PrologueLes types dans mon genre sont censés haïr la vie, dealer et engrosser toutes les pouffiasses du coin. Seulement il n'y a pas de type dans mon genre, ou plutôt, je ne fais pas partie de ce genre là. Il n'est pas toujours aisé d'être un incompri, mais avec le temps la marginalité est devenue ma plus fidèle alliée. Peut-être suis-je chanceux d'être arrivé à Miami dans le ventre d'une mère Jamaïcaine presque à terme, peut-être suis-je chanceux d'avoir choppé de justesse la nationalité américaine par le droit du sol. Sans doute l'ai-je moins été en passant les dix-huit premières années de ma vie aux côtés d'un père dealeur, d'une mère désespérée puis d'un petit frère cancéreux. Mais la vie est belle et chaque fois que je croise mon reflet dans le miroir, je ne ressens que fierté et justice.
Le rêve américain n'est pas une fable mais un mensonge. Seulement, il y a encore une trentaine d'années de cela, il se voulait promesse. Ainsi vint Miami, ainsi j'y naquis. Bling, strass et paillettes, l'Eden rattaché à la côte Ouest a toujours eu besoin de son lot de larbins dans l'ombre de sa grandiloquence, ombre qui bien souvent sciait à merveille au teint des miens. Mais mes origines ethniques importent peu, je ne suis de ceux qui utilisent leur couleur de peau comme argument d'autorité afin qu'on me plaigne. Je ne suis que le fils d'un pauvre jamaïcain dont les rêves de grandeur rimaient au sens propre comme figuré avec dealer.
Perdu dans un petit guetto de Miami, moi, Harper Bailey deuxième du nom, n'était pas le genre de garçon qu'on entendait pleurer. Maman bossait comme femme de ménage dans un hôtel touristique, papa jouait au king à revendre sa drogue aux vrais rois de la ville. Le boulot temporaire du paternel devint régulier, ma présence en cours finit par être inexistante. "J'ai besoin de toi, fils" qu'il disait le vieux. Maman ne disait rien, elle se contentait de lorgner sur sa vie restée en Jamaïque et de mettre au monde Daniel, dix ans après moi. Mon petit frère.
Chapter one; M-I-A-M-IJ'avais douze ans, et les vraies emmerdes vinrent. Le paternel ne se contenta plus de la beuh comme gagne pain, il nous fallut plus, beaucoup plus. Daniel était malade, nous devions aligner les chèques pour le guérir. A vrai dire, jamais la notion de guérison fut utilisée par les médecins ou par mes parents, car nous devions payer pour le maintenir en vie. Il était né pour souffrir, nous nous condamnions à lui dessiner un avenir différent.
J'étais jeune, le choix me sembla simple et juste: je devais arrêter de me pointer à l'école et faire le coursier pour mon père. Maman râla les premiers mois, mais lorsque la mine de Daniel devint meilleur elle dut se rendre à l'évidence: elle devait offrir l'innocence de son aîné afin de préserver la vie du dernier venu. Mon père s'était affilié à un gang du coin, j'étais devenu leur mascotte. Je traînais dans les rues pour eux, vendait leurs merdes pour eux. Rien ne semblait plus manichéen que ma vie de petit noir dealant aux gosses de bonne famille afin de se faire du biff. Seulement l'argent ne m'intéressait pas, je n'avais presque pas conscience de son importance; seule la santé de Daniel comptait. Et après ? Etais-je condamné à suivre mon père et le gang dans ses combines jusqu'à la fin de mes jours afin de contempler le sourire de mon petit frère ? Quelles étaient les autres options ? Retourner en Jamaïque avec la thune amassé ici ? Depuis l'apparition du cancer de Daniel, cette option avait été éradiquée au profit d'un avenir sans nom ni saveur.
Je tuais le temps à encaisser la monnaie, traîner avec les gars du quartier, mettre de la musique un peu trop fort, jeter des canettes de soda vides sur les chats errants du coin. Je faisais le con avec les potes qui, quelques années plus tard, allaient probablement prendre la sale place de rat de leur paternel. Il pensait n'avoir aucun choix là où je me torturais à en trouver de multiples. Je crois qu'en ce point précis se trouve la faille entre eux et moi: j'étais née pour survivre les pieds traînant dans la tombe des autres et toujours en évitant la mienne alors que la leur restait grande ouverte, prête à recueillir leurs restes de pauvres gamins des quartiers chauds.
Chapter two; the Beauty & the Beast« Papa merde... qu'est-ce que tu fous ?! » Mes yeux étaient rivés sur la tignasse blonde me tournant le dos, alors tournée vers l'entre-jambe de celui que j'appelais père. Mon regard effleura la scène, mon ventre se tordit. Je vomissais contre la porte que je venais d'ouvrir alors que le vieux fermait sa braguette, affolé. Que mon père trompe allègrement ma mère ne m'étonnait pas. Mais je connaissais la détentrice de cette tignasse blonde là, et je savais pourquoi elle était rendue à se donner ainsi.
