Young & Useless!

Mon dieu, j'allais voir mon petit frère aujourd'hui. Je ne l'avais pas vu depuis onze ans, je me sentais comme dans un putain de conte où vous savez à la fin, on se rend compte que tout est bien qui finit bien. Bon, je n'ai pas de prince charmant mais j'ai un beau petit garçon. C'est déjà ça non ? Je ne sais pas trop. Bref, je me lève le matin après avoir déposer un léger baiser sur la joue de Ryan pour aller faire du café avant de m'asseoir sur le plan de travail, un sourire aux lèvres écoutant la musique qui passait à la radio. Je remuai dessus quand Alexis entra pour prendre son paquet de céréales et me regarder en haussant le sourcil. « Tu te sens bien m'man ? » Je lui répondis que oui avant de me lever pour l'embrasser à son tour et prendre mes affaires pour me rendre à l'école. « C'est Ryan qui te dépose aujourd'hui. Tu es sage avec lui. » Il acquiesce et je pars pour prendre ma voiture. Je devais traverser la ville pour me rendre à l'école et San Francisco était une grande ville. Une fois dedans, je repensais à mon existence à Helsinki. Tant de souvenirs que j'avais enfoui. Je ne voulais pas en parler. Le sujet de ma famille était tabou entre Ryan et moi. Seul Alexis connaissait l'histoire au complet. Il savait même le nom de son père. Je ne lui ai rien caché. Sur la route, je repensais à tout ça et au fait que j'avais alors abandonné la personne qui comptait le plus pour moi. Je pouvais revoir sa petite tête blonde quand je suis partie, lui promettant de revenir... Et je ne suis jamais revenue. Onze ans. Onze années. C'est long. Il a du changer. Il doit me garder rancœur. Quoique je suis incapable d'être rancunière, espérons que cela soit pareil pour lui.

Une fois à l'école, j'attachai mes cheveux avec un crayon, trouvant le temps que passait trop lentement. Je n'arrêtais pas de bouger, anxieuse. Je bégayai même et quand vins l'heure, je m'attardais un peu prise de sueurs froides. Je n'osais pas sortir. Je ne voulais pas. J'avais peur. Pour la première fois de ma vie, je ne voulais pas sortir de cette pièce. Ma collègue arriva et me dit qu'il était temps de partir. « J'arrive. » Ma voix était toute tremblotante, hésitante. Je passais une main sur mon visage avant de me relever pour souffler un bon coup. C'est vrai quoi, à vingt huit ans, je ne devrais plus avoir peur de rien. Je passais mon sac par-delà mon épaule avant de sortir de la classe et de regarder un peu partout quand je le vis au loin et j'eus un petit sourire timide. Pas un mot, un regard et une étreinte. « Minulla oli ikävä sinua, Winnie. » Je soufflais ces quelques mots, enfouissant ma tête dans son cou, trop heureuse de retrouver ma moitié.

Ca faisait plus de dix ans… plus de dix ans… la moitié de ma vie, en fait. Depuis ce matin, j’étais stressé comme jamais, un mélange de diverses émotions nageait en moi, et je n’étais pas certain d’arriver à gérer ça. Quoi? Quoi? Quoi? Revoir sa sœur après tout ce temps, ce n’était pas rien. Et puis il y avait des problèmes qui s’étaient créés après son départ; je ne m’entendais plus du tout avec ma cadette. Pourquoi? Parce que j’étais un garçon et que notre père me favorisait, d’autant plus que j’avais « réussi ma vie ». Notre frangine me détestait, j’en étais quasi certain, elle était jalouse et dégoutée de ne pas être à ma place, ou de ne pas être un homme, puis-ce que sa valeur semble moins grande sans ça. Il y a des jours où je me serais contenté d’être un gars comme les autres, vraiment… sans tous ces problèmes liés au succès. Un gamin de riche, okay, mais avec un destin quelconque. J’étais pas spécialement intelligent, j’aurais pu me contenter de tenir une boutique ou n’importe quelle connerie dans le genre. Et puis il y a Jenna qui n’était pas là. Disparue. Je me demande presque si en me faisant reconnaître internationalement, je n’ai pas simplement cherché à ce qu’elle me remarque et revienne à moi. La maison me manque, tout me manque. Être grand, avoir des responsabilités, c’est difficile… bref. J’ai beau avoir fui à San Francisco pour éviter les tensions, la réalité me rattrape aujourd’hui: ma famille est complètement disloquée, et nos rapports sont tous bien trop distants.

Je sortis de la maison pour prendre la Maserti en milieu d’après-midi. Ma voiture m’avais manqué, honnêtement, et entendre le moteur monter les tours me déstressa un peu avant que je me mette en route pour l’école où travaillait Jenna. Sur le chemin, la musique était à fond et j’attirais le regard de certains passants intéressés par la mécanique de l’engin que je conduisais, ce qui me faisait sourire. Je les imaginais bien là dehors, à me traiter d’enfoiré parce que j’avais une bagnole qu’ils ne pourraient jamais s’offrir. Oh oui c’est mal, je sais… mais bon avouez qu‘on aime tous faire des jaloux.

