Whatever Life Is
Kahina & Lera

Kahina était de retour dans son patelin de Kapoho, à Hawaii, depuis deux semaines maintenant. Tout devenait de plus en plus sombre pour elle depuis quelque temps. Sa vie prenait un autre tournant. Un mauvais tournant. Elle avait l’impression de tout échouer, d’être inutile. Lorsqu’elle avait parlé avec Domenico, il lui avait avoué l’aimer encore. Mais il avait aussi mentionné qu’il était heureux avec Denver, et que sa vie ne coïncidait pas avec son idéal. Et Kahina comprenait. Après tout, son métier l’amenait à voyager si souvent qu’elle n’était pratiquement jamais chez elle. Mais au fond d’elle, elle savait qu’entre voyager ou Domenico, c’était Domenico qu’elle voulait. Elle l’avait toujours su. Ses voyages de travail ne font que lui changer les idées, l’amener à visiter. Mais à vingt-trois ans, elle a déjà pratiquement fait le tour du monde. Et pour cette raison, elle voyait en son métier un échec total. Certes, elle appréciait ce qu’elle faisait. Mais elle avait toujours voulu une vie stable, une petite famille. Elle voulait avoir un mari, des enfants, une maison au bord de l’eau. Kahina souhaitait rester dans la même ville, y travailler. Mais elle ne l’avait jamais réellement réalisé. Parce qu’à son âge, voyager est tellement intéressant. Mais plus elle vieillie, plus son envie de se stabiliser apparaît. Bref, l’idée d’avoir tout foiré s’était mise à lui rester dans la tête depuis quelques temps déjà, et sa dépression avait empirée. Elle prenait de plus en plus de médicaments. Elle ne veut pas l’avouer, mais elle est accro. Les antidouleurs lui font un bien fou. Mais puisqu’elle s’habitue, à chaque jour elle doit en prendre plus. Et encore plus. Elle dépasse la dose maximale. Son corps s’habitue. Et elle, elle périt. Elle divague. Et le pire dans tout ça, c’est qu’elle s’en fiche. Quand elle va se coucher, elle prie de ne pas se réveiller. Elle ne veut que partir. Quitter ce monde. Elle n’a plus rien à quoi s’accrocher. Sa vie est à la dérive. Et elle aussi.

***

La plage de Kapoho. Cet endroit paradisiaque. Kahina était là présentement, contemplant les vagues. Surfer lui manquait. Elle faisait des compétitions nationales à l’époque. Elle était une jeune femme pleine de vie, même après le décès de sa mère. Elle faisait des feux de camp sur la plage et jouait de la guitare. Elle dansait. Elle s’amusait dans les vagues à deux heures du matin. Elle se levait quelques minutes avant le lever du soleil pour aller courir sur la plage et voir les rayons se refléter dans l’eau. Elle allait faire du bénévolat dans un centre pour personnes âgées. Et dans sa dernière année, elle se rendait à l’Université d’Hawaii le sourire aux lèvres. Elle était l’image pure et honnête d’une jeune femme heureuse, en forme et en harmonie avec elle-même. Puis, elle emménagea à San Francisco. Un nouveau départ. Tout semblait bien aller. Elle était étudiante dans la prestigieuse Université de Berkeley. Tout dérapa en 2011, et depuis, rien n’a plus jamais été pareil. Le 1er mars, cela a fait deux ans depuis le décès de sa meilleure amie, Emma. Le 4 mars, deux ans depuis son viol. Et sa vie s’est mise à déraper. Kahina n’a jamais repris en main ses nombreuses dépressions et addictions suite à tous ces évènements. Et la jeune hawaïenne pleine de vie était maintenant un cadavre vivant. Et ce cadavre, il était là, sur la plage, à marcher péniblement dans le sable pour se rendre à cette grotte. Cette fameuse grotte. Kahina finit par y parvenir, elle y entra et y vit les inscriptions qu’elle et Domenico avait fait. Ils s’aimaient, à l’époque. Tout était parfait. La jeune femme s’asseya dans la grotte, ferma les yeux, et se mit à pleurer. Pourquoi…

Mon départ avait tellement été précipité que je n’avais que pour seul bagage mon sac à main ainsi qu’un sac à dos dans lequel j’avais rapidement fourré quelques affaires. De toute façon, je n’étais pas venue ici pour un séjour touristique, bien au contraire. Le plan était de trouver Kahina, en vie de préférence et parvenir à la convaincre de rentrer avec moi, cette partie-ci s’annonçait nettement plus complexe mais lorsque je désirais quelque chose, j’étais disposée à l’obtenir, par tous les moyens possibles. L’on ne refusait rien à une Vilte, c’était bien connu.

