| Mer 8 Fév - 21:29 | |
| My Story Vous savez, j'ai passé mon enfance à me sentir coupable des disputes entre ma mère et mon père. J'étais persuadée que les assiettes qui éclataient contre les murs étaient les conséquences de mes actes, quels qu'ils soient. Chaque fois que le ton commençait à monter entre mes deux parents, je me réfugiais dans un coin de ma minuscule chambre, et fermait les yeux, les mains posées sur mes oreilles. Je détestais les disputes de mes parents. En même temps, quel enfant de sept ans aime lorsque ses parents se disputent ? Je pouvais rester dans cette position des heures, s'il le fallait. Je ne bougeais pas d'un millimètre jusqu'à ce que ma porte s'ouvre, laissant paraître l'ombre rassurante de ma mère. Alors, je courrai dans ses bras protecteurs, laissant mes larmes dévaler mes joues de petite fille. Mon père pouvait être très violent. Il lui est arrivé de gifler ma mère, parfois même de la frapper jusqu'au sang. Cependant, il ne m'a jamais touchée. Sûrement parce que ma mère l'en empêchait en s'interposant entre nous chaque fois qu'il tentait de m'approcher.
Ce n'est que bien plus tard, vers mes treize ans, que j'ai compris que toutes ces disputes n'était que le résultat des multiples tromperies de mon père. Ma mère ne pouvait se résoudre à divorcer. Elle ne m'en a jamais donné la raison. Elle me répétait seulement qu'on avait besoin de lui. Puis, il y a eu cette soirée chaude de décembre. Une autre dispute avait éclaté, mais celle-ci était bien plus violente. J'étais tétanisée, incapable de faire le moindre mouvement. Assise dans les escaliers, je les regardais sans même le vouloir. Elle était à terre, lui était debout. Il enchaînait les coups de pieds, les coups de poings, en hurlant des insultes en une langue que je ne comprenais pas. De l'espagnol, je crois. D'où mon aversion pour les espagnols, quels qu'ils soient. La scène durait depuis quelques minutes, et déjà, ma mère était à bout de force. je la voyait pleurer, crier, supplier. Il ne l'entendait pas, ne voulait pas l'entendre, continuait de frapper plus fort encore. Je ne contrôlait plus mes larmes, les laissant couler comme jamais. Je m'accroche aux barreaux de la rampe, la vue troublée. Je ferme brusquement mes yeux, serrant un peu plus fort les barreaux. Je n'entendais plus rien, seulement un bourdonnement sourd. Je supplie intérieurement, incapable de faire sortir un son de ma gorge. « Maddie ! Cours ! » Elle voulait que je cours, que je m'enfuis. Impossible. J'étais encore top paralysée pour faire le moindre mouvement. J'ouvre les yeux, la voit, à terre, complètement défigurée, et lui, toujours debout, le manche du balai à la main. Il me regardait. Je devais partir, je devais me lever et courrir le plus loin possible, aller chercher de l'aide, sauver ma mère, sauver ma peau. Si je ne bougeais pas, il me tuerait de ses propres mains. C'était inévitable.
J'ai passé plusieurs années en foyer. Ma mère était morte, mon « père » en prison à vie. J'étais anéantie, je me laissais mourir parce que je me sentais coupable. J'étais sûre et certaine que du haut de mes treize ans, j'aurais pu sauver ma mère. On avait beau me répéter que si j'étais restée, je serais morte, je continuai à croire que j'étais la seule responsable de la mort de ma mère. Je me suis renfermée sur moi-même, j'ai refusé de manger, de sortir, de vivre. J'ai eu dix-sept ans. Les gens chez qui je vivais ( je ne les considérais pas comme mes parents ) faisaient tout ce qu'ils pouvaient pour m'aider. Mais rien ne pouvais me consoler. J'allais au lycée, par obligation, mais je n'écoutais même pas les cours, et je me mettais sans cesse à l'écart. Je pensais que rester seule m'aiderait, m'éviterais de souffrir, mais c'était tout le contraire. Je m'enfonçais de plus en plus, je me répétais que j'étais bonne à rien, que je ne méritais rien à par la mort. En fait, j'avais l'impression d'être invisible, de ne pas exister. Alors, j'ai commencé à me mutiler, ressentant la douleur comme une preuve que j'étais bel et bien en vie. Je ne rentrais plus à la maison, trop occupée à jouer les prostituées pour gagner de l'argent que je dépensais dans la drogue. J'étais morte. Morte de peur, morte de fatigue, morte d'usure. Je n'en pouvais plus. Je voulais en finir, une bonne fois pour toute. Je suis rentrée. Ils ont appris ce que je faisais les nuits où je ne dormais pas à la maison, m'ont insultée, m'ont giflée puis m'ont virée. J'étais à la rue, en plein hiver. Je dormais sur un banc dans un parc, contre la vitrine d'un magasin. Je n'étais plus rien.
