Le passé. Ce genre de truc dégueulasse que tout le monde traîne derrière lui sans jamais vraiment en parler. On tente de le dissimuler mais il revient toujours au galop pour nous ramener à la réalité. Il ne supporte pas de nous voir toucher du bout des doigts le ciel. Ouais, il est toujours là pour nous rappeler nos erreurs passées. Debout derrière le comptoir de cette pharmacie vide, mes yeux ne quittent plus les aiguilles de l'horloge. Dehors, il pleut à torrent. Ce qui me rappelle inévitablement Londres et son ciel toujours sombre. D'aussi loin que je me souvienne, j'ai toujours détesté la pluie. A sa présence, un sentiment de tristesse s'accroche à mon âme. Je ne comprendrais jamais le cliché des films forçant des amants à se retrouver sous la pluie pour s'avouer leur amour. L'amour, ce n'est pas ça, pas ce ciel gris qui menace de vous tomber sur la terre au moindre moment. Ce n'est pas ces nuages lourds. Non, l'amour, c'est léger, ça s'envole dans un vent frais de printemps. Ça traverse toutes les saisons sans jamais se détruire. Ça n'a pas sa place au milieu de la pluie. Incompréhension. It's not for me.

Mes yeux se baissent à ces pensées négatives. C'est dans un lourd soupir que je reprends mes esprits. J'me rends compte que mon corps réclame sa dose de nicotine. Il reste dix minutes avant la fermeture de la pharmacie mais, j'peux pas attendre. J'ai passé la journée à m'ennuyer au milieu de tous ces médicaments. Je déteste les médicaments. Encore plus depuis que je dois en prendre pas loin d'une dizaine par jour. C'est pourquoi je me dirige vers la réserve, clope à la main. Je l'allume et la cale entre mes lèvres. Mes yeux se ferment lorsque la fumée se fraie un chemin jusqu'à mes poumons encrassés. Apaisement presque instantané. C'est plus psychologique qu'autre chose mais putain, pour rien au monde je n'arrêterais de fumer. Même au bord de la mort, j'aurais un paquet dans la poche. C'est le seul réel réconfort qu'il me reste dans ce bas monde. J'ai pas trouvé la force de m'en priver. Pas encore, fin non, jamais ça n'arrivera. Je me laisse glisser sur le sol en évacuant la fumée de mes poumons. Silencieuse. Dehors, il fait déjà nuit, les jours d'hivers sont les plus sombres de l'année. Je les aime uniquement pour cela. Non pas pour la température glacée et sa convivialité par ses fêtes de fin d'année. Ce n'est que sous un ciel étoilé que la vie semble moins dure qu'elle n'y paraît. Son voile d'obscurité semble maquiller les allures macabres de la réalité. Le grincement de porte qui s'ouvre me fait sursauter. Sans-gêne, je prends le temps de terminer ma cigarette. J'écrase celle-ci sur le sol avant de la jeter dans la poubelle. J'me relève difficilement et m'approche de mon comptoir. J'me force à sourire au client. Fin non, ma volonté s'estompe immédiatement lorsque mon regard croise celui de cet homme. C'est un goût amer qui se mélange à celui de la nicotine dans ma bouche. Mon cœur quant à lui bat sous l'effet de la surprise. Comment est-ce possible ? Le monde est-il si petit que ça ? J'ai limite envie de me foutre à rire mais à la place de ça, je mords nerveusement la lèvre inférieure.

Je rêve. Pincez-moi. JE RÊVE. Non mais sérieusement, j'ai quitté Londres pour oublier toutes les merdes qui nuisaient à ma vie et donc oublier les personnes que j'avais fréquenté. Mais non, faut que je me retrouve face à Sonic, maintenant, dans cette pharmacie. Ça fait combien de temps que je ne l'ai plus vu maintenant ? J'ai cessé de compter les années qui me séparent de lui depuis un bon moment maintenant. Et là, en un rien de temps j'ai tout mon passé qui me revient en pleine gueule, comme ça, sans que je ne demande rien à personne. Mon sang ne fait qu'un tour, se met difficilement à couler dans mes veines. Brûlant. Mon sourire s'échoue de mes lèvres sèches. Lorsque Sonic s'est barré, je me suis juré de lui coller une baffe si je venais à le revoir. Ouais, j'étais jeune et j'me sentais blessée. Juste ça. Sauf que le temps s'est écroulé inlassablement depuis notre 'séparation'. Et, j'reste là, planté devant lui, à le regarder de haut comme si ce n'était qu'une sous merde. En fait, j'sais pas vraiment quoi faire. Alors, pour me débarrasser de ce fardeau, j'me décide à briser le silence qui trône dans l'atmosphère.

« On ferme. » Ma voix, glaciale, traverse la barrière de mes lèvres. J'plonge mon regard dans le tien, Sonic. Mon visage affreusement pâle affiche un sourire.

Par ces deux simples mots j'te demande de partir. J'te servirais pas, aussi. Je n'en dis rien mais tu dois savoir que je t'ai reconnu. Je n'sais pas si c'est réciproque mais j'm'en balance. J'ai pas envie de perdre mon sang froid, pas maintenant, pas devant toi. J'attrape un stylo, le serre entre mes doigts. J'oblige mon esprit à refouler toutes ces images du passé. J'y arrive pas. J'nous vois encore, rien que des gosses. C'était ça, le bonheur. Trainer dans les rues de Londres sans en avoir l'âge. Rire de tes blagues de merde puis aussi te traiter de tous les noms juste parce que j'en avais envie. Ouais, c'était sympa ces années où on s'occuper uniquement du moment présent parce que le futur, il était bien trop loin pour qu'on puisse s'en soucier. C'est peut-être ça, au fond, qui a causé notre perte. Si on avait plus pensé aux conséquences des choses on aurait pas cédé à une tentation frivole et fugace. Nan, on serait resté les mêmes, deux idiots qui se foutent sur la gueule pour se prouver leur affection. J'pensais que les années auraient effacé la rancœur mais, la fierté l'emporte toujours. Si tu pars je n'te retiendrais pas, c'est mon âme toute entière qui est contre toi, Sonic. Hermétique, je suis hermétique à tous ces sentiments futiles. Tu le sais autant que moi, le destin ne fait pas toujours les choses comme il le faut. Encore une fois, il a fait une putain d'erreur, nous foutre sur le même chemin. Et, pourtant, au milieu du champs de bataille et ce bain de sang dans lequel je me noie, un voile de nostalgie caresse l'air et se pose au dessus de ma tête. Je me retrouve emportée dans une tornade de souvenirs. And the past come back, for better or for worse.