« Elle avait pas de quoi payer Harper, comprends moi... Pardonne moi j'ai fauté... » Les larmes silencieuses ruisselant sur mon visage étaient témoins du monde dans lequel je vivais. En quoi se faire tailler une pipe allait aider Daniel à s'en sortir ? En quoi demander des faveurs sexuelles à l'amie junkie de son fils contre un peu de coke pouvait aider qui que ce soit ?
« Alicia lève-toi et barre-toi » Le ton de ma voix demeurait aussi vide que mon propre regard. Alicia était une fille de bonne famille que j'avais rencontré quelques années auparavant alors que je la livrais en ganja pour le parté d'une de ses amies. Jamais elle n'avait acheté ailleurs depuis, elle n'avait fait qu'augmenter les doses et varier les dévastateurs plaisirs. Notre relation évolua en amitié, et lorsque j'en vins à refuser de lui vendre toutes les merdes du gang, elle se tourna vers mon père. Lui, il s'en foutait d'elle. Il ne voulait que sa thune et un peu de plaisir, pas de bons sentiments. Mon père était passé du jamaïcain aimant au néo-caïd gangster de Miami.
Alicia était livide, elle s'était probablement injectée une dose avant de sucer le vieux. Elle partit sans que je la retienne. J'avais mal pour elle, mal qu'elle se sente obligée de se livrer à de telles choses pour être défoncée. J'avais mal qu'elle puisse me faire ça. Oui, j'avais mal car je venais de perdre mon père.
Je n'avais pu dormir de la nuit, les images défilaient dans ma tête. Les rues de la ville défilaient sous mes pas depuis des heures, mon cerveau ne pouvait s'empêcher de fonctionner à plein régime, stérilement. Il fallait que je parle à mon amie, il fallait que je prenne soin d'elle. Que je comprenne. Je je stoppe, le temps d'une seconde, ce flot de haine en moi. Mais il n'y eut que la police et des parents anéantis pour m'accueillir à l'entrée de leur bel appartement. Alicia avait fait une overdose pendant la nuit.
Chapter three; RédemptionJe ne remis plus les pieds à Miami pendant quatre ans. Je ne pouvais sourire à mon frère malade et à ma silencieuse mère comme avant. Nous avions perduré dans la merde sans en voir le noir épicentre, sans en palper le pouvoir aliénant qu'elle avait sur nos êtres. Dès que je le vis dans le blanc des yeux de mon père ce fameux soir où tout bascula, je ne pus prétendre à aucun espoir. Tout était vain. Le bon Dieu avait du être clément pour ne m'avoir fait haïr cette vie de rat des cités qu'à ma dix-huitième années. Oui, il devait m'aimer pour m'avoir préservé de la réalité toutes ces années alors que je n'avais cessé de vivre sous son toit. Elle avait pris les traits de mon père alors que je marchais de ville en ville, de trou en trou. Je n'étais plus Harper, ni fils, ni frère, ni homme. Un fantôme qui un soir, au détour d'une rue sombre et au beau milieu d'une ville sans nom, vola le canif d'un pauvre sans abris et s'ouvrit les veines.
Mais Dieu m'aimait toujours, je le savais. Comment en aurait-il pu être autrement ? Un pauvre gamin du ghetto tentant de mettre fin à ses jours à des centaines de kilomètres du merdier où il avait grandi, après avoir dealé pour un père corrompu, après avoir gangrainé des centaines d'âmes dans l'espoir naïf dans sauver une avait-il le droit à la vie ? A une nouvelle chance ? Non, je n'ai jamais été de ces gars fermant les yeux quand cela les arrangeait. Si je fermais les yeux, c'était pour toujours. Evidemment, il en fut autrement car comme dit précédemment, Dieu m'aimait... ou ne voulait pas de moi à ses côtés.
« Comment te sens-tu, petit con ? » A peine mes yeux s'étaient ouverts qu'une lumière aussi blanche que l'âme d'une vierge du Kansas les obligea à se plisser. Un blanc en costard se tenait à ma droite. Ce type là ressemblait plus à un men in black qu'à un ange. Pourtant, il était tout comme.
« Je crois que ça va... » Mon regard fit rapidement le tour de la pièce où je me trouvais. Un hôpital. J'étais étendu dans un lit d'hôpital.
« T'a bien de la chance qu'il y ait encore quelques vieux cons dans mon genre pour ramasser à la petite cuillère de jeunes blacks débiles comme toi. Un verre d'eau ? » J’acquiesçai brièvement avant de plonger mes lèvres déshydratées dans le verre d'eau que l'homme me tendait.