Ça a duré des semaines, des mois. J'allais crever de froid, sous les yeux des passants qui n'osaient même pas me regarder, ni même me donner ne serait-ce qu'un dollar. Et puis, elle est venue. Cette fille, avec ses cheveux bruns bouclés, son sourire inimitable, son regard rempli d'un sentiment que je n'ai jamais réussi à décrire. Ce n'était pas de la pitié, ce n'était pas de la peine, ni un de ces regards qui vous dit « courage, tu vas t'en sortir ». C'était autre chose. Elle passait souvent me voir, me laissait quelques billets, me souriait et repartait. Chaque matin, elle déposait deux ou trois dollars. Elle devait avoir le même âge que moi, ou un an de plus, peut-être. Et puis, un jour, elle s'est assise à côté de moi, m'a tendu sa main en souriant et a dit comme si j'étais une personne normale : « Salut ! Moi c'est Katherine. mais appelle-moi Kate ! ». Je l'ai dévisagée, j'ai regardé sa main, puis son visage. J'étais censée faire quoi ? Lui sourire ? Je ne savais même plus comment on faisait. Lui serrer la main ? Lui dire mon prénom ? Peut-être. Je mis quelques secondes à attraper sa main et la secouer doucement, sans un mot. Je l'observais, elle me regardait, sans rien dire, comme si mon regard ne la dérangeait pas. Elle ne bougea pas, mais se décida à rompre le silence après quelques minutes. « Et toi ? » Elle souriait toujours. J'ouvrais la bouche, pour la refermer aussitôt, et pris le peu d'assurance qu'il me restait pour tenter de sourire et lui répondre. « Madeline. »
Elle passait chaque jour, s'arrêtait, discutais avec moi, puis repartait pour ne pas arriver en retard en cours. De temps en temps, elle m'offrait un hamburger dans un petit restaurant pas cher, ou un hot-dog qu'elle achetait avant de venir me voir. Et puis, elle me proposa de venir chez elle. Je n'ai pas dit non, bien évidemment. J'avais froid, je sentais mauvais, mes vêtements étaient sales. J'ai pris chez elle la première douche depuis des mois. Elle me suppliais de rester dormir le soir même, puis le lendemain, et le surlendemain. Elle était seule chez elle, ses parents étant en voyage d'affaire. Elle me prêtais des vêtements, me coiffais, me maquillais, m'apprenait à marcher avec des talons, à m'épiler les sourcils. Peu à peu, j'ai réappris à sourire. Elle ne m'a jamais demandé pourquoi j'étais à la rue, jamais. C'est sûrement ce que j'aimais le plus chez elle. Elle ne se préoccupait pas de mon passé, elle ne posait pas de questions indiscrètes. J'ai passé plusieurs semaines chez elle, je me sentais bien. Puis ses parents sont rentrés. J'ai voulu partir, mais Kate m'a retenue. Elle voulait que ses parents me connaissent, et me présenta à eux, comme l'amie d'une amie au début, puis se résolu à leur dire la vérité. Ils n'ont pas mal réagi, au contraire. Ils m'ont demandé de rester en attendant de trouver un petit boulot, de gagner un peu d'argent et de louer un appartement. J'ai refusé, ils ont insisté, et j'ai finalement accepté. Kate et moi étions plus proches que jamais, comme des sœurs jumelles. J'ai repris les cours, payés par les parents de Kate, j'ai trouvé un job de vendeuse au cinéma, j'ai gagné mon premier salaire, puis le second, et ainsi de suite, mettant tout de côté jusqu'à avoir assez pour la location d'un appartement. Je me suis donc installée dans l'immeuble en face de la maison de Kate et ses parents. J'ai galéré, au début. Je ne savais pas cuisiner, je devais payer les factures, alors que je n'y connaissais rien. Kate m'apprenait à cuire des pâtes, ses parents m'aidaient à trier mes papiers. J'ai encore du mal, c'est sûr. Et je ne suis pas forcément heureuse à proprement dit, je ne cherche pas le grand amour, ou l'argent. Je suis seulement à la poursuite du bonheur. |
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