Récupérant mon sac, je sortis de l’aéroport et m’engouffrai dans un taxi à qui je donnais l’adresse du parrain de Kahina que j’espérai la bonne. Internet n’était pas fiable à cent pour cent mais je souhaitais que ce fût le cas cette fois. Il n’existe pas beaucoup d’homme répondant aux critères qu’elle m’avait jadis donnée à son sujet et étant affiliée à elle. Sous ma demande, le chauffeur conduit à un rythme soutenu si bien que je ne tardais à pas arriver à destination en peu de temps. Je payai la course et m’extirpai de l’habitacle. Je fixai la maison qui se dessinait devant moi et pris de réfléchir un instant à la manière de faire. Si jamais la demoiselle n’était pas là comment devrais-je me présenter ? J’ignorais si elle avait déjà parlé de moi et vu mon allure, de profonds poches de cernes sous les yeux, mon air épuisé, je craignais qu’il me prit pour quelque chose que je n’étais pas. Et je me demandais également ce qu’il savait au sujet de l’état actuel de la jolie blonde, même si je doutais vraiment qu’il n’ait rien remarqué, car il fallait réellement être aveugle pour passer outre les signes avant-coureurs de sa rechute. Je décidai d’improviser, je m’en sortais mieux dans cet exercice.

Je me présentai et comme je le redoutais, Kahina n’était pas là mais l’homme était assez aimable pour m’indiquer l’endroit où elle se trouvait, après avoir l’hospitalité pour mes affaires. Mon peu de bagage dans la chambre qu’il m’avait assignée, je me lançai à la recherche de mon amie suivant les indications de son parrain. Je n’eus pas de mal à localiser la grotte et ce fut sans plus de cérémonie que j’y pénétrai pour trouver une Kahina en pleurs. Instinctivement je passai mon bras autour de ses épaules et l’attira à moi, ne sachant que faire d’autre à vrai dire.

« Shhhh…ca va aller… »

C’était plus un souhait qu’une certitude à vrai dire.

Whatever Life Is
Kahina & Lera

Cette voix si familière venait de se faire entendre. Lera avait bel et bien prit l’avion pour Hawaii. Et elle était là, à ses côtés. Et autant que Kahina refusait de l’avouer, elle était contente de la savoir là. Une de ses bonnes amies, restant à ses côtés dans les moments difficiles. Kahina adorait Lera. Et bien que ces derniers temps fussent plus difficiles, ça ne changeait rien à leur amitié. Kahina ne prononça aucun mot, elle appréciait juste la présence de Lera à cet instant précis. Et elle continuait de pleurer. Mais elle ne se sentait plus abandonnée à elle-même. Cette grotte, tant de souvenirs. Elle venait toujours ici avec Domenico lorsqu’ils étaient plus jeunes. Et maintenant, elle venait seule lorsqu’elle passait dans le coin. Les écriteaux sur les murs de la grotte lui rappelaient des moments heureux. Elle avait aimé Domenico, énormément. Et elle l’aimait encore à un point destructif pour elle. Sa vie ne fait plus de sens, tout simplement. Et elle ne veut pas le voir. Elle ne veut pas le sentir près. Pourquoi? Parce que ça lui rappelle qu’elle ne peut pas l’avoir. Alors que lui, c’est tout ce qu’elle veut dans sa vie. Lui, et seulement lui. Elle avait essayé avec d’autres garçons : Alejandro et Braeden, par exemple. Mais son amour pour eux se dissipait rapidement, parce qu’elle ne les aimait que de façon passagère. C’était différent de Domenico. Kahina croit en l’âme-sœur, et elle voit en Domenico son autre moitié. Et elle le sait, complètement, totalement. Parce qu’elle serait prête à n’importe quoi pour lui. Et c’est cette réalisation qui la tuait le plus. Le fait de savoir que sa vie ne tourne qu’autour d’une personne, et qu’elle ne peut être avec lui.

« Merci. » Ce fut le seul mot que la blondinette finit par prononcer à l’endroit de Lera. Merci d’être venue, malgré tout. Merci d’être là, alors que tout le monde fuit. Merci de croire en elle. Merci. Tout simplement. Parce qu’à cet instant, ce moment si noir dans la vie de la blondinette, ce dont elle a besoin, ce sont des gens pour l’épauler. Pour l’encourager. Pour croire en elle, alors qu’elle a cessé. « Désolé, Lera. » Désolé, sincèrement. Honnêtement. Désolé d’avoir tout gâché. Désolé d’avoir sombré. Désolé de vouloir abandonner. Désolé de ne plus vouloir se réveiller.