« Je suis Robert Fever, et tu es au St David's South Medical Center d'Austin, Texas. Et toi Harper junior, qu'est-ce que tu fais à des milles de Miami, hein ? » Le type tenait ma carte d'identité dans sa main. J'avais été sauvé par le sénateur républicain du Texas Robert Fever, moi, le petit noir des quartiers chauds de Miami. L'homme avait veillé des jours durant à mon chevet alors qu'il ne me connaissait pas. Barge ou non, ce type était mon sauveur.
Robert m'hébergea quelques temps et me trouva un petit job en ville chez le tatoueur de son fils Jared, boxeur renommé alors en taule depuis quelques semaines déjà pour détention massive de cocaïne. Le vieux prenait son pied à me voir là où quelques temps plus tôt son fier fiston traînait. Je ne puis dire à l'heure actuelle si Robert m'aimait sincèrement ou non, mais il m'aida car ce père savait ce qu'était de perdre un fils. En un sens, je l'avais aidé à proportion qu'il m'avait extirpé du trou. Peut-être voyait-il en moi un espoir de justice, un espoir de rédemption. Je restais quatre années là-bas, dans cet état antisémite et chauvin, où paradoxalement rien ne pouvait m'atteindre. Je réapprenais à vivre au rythme de mon nouveau job, de la dinde du dimanche midi de madame Fever, des rumeurs au sujet de la relation unissant Robert à moi, des avances déplacées venant Rebecca, la fille de mon sauveur. J'arpentais les ruelles ensoleillées d'une autre vie dans ma propre vie, jusqu'à ce que la réalité revienne au galop. L'heure de la rédemption avait sonnée. N'avais-je pas abandonné frère et mère aux griffes d'un monstre ? Alors que toutes ces interrogations blessaient mon coeur et mon âme, une seule conclusion prit position en moi: je n'avais jamais été un fuyard, j'étais simplement devenu aussi immoral que mon père. J'étais mon père.
Chapter four; Pas de retour pour l'enfant prodige« Merci, Harper. » Je n'avais pu entendre ses paroles, mais je pus les lire sur les lèvres de mon père, alors menotté à l'arrière d'une caisse de flics. Je l'avais vendu, ce salopard. Je l'avais offert aux autorité et, à travers la vitre de cette voiture, je ne vis aucun gangster, aucun dealer, aucun mauvais père. Pas même moi-même. Il n'y avait que ce jamaïcain qui, tout comme sa progéniture, faisait face à ses erreurs. Jamais je n’aperçus de nouveau ce regard. Pardon ou non, jamais je ne voulus le sentir sur moi encore. Il devait rester gravé en moi comme un abominable souvenir plutôt que figé sur mon corps déjà tatoué de tristesse.
Ma mère dut retourner en Jamaïque, l'arrestation de mon père ayant soulevé par la même occasion son irrégularité. La terre promise n'avait pu, en vingt-deux ans, offrir la "sainte" nationalité à ses larbins. Daniel, lui, était tout comme moi américain par le droit du sol, et bien trop souffrant pour retourner avec maman dans la terre de ses aïeux. Mais jamais une telle séparation fut plus heureuse que celle-ci. Ma bienveillante génitrice allait enfin vivre auprès des siens, Daniel n'avait plus qu'à endurer ses dernières années auprès de son grand frère. C'est toujours épaulé moralement par la famille Fever que le gosse et moi partîmes jusqu'à San Francisco, où il fut admis dans un centre hospitalier de lutte contre le cancer.
Une horrible histoire pour une belle jolie fin, n'est-ce pas ? Mais qui vous dit que cette histoire là est terminée ? Que faites-vous de tous ces démons endormis ? Que faites-vous du grand frère ne vivant que pour se racheter, ne pouvant se pardonner ? Que faites-vous de l'enfant malade aujourd'hui âgé de seize ans alors qu'il ne devait médicalement pas dépassé la dizaine ? Que faites-vous de ce corps frêle qui, bien plus tôt que tard, deviendra poussière ? Que faites-vous de cette mère ayant reconstruit sa vie ailleurs, et ne pouvant prendre des nouvelles que son gosse souffrant que par l'intermédiaire du grand frère ballotté entre la Jamaïque et la Californie ? Que faites-vous de la morale ? Que tout se paye un jour ? Que je n'ai pas inconsciemment poussé Alicia et tant d'autres dans leur propre tombe ? Que survivre à cette vie là vous donne le droit au bonheur ? Mais que faites-vous de ce marginal gosse des rues un peu utopique, dites-moi, qui s'en soucie ? Qui me sauvera de la culpabilité ? Qui peut me promettre que la lame restera pour toujours loin de mes veines ?