Je terminais peu à peu de ranger mes cartons, sortant enfin les dernières affaires du dernier d’entre eux après une journée pénible à tout mettre en place. Fiouh, heureusement que je ne faisais qu’arriver aux USA… je n’osais même pas imaginer ce que ça aurait été si j’avais habité ici depuis des années et que j’avais beaucoup d’objets à trier en plus des meubles. Ici, tout était neuf hormis mes outils de travail… c’était réellement comme commencer une nouvelle vie.

Alors que j’étais perché sur une chaise pour fixer un tableau au mur du salon, j’entendis la sonnerie de la porte retentir. Qui est-ce que ça pouvait bien être ? Je ne connaissais personne à part la fille chargée de m’aider dans mon intégration, ici, et je ne pense pas vraiment qu’elle aurait eu l’idée de venir me rendre visite un dimanche alors que c’était un jour férié.

Rapidement, je sautais au sol et posais mon marteau avant de me diriger vers l’entrée pour ouvrir, curieux de savoir ce qui m’attendait. Oh, peut-être que c’était comme dans les séries et que les voisins étaient gentils et sociales, ici ? On peut toujours rêver…

Ce fut une réelle surprise de voir apparaître une charmante jeune femme en face de moi au moment où j’ouvris cette porte. En plus, elle tenait une boite entre ses mains, ce qui me laissa penser qu’elle voulait me donner ce qu’il y avait là-dedans. Alors c’était vrai, ce qu’il y avait dans les séries TV ? Vraiment ? Mes yeux s’agrandirent légèrement derrière mes lunettes de vue et je souris automatiquement en me passant une main dans les cheveux pour retirer de mèches de mon visage.

« Bonjour ! J'espère que je ne vous dérange pas, je suis votre voisine et je voulais juste vous souhaiter la bienvenue et vous donnait ses cookies, fait maison bien sur ! »

Eh bien, chère voisine… je crois que nous partons sur de bonnes bases avec vos cookies. Je me redressais un peu, surpris, mais en bien.

« Oh ! Vous avez fais ça pour moi, vraiment ? Merci beaucoup… hum… »

Je réfléchis un instant, puis reculais pour laisser le passage libre à l’intérieur de la maison et inviter indirectement ma voisine à entrer. Avant toute chose, je lui adressais cependant une poignée de main.

« Enchanté de vous rencontrer, je m’appelle Arthur Duvall. Venez, entrez, je vous offre quelque chose à boire, c’est la moindre des choses. Je ne savais pas que vous étiez aussi accueillants dans ce pays, c’est agréable. »

J’accompagnais la demoiselle jusqu’au salon pour la faire asseoir, puis lui demandais ce qu’elle voulait boire. Cette partie-ci de l’habitation n’était pas encore tout à fait rangée et j’avais laissé trainer des croquis ainsi que des photos sur la table depuis hier soir… du coup, je me mis à vite rassembler le tout pour libérer de la place pour les biscuits et les verres.

« Je suis vraiment désolé pour le désordre ! Vous habitez ici depuis longtemps, j’ai entendu dire que l’ancienne propriétaire de cette maison est décédée récemment, c’est bien cela ? »

Après un temps de pause, je m’assis à mon tour en croisant les jambes, puis posais mon attention sur mon invitée.

Eh bien, j’avais vraiment une voisine très sympa et souriante ! C’était plutôt rassurant de se faire accueillir comme ça dans un milieu qu’on ne connaissait absolument pas.

« Vous en faites pas, vous venez d'arriver, normal que tout ne soit pas impeccable ! Je vis à San-Franscico depuis toujours mais j'ai changé de quartier récemment et vous, d'où venez vous? Ma maison était celle d'une amie avant, elle me la céder mais oui vous avez raison, l'ancienne propriétaire est décédée il n'y a pas longtemps et vous voulez que je vous dise, vous êtes plus sympathique qu'elle ! »

Je ne pus m’empêcher de rire un peu en entendant la dernière phrase, même si ce n’était pas très gentil de plaisanter au sujet des morts. Sur le coup, j’imaginais bien le stéréotype de la petite vieille énervante à souhait qui n’avait rien à faire de ses journées et qui observait donc ses voisins pour passer le temps, puis venait sonner à votre porte à la moindre occasion lorsqu’elle avait des remarques à faire. L’autre détail qui attira mon attention, ce fut le fait que Mlle Halvarez habitait ici depuis toujours. Elle pourrait peut-être m’aider à trouver des repères dans cette ville si je lui demandais gentiment d’être mon guide ?

