Je fixai ma tasse de café depuis un bon moment maintenant, pensive. Habituellement, je buvais un verre de jus d’orange mais n’ayant pas dormi depuis deux jours désormais, il me fallait quelque chose de corsé. Quelque chose qui me permettrait de tenir le coup. Et dieu que mes nerfs en avaient besoin ces derniers temps ! Je ne tiendrais pas longtemps à ce rythme, j’en étais parfaitement conscience mais les habitudes ont la vie dure. D’ailleurs, mon ventre était noué à la simple idée d’avaler ce liquide qui n’avait pourtant aucun goût. J’étais bien trop stressée. Trop pour me lever et aller courir au bord de la plage comme à l’accoutumée. Mes jambes semblaient pesées de tonnes, de même pour mon corps. J’avais la sensation que jamais je ne pourrais les déplacer. Je soufflai et passai une main dans mes cheveux. Je jetai un regard la fenêtre et me perdis dans la contemplation de la mer.
Je n’arrivais toujours pas à croire ce que m’avait annoncé Eliott hier soir. C’était trop…énorme. Enfin si j’y croyais mais l’idée que jamais plus je ne l’aurais revu me hantait et me donnait des sueurs froides. Un accident de voiture. Tellement brutal et soudain. Je n’aurais jamais pu au grand jamais imaginé cela. Dans mon esprit il était chez lui en compagnie de sa petite amie, nouvellement fiancée et il ne nous restait qu’à décider d’une date pour se voir. Rien de bien dramatique. J’étais à mille lieux de songer qu’il était dans le coma. C’était terrifiant. Terrifiant car je n’aurais très bien pu ne jamais le revoir. Jamais. Cette simple idée suffisait à m’abattre et à provoquer en moi des tremblements incontrôlables. Je me rendis compte, avec effroi, que j’étais nettement plus attachée à lui que je ne l’aurais pensé. Et je n’aimais pas spécialement cela. Je détestais cet aspect-ci de ma personnalité qui consistait à s’abandonner lorsque j’aimais une personne autant en amitié qu’en amour. Cela m’avait coûté cher dans le passé et je m’étais juré que jamais plus on ne m’y reprendrait mais il faut croire que les promesses ne suffisent pas. Je perdais le contrôle et je devais avouer que cela m’effrayait beaucoup. Je ne le supportais pas. Je secouai la tête pour chasser ces idées de mon esprit.
J’avalai une gorgée de la boisson insipide et compris que c’était tout ce que j’avalerais aujourd’hui. Mon estomac n’en supporterait pas plus. Eliott m’avait assuré qu’il n’y avait pas lieu de m’inquiéter mais plus facile à dire qu’à faire. Et puis je ne pouvais faire autrement. Il était mon Poussin. Et les mères poules se doivent de protéger leur poussin. Je m’inquiéterais toujours pour lui, c’était dans ma nature de le faire pour les gens que j’aimais. Tout comme d’être possessive, mais ceci était une autre histoire. A l’origine il ne voulait pas que je vienne le voir, me disant qu’il allait bien mais j’avais besoin de le voir pour y croire. Un accident de voiture et le coma n’étaient pas choses anodines. Et j’étais bien trop mère-poule avec lui pour me satisfaire de ses simples explications. Je savais que tout ce qu’il désirait c’était me rassurer mais je n’aurais su me satisfaire de simples paroles. Je lui avais dit que je viendrais lui rendre visite et je ne tolérais aucun refus, il fut donc forcer d’accepter. Si ce n’était que moi j’y serais déjà, cependant il m’avait demandé de venir tard, je me devais donc d’attendre. Et les minutes semblaient prendre un malin plaisir à aller à reculons. Le contrôle du temps serait une très belle invention, dommage que les humains en soient incapables.
