je laissai sonner jusqu'à ce qu'une voix se fasse entendre à l'autre bout de la ligne ; une voix dont je m'étais languie depuis deux ans. « Allo ? » « Frankie, c'est moi... c'est Maddie. » Voici comment ma vie commença réellement à San Francisco.