« C’est gênant pour un maniaque comme moi, malheureusement… hahaha. Là, je viens de Londres. J’ai déménagé pour le travail, mais je suis Français à la base… sans l’accent qui va avec. Je vous rassure, je ne suis pas du tout embêtant comme voisin, ça vous fera un peu de vacances, je pense ? »

J’observe la boîte de biscuits et laisse échapper une petite exclamation enthousiaste en voyant les cookies qu’elle contenait. Après avoir demandé si je pouvais en prendre un, je me servis poliment et croquais dans la gâterie. Dieu ce que c’était bon ! J’irai me chercher un verre de lait tout à l’heure pour manger les autres lorsque je serai seul, c’était sûr et certain. Même si j’étais d’apparence élancé et peu corpulent, pour ne pas dire mince, j’étais capable d’engloutir des tonnes de nourriture lorsque je me lançais, mais ça ne m’a jamais aidé à prendre ne serait-ce qu’un peu de poids, malheureusement…

« Vous me direz ce que vous en pensez, que je sache si je peux en refaire ou non ! Au faite, excusez-moi si je suis trop curieuse mais vous faites quoi dans la vie ? J'ai aperçue les feuilles de dessin ...»

« Mhh, c’est les meilleurs que j’ai goûté jusqu’à présent… il me faudra la recette, vraiment ! »

Tout en terminant mon biscuit, je suivis le regard de mon hôte et vu qu’elle était effectivement en train d’observer mes croquis du coin de l’œil. Sa curiosité ne me dérangeait pas… au contraire, mais c’était à ses risques et périls de me laisser l’occasion de parler de mon travail, car j’aimais ce que je faisais plus que tout au monde. Rectification : c’est la seule chose que j’avais… et quitte à m’enfermer là-dedans pour éviter de trop penser au vide affectif autour de moi, autant y mettre du cœur.

« La curiosité ne me dérange pas ! »

Je me levais pour aller chercher quelques dessins en cours, puis revins pour les lui présenter.

« Je travaille en tant que styliste pour la marque Burberry… je pense que vous connaissez? »

Je lui lançais un coup d’œil par-dessus mes lunettes, puis me redressais d’un air un peu pensif, une main tenant mon menton.

« Je veux dire, vu votre manière de vous habiller et de porter les vêtements… une fille qui a de bons goûts en matière de mode et qui sait se mettre en valeur… hm, vous avez du déjà faire quelque shootings, non ? Ou alors vous êtes déjà mannequin mais je ne suis pas au courant ? »

Je me rendis seulement compte à ce moment-là de ce que j’étais en train de lui raconter et agitais tout à coup mes mains en m’empressant de me reprendre.

« Oh, pardon ! Je ne voulais pas dire de trucs qui portent à confusion, désolé si je vous ai gênée, c’est une déformation professionnelle ! »

Effectivement, dans ma tête, il n’y avait absolument rien d’autre que le point de vue professionnel lorsque je donnais mon avis sur une fille pour la complimenter. Non pas que j’étais insensible aux femmes, loin de là, mais je ne m’en approchais pas pour des raisons qui ne regardaient que moi… ce qui ne m’empêchait cependant pas de me laisser aller de temps en temps lorsque l’occasion se présentait. Mais pas de flirts, pas de rapprochements, rien de tout ça. Il était inutile de penser de moi que je pouvais m’intéresser à une mise en couple et je faisais toujours bien attention à ce que cela soit clair lorsque je couchais avec quelqu’un. Mais bref, il n’était pas question de ça aujourd’hui. Je voyais bien que j’avais gêné ma voisine qui ne savait plus trop comment réagir, ce qui ne m’empêcha pas de continuer à l’observer en faisant attention à ne pas devenir indiscret.

« Je vous remercie pour vos compliments en tout cas, venant d’un professionnel j’apprécie encore plus … »

J’esquissais un sourire en attendant qu’elle m’en dise plus.

« C’est vrai que j’aime la mode, et je fais attention a mes tenues mais non, je ne suis pas mannequin, même si j’ai déjà posé pour mes amis pour les aider, juste comme ça quoi … »

Ah ! Donc, je n’étais pas le seul fou à avoir remarqué qu’elle avait du potentiel. Ca me frustrait un peu, tout ça… j’avais franchement envie de lui « rentrer dans le lard », comme on dit, mais je ne la connaissais que depuis quelques minutes et ce n’était pas très poli de presser une inconnue en lui amenant une tenue directement pour lui dire d’aller « essayer ça tout de suite ». Pour éviter de céder à cette tentation, je m’emparais donc d’un deuxième cookie et croquait dedans en quittant Mlle Halvarez des yeux, bras croisés. Au même moment, elle me tendit mes croquis que je posais à côté de moi.