Je restai toute la matinée pendu à mon portable, attendant impatiemment le moment d’y aller, qui d’ailleurs mit des siècles à arriver. C’était drôle de voir à quel point le temps pouvait ralentir lorsqu’on désirait qu’il accélérât. Qu’importe, c’était le moment. J’attrapai ma veste en cuir, il ne faisait pas froid mais je me sentais mal à l’aise sans et je sortis. Je ne mis pas longtemps à arriver à l’hôpital et avant de pénétrer l’immense bâtisse, je patientai quelques instants. C’était toujours une épreuve pour moi que de venir ici. C’était le lieu de toutes mes désillusions. J’inspirai une grande goulée d’air frais pour me donner du courage et entrai. Je me présentai à l’accueil où l’on m’indiqua la chambre d’Eliott. Je m’y rendis sous les indications reçues et en chemin je croisai mon médecin traitant qui me sourit. Son sourire était plein de pitié et condescendance, choses que je détestais le plus au monde. J’avais une sainte horreur que l’on s’apitoie sur mon sort, surtout une personne que j’étais amenée à côtoyer très souvent. Je me contentai, pour ma part, d’un sourire et d’un regard froid, en espérant qu’elle comprenne le message. Devant la porte de la chambre qu’occupait mon Poussin, je pris quelques instants pour mettre mes idées au clair. Je ne savais pas ce qui m’attendait à l’intérieur et il fallait que je me prépare au pire bien qu’il m’affirmait qu’il serait apte à sortir bientôt. Je frappai puis entrai. Je ne le fixai pas tout de suite, désireuse de retarder le moment fatidique. « Salut toi ! » dis-je en tentant de conserver une voix calme et posée. « Comment tu vas ? » demandai-je en refermant la porte qui semblait soudainement très intéressante. J’allai chercher la chaise que je rapprochai de son lit, évitant soigneusement de le regarder. Je savais qu’il faudrait que je le fasse à un moment ou à autre…le plus tard serait pour le mieux.
Je fixais mon plateau, posé sur une légère tablette elle-même soigneusement fixée au-dessus de mon lit. Coquillettes jambon et yaourt, super. J’étais habitué à manger mieux. J’avais toujours détesté l’hôpital, autant pour les fois où je m’y suis rendu pour moi-même que les fois où j’y suis allé pour les autres. Je soupirais de mécontentement, de toute manière je m’en fiche puisque je n’ai pas faim. Je n’ai pas mangé depuis que je me suis réveillé de mon coma, ça doit sûrement être un résultat du choc, ça reviendra au fur et à mesure. Pour le moment, tout ce que je fais c’est attendre les visites de ma fiancée, de mon frère, et de quelques amis. Je n’avais pas forcément voulu divulguer l’information sur mon état à quiconque, et Charlotte et Khris ne semblaient pas en avoir réellement discuté avec mon entourage. Tant mieux dans un sens. Dans l’autre, j’allais me faire défoncer par tous mes proches. Khris n’allait pas me défoncer mais plutôt me massacrer et me découper en petites rondelles. Maintenant il fallait que j’en parle à Lera. Sa petite bouille me manquait un peu, ça faisait longtemps que l’on ne s’était pas vraiment vus. Vous me direz, c’est sûr que l’hôpital en tant que lieu de rencontre c’est assez moyen, mais j’avais besoin de sa compagnie dans un sens, même si elle m’engueulait sur le coup. Sa colère serait passagère, son inquiétude certainement longue. Lera est une vraie mère poule, même peut-être parfois un peu trop à mon goût. Mais j’évitais de le lui faire remarquer, histoire de ne pas la faire monter sur ses gonds. La colère d’une femme n’est jamais très bonne.
J’attrapais brièvement mon portable, d’une main faible, posé sur ma table de chevet et tapotais l’adresse de Facebook. Mon doigt glissait jusqu’à la section chat et s’arrêtait sur l’image de Lera. La photo de mon amie laissa place à un lieu de discussion où je tapais mes premiers mots. Comment le lui annoncer ? Cela ne servait à rien de faire 36 000 détours, autant que j’attaque dès le début même si cela paraît un peu cru. Au moins elle était au parfum. Et comme je m’en étais douté, Lera était plus qu’inquiète. J’avais beau essayé de la rassurer, elle tenait absolument à passer me voir. Certes, je n’arrivais pas tellement à tenir sur mes jambes, j’avais mal à la tête et de larges blessures sur le visage, mais tout cela serait guéri en temps et en heure. Il faudra laisser le temps faire.
