La situation dans laquelle était plongé Elyes relevait de l’insupportable. Je ne comptais plus les minutes que j’avais passé à écouter en boucle son dernier message vocal, ni le nombre d’images qui traversaient mon esprit à chaque fois que je fermais les yeux. Toujours les mêmes, cependant. Toujours ce sang, toujours ces blessures qu’il m’a été quasiment impossibles à soigner. C’était un miracle qu’il soit encore en vie et qu’il ait pu ouvrir les yeux… et je parle ici sans exagérer mes propos. Un miracle. J’ai vraiment eu le sentiment qu’il était mort entre mes mains à l’hôpital, sur cette table d’opération, et le simple fait d’y repenser me donnait des sueurs froides. Il me fallait des explications sur ce qui était arrivé à mon meilleur ami, c’est tout ce que je savais aujourd’hui. Ca et le fait que je n’arrivais pas à me décider entre deux bouteilles de vin rouge pour ce soir. Ah oui, car j’ai eu la bonne idée d’inviter la chérie d’Elyes chez moi. À force de la voir lui rendre visite tous les jours, j’ai finis par me dire qu’il serait peut-être bon d’en apprendre un peu plus sur elle et sur la relation qu’elle entretenait vis-à-vis de monsieur je-veux-absolument-me-venger-quitte-à-me-faire-descendre-pour-rien.
Soupir agacé. Je finis par me décider pour un bordeaux et partis payer mes achats sans un mot pour la caissière qui sembla plus intimidée qu’autre chose au vu de ma brusquerie avec la marchandise. Oh, il fallait vraiment que je trouve de quoi me défouler un peu avant l’arrivée de Julie, sinon la soirée allait mal se passer pour elle comme pour moi.
En rentrant à l'appartement, je me dépêchais de ranger les courses à leur place pour tout à l’heure, puis je me changeais en vitesse pour descendre à la salle de gym de l’immeuble où j’habitais afin de m’acharner sur un sac de sable jusqu’à ce que mes niveaux de frustration et d’agressivité retombent. Il n’y a pas à dire, cela me remettait tout de suite les idées en place d’évacuer physiquement ce que je ressentais à l’intérieur – un mal nécessaire quand on savait de quoi j’étais capable lorsque je me laissais emporter par mes émotions et que je perdais mon sang-froid habituel.
Aux alentours de 19 heures, tout était fin prêt pour accueillir mon invitée. Je l’attendais patiemment, assit sur le canapé du salon, avec un zippo à la main que je m’amusais à allumer à répétition pour regarder la flamme naître, puis s’éteindre dès que le clapet se refermait. Dieu sait le nombre d’incendies que cet objet avait provoqués. Après tout, c’était celui qu’Elyes trimbalait toujours avec lui. Malgré son trou de mémoire… si je lui montrais ça, « ils » réagiraient peut-être… lui et son addiction pour le feu. Ceci dit, je n’eus pas plus le temps de réfléchir à ce détail avant que la sonnerie de la porte retentisse et que je me lève pour aller ouvrir.
Perdue dans mes songes à l'intérieur d'un taxi, je me ressassais tous les événements survenus ces six derniers mois. Tant de choses s'étaient produites, c'était dingue. J'étais très embarrassée à l'évocation d'un seul sujet, tout le reste se dissipant presque instantanément. Ce sujet concernait Elyes. Entre lui et moi, c'était tantôt rose tantôt noir. Et ces derniers temps, il s'avérait que la tendance virait fortement au noir. Le jeune homme s'était retrouvé à l'hôpital, pour une bien mystérieuse raison qui m'était encore inconnue et en plus, il souffrait d'amnésie. J'étais tout bonnement furieuse de l'issue de cet événement, j'étais si heureuse qu'il se réveilla et si chagrinée qu'il ne se souvint plus de moi. De personne. Même pas de lui-même. Tout était incompréhensible et le grand mystère autour de cet incident demeurait encore. J'avais un espoir de tenter de comprendre ce qui s'était passé, et cet espoir portait un nom, William. Le meilleur ami d'Elyes. Celui qui devait en savoir bien plus que moi, c'était certain. Les deux s'adonnaient à des occupations que j'ignorais toutefois je ne doutais pas que chacun soit au courant de ce que l'autre fabriquait. Donc, pour moi, William devait tout savoir. C'est en principe pour cette raison que j'ai accepté de me rendre chez lui. Je craignais d'accepter, me demandant ce que j'allais bien faire chez le meilleur ami de mon amant. D'ailleurs, cette histoire d'amants n'est peut-être plus qu'une simple histoire relevant désormais du passé.Bref, je me rendais chez lui parce que j'étais curieuse. Curieuse de savoir qui il était et j'étais désireuse d'en apprendre davantage à son sujet. Après tout, il me surveillait constamment à chacune de mes visites à l'hôpital pour voir Elyes. Il fallait bien qu'on fasse plus ample connaissance.
J'étais arrivée chez lui. Un peu nerveuse, je ne cessais de me pinçais les lèvres tout en passant la main dans mes cheveux. Terrible habitude. Il m'ouvrit la porte rapidement. J'étais encore surprise qu'il m'ait invitée mais vraiment très ravie. « Bonsoir William. » Un mince sourire se dessina sur mon visage et j'appréhendais le déroulement de cette soirée. Il avait un zippo à la main. Etonnée par cet engin, je fronçais les sourcils en riant légèrement. « Tu veux faire un feu de camp ? Pourquoi pas ! » Ma blague était un petit peu ridicule, mais ma nervosité prenait le dessus. Je ne savais même pas de quoi j'allais bien converser avec lui. Je ne pus m'empêcher d'admettre que William m'effrayait un peu, en fait, je le redoutais en quelque sorte.