Après m’être garé, je sortis et entrais dans la cour. Le stress me rattrapa au galop, mais je fis tout de même l’effort d’aller jusque dans le bâtiment pour attendre dans le couloir, adossé au mur, les bras croisés et la tête baissée, tapant également du pied nerveusement. Ce n’est que deux minutes plus tard que ma sœur arriva. Deux minutes, et pourtant cela me parut un siècle. Je tournais les yeux vers elle, et ma gorge se serra automatiquement. J’avais envie de pleurer. Elle me prit dans ses bras, je craquais et fondis en larmes purement et simplement avant de l’enlacer contre moi comme si je n’allais plus jamais la lâcher. Bon sang, elle ne se rendait pas compte à quel point elle m’avait manqué, non. Ni à quel point j’avais besoin d’elle en ce moment pour savoir quoi faire de ma vie. J’avais l’impression de me diriger vers un gouffre dont je ne sortirais pas, et le danger était bien trop intimidant. Je la relâchais un instant, puis la repris de plus belle dans mes bras, mon besoin de la sentir en chair et en os près de moi étant inassouvi. Le fait qu’on ait tout deux changé physiquement me passait par-dessus la tête à ce moment précis, je n’avais que faire de ce genre de détails, il fallait que je décharge dans l’immédiat l’amour que je n’avais pas pu donner ces dernières années, quitte à ce que ça dure une demi-heure.

« Jenna… jenna… »

Young & Useless!

Les choses deviennent parfois étranges. J'étais à San Francisco depuis deux ans maintenant. Deux ans que j'arpentais les rues comme une ombre, dépourvue de ma moitié bien que je cherche toujours à rester de bonne humeur. Les personnes qui me connaissent savent que je ne suis pas le genre de nanas qui dépriment, qui passent leur temps à broyer du noir. Je prends la vie comme elle. Quand il y a onze ans, j'ai appris que j'étais enceinte... Ma vie n'a pas basculé. Je savais que si je lui prenais la vie, je ne vaudrais pas mieux qu'un autre et que je devrais donc moi aussi prendre la mienne. J'ai toujours été comme ça, trop catégorique. Je ne pouvais pas. Je devais donc l'assumer. La réaction de mon père ne s'est pas faite attendre bien sûr. Il m'a mis une baffe, ce qui est logique quand on y pense, mais je devais garder Alexis, je devais l'élever. J'ai toujours eu la fibre maternelle. J'ai dorloté Ole durant toute son enfance, du coup, je savais que mon fils aurait droit à la même chose. Et le revoir aujourd'hui me rendait nostalgique. Je repensais à tout ce qui avait pu se produire en son absence. Au fait que je suis partie en Irlande, que j'ai réussi mes concours malgré que j'avais un enfant à charge. J'ai ramé mais j'ai réussi. Pas un mot plus haut que l'autre. Je n'aimais pas entendre mon fils jurer. Je ne suis pas catholique pratiquante mais je trouve ça laid.

Bref, j'étais sur le point de revoir mon petit frère et cela me rendait nostalgique mais il n'y a rien de pire que la nostalgie. Ça fait remonter des vieux souvenirs à la surface qui font que tu regrettes amèrement d'avoir fait certains choix alors que tu sais qu'ils étaient réfléchis, pas toujours, mais que c'était mieux ainsi. Aurais-je réussi à m'épanouir si j'étais restée ? Je ne pense pas. Je ne serai jamais devenue institutrice, je n'aurais jamais rencontré Ryan et je ne serai pas ici avec Alexis. Mon fils portait le deuxième prénom de mon frère parce qu'en quelque sorte, je pensais que si je lui donnais ce prénom... Ole serait toujours avec moi. Mais Alexis était différent des Karjalainen. En grandissant, il devenait de plus en plus comme son père ce qui me choquait. Je ne trouvais pas que son père soit un mauvais bougre. Ce n'était qu'un malheureux hasard de circonstances et fort heureusement, il ne sait pas que je suis enceinte. Ce n'était qu'un coup d'un soir et ça a dégénéré. Mais je ne le regrette pas. Je ne l'ai jamais regretté. Quoiqu'il en soit, je me tenais debout au milieu de la salle tandis que mes petits faisaient leurs calculs et je ne cessai de jeter des coups à ma montre tant j'étais nerveuse. Revoir mon petit frère, revoir mon petit frère.

Une fois l'heure fatidique arrivée, je sortis un peu anxieuse en jouant avec mes mains, cheveux attachés se balançant à un rythme régulier, tenue impeccable. Je m'approchai alors pour le reconnaître entre tous et mon sourire s'élargit avant de le prendre dans mes bras, lui murmurant en finnois à quel point il m'avait manqué. Ma petite moitié, mon Winnie. Je respirai mieux quand il était là, j'allais mieux, c'est comme ci... un poids venait de se libérer et que j'étais enfin moi-même, complètement. Il me relâcha avant de me regarder et j'avais conscience qu'en onze ans, j'avais pris quelques rides mais j’espérai ne pas avoir tant changer que ça. Je le regardai avec un petit sourire désolé sur le visage. Soudain, il me rapprocha à nouveau de lui avant de se mettre à pleurer. Je caressai ses cheveux avant de sentir les larmes me monter aux yeux également. « Je suis désolée petit frère, tellement désolée... » Je ne cessai de murmurer ça avant de l'écarter, les deux mains sur ses épaules plongeant mon regard dans le sien. « Mais je suis là maintenant... Tout va bien se passer, j't'abandonnerai plus. Je te le promets... »