J’avais alors reposé mon portable sur la table, j’attendais simplement que la petite Lera arrive. De longues minutes passèrent. Je détestais l’hôpital pour sa nourriture, mais également parce que l’on n’avait jamais rien à faire. A la télévision, aucun programme potable ne s’affichait, rien d’intéressant non plus à la radio, aucune possibilité de descendre à la cafétéria ou à la presse puisque je ne pouvais pas marcher longtemps sans l’aide d’une infirmière qui évidemment ne venait presque jamais, aucun usage d’ordinateur ou de portable autorisé. J’avais finalement agit comme un hors la loi, haha. Lera arriva enfin, me sortant de la vie triste et monotone que je menais depuis quelques jours. Elle rentra, me demanda comment j’allais et faisait son petit ménage dans la chambre. Elle posait sa chaise au sol, se mettait à l’aise, mais je voyais que quelque chose n’allait pas. Je l’observais, ne répondant d’abord rien, et l’examinais. Pourquoi est-ce qu’elle ne me regardait pas ? Je n’étais pas un cadavre non plus. Avait-elle fait une connerie ? Charlotte lui avait dit que je faisais peur au point de faire une crise cardiaque ou de tomber dans les vapes ? Je lui répondais cependant, ne faisant aucune objection à son comportement qui, il faut l’avouer, me mettait mal à l’aise. « Oui oui ça va, et toi ? » Je fixais mon plateau, posé sur une légère tablette elle-même soigneusement fixée au-dessus de mon lit. Coquillettes jambon et yaourt, super. J’étais habitué à manger mieux. J’avais toujours détesté l’hôpital, autant pour les fois où je m’y suis rendu pour moi-même que les fois où j’y suis allé pour les autres. Je soupirais de mécontentement, de toute manière je m’en fiche puisque je n’ai pas faim. Je n’ai pas mangé depuis que je me suis réveillé de mon coma, ça doit sûrement être un résultat du choc, ça reviendra au fur et à mesure. Pour le moment, tout ce que je fais c’est attendre les visites de ma fiancée, de mon frère, et de quelques amis. Je n’avais pas forcément voulu divulguer l’information sur mon état à quiconque, et Charlotte et Khris ne semblaient pas en avoir réellement discuté avec mon entourage. Tant mieux dans un sens. Dans l’autre, j’allais me faire défoncer par tous mes proches. Khris n’allait pas me défoncer mais plutôt me massacrer et me découper en petites rondelles. Maintenant il fallait que j’en parle à Lera. Sa petite bouille me manquait un peu, ça faisait longtemps que l’on ne s’était pas vraiment vus. Vous me direz, c’est sûr que l’hôpital en tant que lieu de rencontre c’est assez moyen, mais j’avais besoin de sa compagnie dans un sens, même si elle m’engueulait sur le coup. Sa colère serait passagère, son inquiétude certainement longue. Lera est une vraie mère poule, même peut-être parfois un peu trop à mon goût. Mais j’évitais de le lui faire remarquer, histoire de ne pas la faire monter sur ses gonds. La colère d’une femme n’est jamais très bonne.
J’attrapais brièvement mon portable, d’une main faible, posé sur ma table de chevet et tapotais l’adresse de Facebook. Mon doigt glissait jusqu’à la section chat et s’arrêtait sur l’image de Lera. La photo de mon amie laissa place à un lieu de discussion où je tapais mes premiers mots. Comment le lui annoncer ? Cela ne servait à rien de faire 36 000 détours, autant que j’attaque dès le début même si cela paraît un peu cru. Au moins elle était au parfum. Et comme je m’en étais douté, Lera était plus qu’inquiète. J’avais beau essayé de la rassurer, elle tenait absolument à passer me voir. Certes, je n’arrivais pas tellement à tenir sur mes jambes, j’avais mal à la tête et de larges blessures sur le visage, mais tout cela serait guéri en temps et en heure. Il faudra laisser le temps faire.