« Ça promet d’être encore une superbe collection. Ces dessins sont magnifique vraiment. »

Non, ne me relance pas sur le sujet, jeune inconsciente ! De toute façon, je finirais par te mettre la main dessus avant que quelqu’un d’autre passe par-là ! Je ne pus m’empêcher de me pincer les lèvres et pris une grande inspiration pour éviter de dire des bêtises tout de suite. C’était assez étonnant, d’ailleurs… je me sentais très à l’aise en présence de cette fille, ou presque. En même temps, j’étais sociable de nature, alors si elle aussi, forcément…

« Merci beaucoup… oui, je suis assez content du résultat cette fois-ci, je pars confiant. Et vous, sinon… qu’est-ce que vous faites dans la vie ? Je me demandais depuis tout à l’heure… étant donné que je ne connais pas San Francisco et que vous êtes née ici, est-ce que vous accepteriez de me montrer un peu la ville, à l’occasion ? »

Une boîte d’événementiel… ça voulait dire qu’elle en connaissait forcément un rayon sur tous les bons plans de la ville. Eh bien, j’avais beaucoup de chance qu’elle soit venue sonner à ma porte, dites-moi ! Visiblement, Ciara était quelqu’un qui avait beaucoup de choses à raconter et je l’aurais volontiers écoutée un peu plus longtemps, mais elle ne tarda pas à se lever en m’annonçant que le devoir l’appelait ailleurs. Oh. Bon, de toute manière, on aurait l’occasion de se reparler plus tard, n’est-ce pas ? Je la raccompagnais ainsi jusqu’à l’entrée et lui fis la bise pour la saluer, puis chacun retourna à ses occupations pour le reste de la journée.

***

Maintenant que j’étais posé à San Francisco, il était temps de sociabiliser un peu et de me faire quelques amis. J’avais déjà rencontré quelques filles ces derniers temps au travers du boulot, mais ça restait « du boulot », dans le fond. En rentrant chez moi cet après-midi là, je me suis vite débarrassé de mes affaires avant d’aller me servir un verre de jus à la cuisine et c’est à ce moment que mes yeux sont tombés sur un bout de papier où j’avais noté la recette que Ciara avait promit de me donner l’autre jour. Ah, ben voila, j’allais la contacter pour voir si elle était libre ce soir et faire des cookies au passage.

Après quelques messages échangés sur facebook, la jeune femme me confirma que c’était bon pour se voir, alors je partis me changer rapidement pendant que les biscuits étaient dans le four, loin de m’imaginer l’état de stress dans lequel j’avais pu plonger ma voisine. C’est vrai qu’on ne se rendait jamais totalement compte de ce qui se passait dans la tête des gens… et j’étais peut-être une extrême à ce niveau-là, car j’évitais la plupart du temps de me compliquer la vie et je m’imaginais généralement que les autres faisaient pareil tant que je ne les avais pas face à moi.

Une dizaine de minutes plus tard, je sortais de chez moi pour aller voir Ciara qui vint rapidement m’ouvrir la porte avec un grand sourire que je lui rendis automatiquement.

« Hello ! »

Mon premier réflexe fut de lui tendre les cookies que j’avais mis dans la boîte qu’elle m’avait elle-même apportée l’autre jour, puis je la suivis à l’intérieur en observant la déco avec curiosité.

« C’est joli chez toi »

Non seulement ça, mais j’étais assez étonné de voir que la jeune femme avait cette même apparence soignée que lorsqu’elle était venue me voir. Pourtant, on était chez elle… était-ce une habitude? J’appréciais les personnes qui prenaient soin de leur santé, ça démontrait un je-ne-sais-quoi qui disait « je me sens bien et j’ai de l’ordre dans ma vie ». Bon point.

Ah oui, et j’ai oublié de préciser un petit détail, c’est que je n’avais pas pu m’empêcher de ramener une housse à vêtement avec moi que je tenais par-dessus mon épaule avec deux doigts. C’était plus fort que moi, ouais. Mais j’étais comme ça. Spontané. Ou Français, comme vous préférez.

« Je t’ai ramené un cadeau, au fait ! Ca trainait dans mes affaires depuis quelques temps et je ne trouvais personne qui l’aurait bien porté. »

Je tendis le cadeau en question de façon presque pressante en direction de Ciara pour lui faire comprendre qu’elle n’avait pas le droit de refuser et que j’avais « légèrement » envie de savoir à quoi ce truc pouvait ressembler sur une vraie personne. Je ne sais plus quand je l’ai fait… c’était y’a trop longtemps, quand j’étais pas tout à fait opérationnel psychologiquement. Je ne me souviens même plus pourquoi ni comment j’avais eu l’idée de créer une robe pareille.

« Je te préviens, c’est spécial et difficile à porter parce que je l’ai fais pendant une période un peu bizarre de ma vie… mais sur toi ça va passer. »

J’avais croisé les bras en fixant attentivement l’objet encore recouvert, et ce n’est qu’après quelques secondes que je pris conscience de la situation. Mes yeux remontèrent immédiatement vers le visage de mon interlocutrice et j’étouffais un rire.

« Faut pas avoir peur de moi, hein ! Je suis toujours comme ça quand il s’agit de trucs qui me tiennent à cœur, t’as du le voir l’autre jour… alors si je te gêne, dis-le moi et je ferais un peu plus attention. »