La blonde dans mes bras, j’ignorai quelle était la conduite à adopter. Je me voyais mal lui faire des promesses que je savais illusoire, rien n’irait pour le mieux, en tout cas si elle s’entêtait dans le chemin qu’elle avait emprunté depuis bon nombre de mois désormais. Je désirais tellement apaiser sa peine que le sentiment d’impuissance qui en découlait me mettait en colère contre moi-même. Je m’en voulais d’être incapable de l’aider plus que de lui offrir une épaule compréhensive sur laquelle déverser sa peine. J’aimerais tellement faire plus et je ne voyais pas autre moyen que celui qu’avaient préconisés les médecins. Les mots doux, attendrissants, les exhortations, les supplications, les oreilles attentives n’auraient en aucun cas raison de sa dépression, car Kahina avait bel et bien replongée, peut-être bien même pire qu’auparavant et j’avais peur de ce qu’elle était capable de se faire. A bien y réfléchir, j’avais déjà une idée de la chose et il était d’agir avant d’atteindre le point de non retour. Je m’en voulais également de n’avoir su réagi efficacement lorsqu’il en était encore temps, peut-être aurions-nous pu éviter une telle évolution. Au fond, Domenico avait raison, j’avais laissé tout cela trop traîner et nous voilà. Je la serrai un peu plus contre moi, accentuant la pression autour de ses épaules, tout ce dont j’étais capable dans l’état actuel des choses. Je me sentais littéralement par les évènements, j’avais la sensation de devoir sauter dans un train en marche qui avait depuis longtemps quitter la gare.

« T’as pas à t’excuser, tu sais… »

Ma voix était douce et aussi basse qu’un murmure. C’était plutôt à moi de le faire de n’avoir su voir à quel point elle se sentait si misérable. Depuis que je l’avais retrouvée cette nuit-là, je me sentais d’une certaine manière responsable d’elle. Je voulais que tout se passât pour le mieux pour elle, comme pour gommer cette ignominie dont elle fut victime.

« Kahina, il faut vraiment trouver une solution durable…tu ne peux plus continuer comme ça »

Encore une fois ma voix était un doux chuchotement. Je savais qu’elle n’aurait aucun mal à comprendre ce que dissimulait cette phrase.

Whatever Life Is
Kahina & Lera

Kahina était dans un état minable, tout simplement. Sa vie avait pris un tournant différent. Elle était passée de la jeune femme souriante et débordante d’énergie à une adulte déprimée ayant peine à se tenir debout. Alors elle avait choisi elle-même de s’en aller à Kapoho pour quelques temps. Elle avait avisé son employeur à Boston qu’elle prenait un congé non-payé d’une durée indéterminée. Il n’était pas très heureux, mais c’était pour sa santé. Kahina avait alors prise le premier vol à direction d’Hawaii. Son parrain, qu’elle avait appelé lors de son escale à Los Angeles, l’attendait à l’aéroport d’Honolulu. Elle allait toujours chez lui lorsqu’elle venait à Hawaii. Il ne savait pas ce qui se passait dans sa vie, mais il voyait qu’elle ne semblait pas aller pour le mieux alors il ne la poussait pas à discuter, ce qu’elle appréciait grandement. La maison de son parrain, étant située sur la plage, rendait facile d’accès l’océan à la jeune blondinette. De plus, son parrain habitait la maison voisine de sa maison d’enfance. Que de bons souvenirs lui remontaient à la mémoire lorsqu’elle regardait cet endroit. Or, aujourd’hui, c’était différent. Lorsque Kahina regardait l’endroit, elle pensait à Domenico. Elle savait que rien ne serait plus jamais pareil. En fait, rien n’était déjà plus pareil.

Kahina avait avisé son parrain qu’elle partait passer la journée sur la plage, et qu’elle se rendrait fort probablement à la grotte où elle traînait toujours lorsqu’elle était jeune. Avec Domenico. Ensuite, elle était partie. Elle avait peine à se tenir, mais elle voulait s’y rendre. Et elle s’y rendit. Et les souvenirs revinrent. Les écrits sur les murs de la grotte ne faisaient que lui rappeler le passé. Kahina et Domenico pour la vie, des je t’aime gravés sur les murs. Domenico avait été une si grande partie de sa vie.

***

Kahina resta dans cette grotte, à pleurer, pendant un bon moment. Puis des bras réconfortants vinrent la joindre. C’était Lera. Kahina ne voulait pas qu’elle vienne à Hawaii, mais Lera ne fait toujours qu’à sa tête. Et elle était là maintenant. Et Kahina regrettait d’avoir agi de la sorte, d’avoir refusé toute aide, d’avoir nié avoir un problème, d’avoir éloigné tous les gens à qui elle tenait. Et voilà Lera qui était là, dans cette grotte, à lui mentionner qu’il fallait trouver une situation durable à son problème. Et Kahina qui était là, en mille et un morceaux. Elle n’était que l’ombre d’elle-même. « Je ne veux pas y retourner, Lera. » Et pourtant, elle savait que c’était ce qu’elle devait faire. Elle savait que le mieux pour elle était de retourner en centre. Mais le froid du Vermont ne l’attirait pas. Et le centre clos de la Caroline du Sud non plus. Et retourner à San Francisco pour voir Domenico et Denver ensemble, encore moins. Ça la tuait. Ça la détruisait. Ça l’anéantissait.