J’avais alors reposé mon portable sur la table, j’attendais simplement que la petite Lera arrive. De longues minutes passèrent. Je détestais l’hôpital pour sa nourriture, mais également parce que l’on n’avait jamais rien à faire. A la télévision, aucun programme potable ne s’affichait, rien d’intéressant non plus à la radio, aucune possibilité de descendre à la cafétéria ou à la presse puisque je ne pouvais pas marcher longtemps sans l’aide d’une infirmière qui évidemment ne venait presque jamais, aucun usage d’ordinateur ou de portable autorisé. J’avais finalement agit comme un hors la loi, haha. Lera arriva enfin, me sortant de la vie triste et monotone que je menais depuis quelques jours. Elle rentra, me demanda comment j’allais et faisait son petit ménage dans la chambre. Elle posait sa chaise au sol, se mettait à l’aise, mais je voyais que quelque chose n’allait pas. Je l’observais, ne répondant d’abord rien, et l’examinais. Pourquoi est-ce qu’elle ne me regardait pas ? Je n’étais pas un cadavre non plus. Avait-elle fait une connerie ? Charlotte lui avait dit que je faisais peur au point de faire une crise cardiaque ou de tomber dans les vapes ? Je lui répondais cependant, ne faisant aucune objection à son comportement qui, il faut l’avouer, me mettait mal à l’aise. « Oui oui ça va, et toi ? »
Après de longues secondes qui parurent des heures, je portai enfin mon regard sur Eliott. Je ne pouvais pas repousser l’échéance plus longtemps. Et je sentais bien que mon poussin était mal à l’aise. Qui ne l’aurait pas été après tout ? Je débarquai et fuyais son regard ainsi que son corps comme la peste. Je me devais de me ressaisir. Si vraiment son état était grave, je doutai qu’il ait besoin de regards fuyants et emplis de condescendance pour l’aider à aller mieux. Au contraire, cela ne ferait que créer un profond malaise. C’était comme ces personnes en fauteuil roulant qui n’aspiraient qu’à une chose, que l’on passe outre le fait qu’ils étaient paraplégiques et que l’on s’intéresse à ce qu’ils étaient réellement. Que l’on ne les observe avec pitié et une compassion plus proche de la condescendance qu’autre chose. Ils voulaient vivre normalement. Sans être observés comme des bêtes curieuses. Que l’on les considère comme nos égaux. Je coupai court à cette pensée que je trouvais inutile et inappropriée dans un moment pareil. Tout était visiblement bon pour retarder le moment fatidique.
J’inspectai l’état d’Eliott en prenant soin de ne rien laisser paraitre. Je l’avais assez mis mal à l’aise pour aujourd’hui. « Oui, oui ca va, et toi ? » répondit-il alors que je l’observai et je pus ainsi constater qu’il ne me mentait pas, c’était un bon début. Son état était bel et bien comme il me l’avait décrit par Facebook la nuit dernière. J’appréciais qu’il ne m’ait pas dit tout cela afin de me rassurer bien que je m’inquiétais toujours trop. Je le savais. Mais c’était dans ma nature. Il était comme cet enfant que j’avais perdu. Je n’arrivais toujours pas à croire que je m’étais autant attachée à lui, visiblement c’était le cas. Moi qui m’étais promis que plus jamais on ne m’y reprendrais, j’avais l’air fin maintenant. Non pas que je le regrettais, bon peut-être un peu, mais je n’y étais pas habituée. Et cela ne me plaisait pas de tenir autant à des personnes. On avait coutume de dire que s’attacher à quelqu’un c’était prendre le risque de le perdre et je ne le voulais pas. Ce qui me renvoyait à Eliott. J’avais toujours du mal à croire que j’aurais pu ne jamais le revoir…c’était vraiment effrayant comme sensation. Je devrais sans doute arrêter de songer à tout cela puisqu’il semblait aller bien mais je ne pouvais m’empêcher de penser au pire. C’était tout moi ça. Tout allait bien, cependant il fallait que je trouve toujours redire. Constamment.
Je décidai de chasser tout cela de mon esprit et de porter toute mon attention au brun juste en face de moi. Il allait bien et j’en étais franchement soulagée. Toute la tension que j’avais accumulée depuis qu’il m’avait annoncée avoir eu un accident semblait peu à peu s’évaporer. « Ca va mieux maintenant. » répondis-je en vrillant mes prunelles dans les siennes tout en souriant. C’était vrai. Il allait bien et c’était tout ce qui comptait pour l’heure. « Bon dieu, qu’est-ce que t’es pâle ! Tu ferais peur à un fantôme, c’est pour dire ! » m’exclamai-je en lui pinçant les joues avant qu’il ait eu temps de réagir. « Voilà un peu de couleur ça te fait pas de mal ! T’as l’air plus vivant comme ça ! » Son visage se peignit d’une expression faussement boudeuse à laquelle je répondis avec un grand sourire. Je me levai et me mis à détailler la pièce dans lequel il reposait et la première chose qui me parut urgent, était de d’éclairer et de d’aérer un peu, ce que je fis. Je m’attardai un peu devant la fenêtre, contemplant la magnifique vue sur l’océan qu’offrait sa chambre. « Attends, t’as une vue pareille et tu restes au lit ? Espèce de larve ! » Soupirai-je théâtralement en retournant m’asseoir à ses côtés. J’ancrai une nouvelle fois mon regard au sien, plus sérieuse cette fois-ci. « Alors, comment tu t’es retrouvé ici ? » J’étais plutôt curieuse. Je doutai qu’Eliott soit de ceux qui s’amusaient à faire des rallyes sur la voie publique, il était plus responsable que cela.
Le temps passa, encore et encore dans le silence dans lequel je me noyais depuis des heures, et s’écoulait d’une manière fine, délicate, d’une manière longue et infinie comme le sable s’écoulait dans son sablier. Elle me regarda, enfin. Ce fut comme une vague de soulagement, son regard fuyant n’ajoutait qu’un poids supplémentaire à la scène. Je ne souhaitais pas qu’on vienne me voir simplement pour me rappeler que je suis amoché, que je ne ressemble plus à grand-chose ou même que je fais peine à voir. Être considéré normalement, passer du bon temps avec ses proches étaient les deux seules choses que je désirais réellement, en plus de vouloir sortir de cette cage. Si j’avais pu faire fonctionner mes jambes correctement, j’aurais certainement pu être comparé à un lion qui parcoure sa cage de long en large sans pouvoir en sortir. Triste sort. Tout aussi triste que celui des handicapés d’ailleurs, tant physiques que mentaux. C’est cette impression que cette scène me donnait, Lera me fuyait du regard comme n’importe qui fuirait du regard un handicapé, ne serait-ce que pour éviter une gêne quelconque entre les deux personnes. Pourtant, dans mon cas, elle aggravait les choses. J’avais besoin de reconnaissance, d’un support, et aucune envie d’être traité comme … un objet qu’on ne veut pas regarder et qui n’a pas de sentiments, comme quelque chose dénué de sens et sans grand intérêt. Lera ne devrait avoir aucune surprise, je l’avais prévenu de ce qui l’attendait réellement, c’est-à-dire rien de très extraordinaire ou de surprenant. Je ne voyais pas pour quelle raison je lui aurais menti, de toute manière elle aurait vu ou su tôt ou tard, il n’y avait aucun intérêt à un tel mensonge. Je ne tenais pas plus à rester dans l’oubli qu’exagérer mon sort pour attirer l’attention sur moi-même. Me fondre dans la masse m’allait très bien.
J’avais quelques égratignures, coupures, et hématomes c’est vrai mais je n’étais pas arrivé à un point de non-retour qui pourrait me faire ressembler à... rien ? Un monstre ? Je n’étais pas un monstre, elle pouvait lever les yeux sur moi et effacer d’un regard les blessures qu’elle verrait. Je lui souriais, prenant un air radieux. Ce sourire n’était pas réellement hypocrite, je me voulais certes rassurant mais il était également dans mon but de manifester le plaisir que j’éprouvais vis-à-vis de sa visite. Un peu d’air frais, de gaité et de bonheur faisait plaisir à voir. Cela changeait réellement de l’ambiance horrible de l’hôpital. Je n’étais pas situé du côté de la gériatrie, ni même du côté des malades mentaux encore admissibles hors d’un hôpital spécialisé, mais entendre les infirmières courir et les urgences s’accumuler face à un cas difficile en face de ma chambre me paraissait insupportable. J’étais dans cette chambre, en train de me faire soigner, tandis que d’autres décédaient sous le poids de maladies dans les chambres voisines, à simplement quelques mètres de moi. C’est pourquoi, en plus de la raison emblématique que forme l’ennui, j’avais hâte de m’extirper de ce lieu. Alors voir Lera, voir Charlotte, ne pouvait que me rassurer, me changer les idées. Tout cela me faisait davantage aspirer à sortir. J’en aurais eu la possibilité, je me serais enfui et j’aurais couru aussi vite que possible vers une destination que le personnel médical ne connaîtrait pas. Ça aurait mis un brin d’adrénaline dans ma vie, et ça aussi ça m’aurait fait changer de cet endroit sordide. Mais je n’en avais pas la possibilité, malgré moi, malheureusement. Cependant, Lera était un réel rayon de soleil quand elle le voulait, et ça, ça changeait tout.
Elle s’était fait un sang d’encre, cela se sentait autant que cela se voyait. Sa réponse à ma question me confirma que sa visite lui procurait une vague de soulagement. A tous les coups elle s’était fait peur elle-même avant de venir ici, elle avait dû se monter un film complet dans sa tête à un tel point qu’elle redoutait cette visite. Elle me pinça les joues, paraît-il pour me redonner un peu plus de couleurs. J’étais pâle, je n’en doutais pas. Le peu de mouvements que j’avais la chance de faire bloquaient en quelques sortes ma circulation sanguine, c’était logique. Elle s’enjoua vis-à-vis de la vue sur la mer qu’offrait ma chambre. Elle avait raison, la vue était splendide et la contempler était un réel délice même si ce moment ne durait que très rarement longtemps. Si seulement les fenêtres de la chambre avaient été fixées plus basses afin de permettre à un fauteuil roulant de contempler la vue. J’associais réellement cet hôpital à la misère. Lera était si théâtrale dans le moindre de ses mouvements et de ses paroles, ramenant tout à un drame, que je ne pouvais m’empêcher de sourire finalement. Vint le moment largement moins amusant, où Lera pris un air plus sérieux et s’asseya à nouveau à mes côtés pour me demander en quelles circonstances mon accident s’était produit. « C’est-à-dire que… » Je ne savais pas par où commencer, en fait si mais je savais que Lera aller râler. Du moins c’était ce que j’imaginais au plus profond de moi-même. « Charlotte était dans son appart’, et elle ne se comportait pas tellement… Enfin ça me plaisait pas, elle était bourrée et j’avais peur qu’elle fasse une connerie. » Je marquais une pause dans mes propos et continuais « Alors je suis parti en voiture pour la rejoindre et… la surveiller en quelques sortes. Veiller sur elle plutôt, ça me semble plus approprié étant donné les circonstances, et puis… » je m’arrêtais et cette fois laissait planer un silence. Moment fatidique. « Je conduisais et je gardais un œil sur mon portable, au cas où si Charlotte faisait une connerie et décidait de me le dire sur Facebook. Comme je discutais, j’étais distrait, et la voiture s’est décalée sur la gauche, j’ai pas réellement eut le temps de rattraper ma connerie. Alors j’me suis pris la voiture d’en face devant l’appartemment de Charlotte. C’est tellement con je sais… » Je n’étais réveillé que depuis très peu de temps, tellement peu de temps que je n’avais pas réellement resongé à ça mais plutôt pensé à me lamenter sur mon sort. Pourtant il fallait que je me pose une question essentielle, une question qui pourrait me réduire à néant si la réponse ne correspondait pas à mes attentes. « Qu’est-il arrivé à la conductrice en face ? Elle a survécu ? Elle est dans l’hôpital ? Ne me dis pas qu’elle est décédée » En réalité, je doutais que Lera en sache davantage sur elle que moi, mais j’espérais qu’elle serait en mesure de m’apporter une bonne nouvelle.
Alors que je l’écoutais me raconter la manière dont il s’était retrouvé ici, une voix continuait de hurler que jamais je n’aurais pu le revoir. A jamais. Il serait devenu poussière. Six pieds sous terre. Bouffer les pissenlits par la racine. Passer l’arme à gauche. Le néant. J’avais beau essayer par tous les moyens de la faire taire, elle continuait de brailler. Sans cesse. M’assourdissant presque. Affolant mon rythme cardiaque. Je voyais qu’il allait bien. Qu’il n’avait rien dont il ne pourrait se remettre. Mais l’angoisse, la terreur que j’avais ressentie en apprenant cette nouvelle demeuraient. Je ne parvenais pas à m’en débarrasser. Pourquoi diable ne pouvais-je simplement me réjouir du fait qu’il fût en vie ? Pourquoi fallait-il que l’être humain pensât toujours au pire ? Dieu que je haïssais cette faculté. Je voulais sourire, faire part de ma joie de le savoir en un seul morceau mais l’idée que tout ceci n’aurait pu se faire me tenaillait, me dévorait douloureusement les entrailles. Néanmoins, je ne laissai rien paraitre et écoutais Eliott, bien que d’une oreille discrète. Un moment. Charlotte. C’était donc à cause d’elle que Eliott aurait pu y passer et pour de bon cette fois. Je n’arrivais rien contre cette fille. Enfin jusqu’ici. Je savais qu’elle avait quelques ressentiments à mon égard pour une raison qui m’échappait et honnêtement je m’en fichais pas mal. De toute manière quoique l’on fasse dans la vie, il y aura toujours des personnes pour nous détester, après tout nous n’étions pas dans un de ces dessins animés pour enfants censés leur faire croire que tout était bien dans le meilleur des mondes, que tout le monde aimait son prochain. Bullshit. Si tel univers existait, c’est que nous aurions officiellement pénétrer la troisième dimension si ce n’était la quatrième. Qu’importait à mes yeux que l’on me détestât, je préférais souvent d’ailleurs que ce soit le cas, ainsi je ne m’embarrassais pas de sentiments inutiles et d’attachements absurdes. L’attachement en voilà un concept tordu et tout bonnement masochiste. Bon, je n’oubliais pas que Eliott avait lui aussi sa part de responsabilité dans son accident, une très grand part mais c’était sa copine qui avait tout déclenché. Elle connaissait fort bien son petit-ami et était censée prévoir qu’il réagirait certainement de la sorte. C’était de l’Eliott tout craché. Je ne dis mot. A quoi cela aurait-il servi ? Il n’avait pas besoin de moi pour savoir qu’il avait merdé, inutile de le lui répéter dans ce cas et puis je lui avais promis de ne pas m’énerver même si l’envie était très forte. Je n’avais qu’une envie me lever et lui mettre une gifle pour l’inquiétude que j’avais ressentie et surtout pour avoir été aussi démesurément imprudent. « Si tu tenais tant que ça à mourir, tu n’avais qu’à venir me voir, j’aurais été ravie de t’aider. » Un sourire. Sarcasme. Se rendait-il compte que tout aurait pu s’arrêter aujourd’hui ? Mais bordel de merde ! Je me pinçai discrètement l’arrête du nez, il ne servait à rien non plus de s’énerver ainsi. Cela ne changerait rien, c’était du passé désormais. Je ne pus de toute façon rester fâchée contre lui lorsque je vis son expression suivante et ainsi que le ton avec lequel il m’interrogeait sur l’autre conductrice. « Navrée… » Soufflai-je. Trop obnubilée par son état, je ne m’étais pas souciée de savoir comment se portait l’autre…et au fond je ne m’en souciais pas tant que ça. J’espérai tout de même qu’elle fût encore en vie. Je n’étais pas de ces gens qui s’émouvaient du malheur des autres sans les connaitre, attitude que je trouvais complètement hypocrite. Soyons honnête, lorsqu’un malheur ne nous touchait pas personnellement, il nous était impossible de faire preuve d’empathie. Ce serait plus de l’ordre de la compassion…et encore au stade minimum de la chose. L’Humain était ainsi. Quand ça ne le concernait pas, il s’en fichait pas mal. Des populations qui mourraient chaque jour à la guerre, nous tombions sur la chaîne nous faisant d’un reportage fait dans ce pays, nous ressentions un petit quelque chose durant l’espèce de cinq secondes et nous n’avions plus qu’à changer de chaîne, c’en était terminé. Nous poursuivions nos vies comme si de rien n’était. Tout simplement. « Si tu veux on va appeler l’infirmière censée s’occuper de toi, elle sera plus à même de me renseigner que toi. Plus vite tu seras fixé, mieux ce sera. » Je ne lui laissai même pas le temps de répliquer que m’exécutai. A quoi bon retarder l’échéance.
S’il y avait une chose à laquelle je pensais, il s’agissait bien de celle-là. Quelques secondes avant que ma voiture ne se soit égarée de la route et ne percute la voiture en face de la mienne, malgré moi, j’avais eu le temps d’apercevoir un visage. Un visage de femme, fin, et des cheveux bruns. Elle était seule, à moins d’avoir un bébé à ses côtés, mais j’étais presque persuadé qu’elle l’était réellement. Tout le monde s’était occupé de moi, tout le monde venait me voir, me demandait des nouvelles, m’engueulait aussi en passant, en bref tout le monde se focalisait sur moi. Et personne sur elle. En fait… peut-être que si, mais je n’en savais absolument rien. Aucune nouvelle de sa part. Je doutais, de toute façon, qu’elle ait la volonté de venir me voir et de prendre de mes nouvelles. Cela serait équivalent à me remercier, et à me dire que ce n’était pas ma faute. Mais ça l’était, complètement. J’étais le seul maître de mon véhicule, il n’y avait que moi pour le diriger, et j’étais le seul responsable de ma faute. Charlotte avait beau vouloir porter la faute sur ses épaules, elle n’avait pas à le faire. J’aurais simplement dû rester sur le droit chemin, tant dans le sens propre que dans le sens figuré du terme.
Quoi qu’il en soit, je n’avais aucune nouvelle de cette femme. Mystérieuse femme dont, évidemment, je ne savais rien. Et j’aurais voulu en avoir, plus que n’importe quoi. J’avais peut-être trop peur au fond, peur de ce qui avait pu lui arriver. Je ne la connaissais pas, je n’étais pas spécialement attachée à elle, mais savoir que j’aurais pu tuer, ou que j’ai peut-être d’ores et déjà tué quelqu’un, me rendait malade. Encore plus que je ne l’étais déjà. Lera ne savait pas, Charlotte ne savait pas non plus. Tout ce silence pesait trop lourd sur mes épaules. Peut-être le savaient-elles mais ne voulaient-elles pas me le dire, parce qu’elles ne voulaient pas me bousculer ? Est-ce qu’elles s’étaient mises d’accord pour ne rien m’avouer ? Elles n’étaient pas spécialement proches, mais elles auraient été capables d’agir de cette sorte. Je passais mon temps à l’hôpital à penser à tout cela, je n’avais que ça à faire, et je n’arrivais pas à me sortir de ce gouffre dans lequel j’étais tombé et m’étais perdu.
Je semblais distrait. Je l’étais toujours en fait depuis mon arrivée à l’hôpital. J’en étais arrivé à un point où la santé de cette femme m’inquiétait plus que ma propre vie. Je souriais doucement à la remarque de Lera. Peut-être que j’aurai envie de me tuer en sachant ce que j’ai provoqué, en sachant que j’ai tué à quelqu’un. Alors pour l’instant, je lui souriais, faisant mine de prendre ça à la rigolade. Tuer quelqu’un et vivre après en prétendant avoir oublié revenait à vivre la vie d’un autre, à voler une vie et la gaspiller. Sourire, sourire. On sourit devant l’objectif, mais on laisse tomber le masque dans les coulisses. Mes yeux s’éclairent lorsque Lera me propose d’appeler l’infirmière. Alors on ne me cache rien, du moins pas Lera. Pas de coup monté. J’accepte, trop tard puisque Lera est déjà partie à sa recherche, plein d’appréhension. Je prie au fond pour recevoir une bonne nouvelle de la part de l’infirmière, et pas ce genre d’informations qui bouleversent toute une vie, toute une famille. Voir le dévouement de Lera pour moi me fait sourire, me touche même. I’m happy to have such a dedicated friend.