Il y avait au moins deux choses que Mickey avait appris à force de fréquenter les bars de San Fransisco : un, il fallait toujours s’assurer que la fille qu’on décide de draguer est venue seule ; deux, ne jamais provoquer un homme dont on convoitait la copine pour la soirée. Ou même la nuit. C’était idiot, très, très idiot. Mais tellement marrant.
Parfaitement détendue, elle abandonna le couple qu’elle avait dérangé — la fille, une petite brune, était canon, mine de rien mais elle n’était pas exceptionnelle au point de se battre pour elle — et joua des coudes pour gagner l’escalier menant au balcon. Mickey venait de temps en temps au Bronze. C’était un endroit sympathique et propre — ce qui n’était pas le cas partout. Certes, il arrivait que, de temps à autre, un imbécile qui ne tenait pas l’alcool fasse profiter les autres de son quatre-heures mais ça restait assez rare pour qu’on ait envie de revenir souvent. Du moins, ça restait assez rare pour que Mickey ait envie de revenir souvent. La dernière fois, elle y avait amené Shell. Ca remontait déjà à une grosse semaine. Un grand sourire étira ses lèvres. Ca avait été une très bonne soirée. Le seul détail à déplorer restait cette difficulté qu’elle avait à se laisser aller. Mickey était certaine qu’elle l’attirait mais il était difficile de lui faire lâcher prise. Elle était pourtant convaincue que ce n’était qu’une question de temps.
Il y avait du monde, ce soir. Assez pour mettre une bonne ambiance, trop pour que l’accès au balcon fût aisé. Plusieurs couples — encore et toujours des couples, c’était lassant et écoeurant de niaiseries, quand on observait bien certains duos — avaient élu domicile dans l’escalier pourtant large. Mickey leva les yeux au ciel. Son verre à la main, elle se faufila entre une fausse blonde et son jules du moment. Lâchant quelques pardon, excusez-moi, poussez-vous et un ou deux putain mais dégage, elle parvint en haut des marches. Elle avisa un espace libre mais restreint à la balustrade et s’y rua presque. On était samedi et comme tous les samedis, un groupe se produisait. Celui-ci — elle n’en avait pas retenu le nom — était particulièrement bon. Appuyée au garde-corps, Mickey balaya la piste, à l’étage du dessous, des yeux. De sa place, on pouvait embrasser du regard la scène et une grande partie des danseurs. Une position de choix.
Elle porta son verre à ses lèvres avant d’aviser l’écran de son portable, vérifiant l’heure. Il n’était pas très tard mais elle ne put s’empêcher de grimacer. Si elle arrivait souvent seule au Bronze, elle passait rarement la soirée seule. Or, hormis les cinq petites minutes passées avec la brune indisponible, elle était résolument seule. C’était triste. Derechef, elle grimaça avant de pousser un soupir couvert par la musique qui lui parvenait. Stop, songea-t-elle, on ne va pas faire la gourde esseulée. Elle fit volte-face, regardant distraitement autour d’elle en quête d’une potentielle conquête ou — chose pas si improbable que ça, si on y réfléchissait bien — d’un visage connu. Mais dans la pénombre ambiante, il était difficile de reconnaître qui que ce soit.
J’avais décidé que ce soir, je ne travaillerais pas. Du moins, pas volontairement. Si je tombais sur un client, je ne dirais pas non, bien sur, mais ce soir, ce ne serait pas mon objectif premier. Derrière moi, la télé marchait à fond, diffusant des clips, pas ceux que je préférais, de la musique dance-floor, en général. C’était ce qui marchait en ce moment, et ce n’était pas forcement mon style. Une cigarette entre les lèvres, j’essayais de mettre mon mascara, sans en foutre partout. Le maquillage… c’était vraiment quelque chose pour laquelle je n’étais pas douée. Je me reculais, pour admirer le résultat. Je me trouvais face à une blondinette, vêtue uniquement de la chemise bleue layette qu’elle avait volée à son frère avant de quitter la Suède, un verre de vin rouge à la main, une cigarette au bec. Quelle heure était-il ? aucune idée. J’ouvris mon armoire, attrapais une petite robe noire, tout en laissant glisser la chemise de mon frère par terre. La robe en main, je levais les bras et la laissait descendre sur mes hanches. Elle tombait pile comme il fallait. Je fis un petit sourire. J’ouvris la fenêtre de mon salon, jetais mon mégot et la referma. J’attrapais mes chaussures et les enfilais en même temps que je quittais mon appartement. J’avais décidé d’aller au Bronze ce soir. Je me fichais d’y aller seule, je me disais que j’avais peux de chance de rentrer dans les mêmes conditions. Arrivée au club, la musique battait son plein, j’étais étonnée de voir autant de monde. J’allais au bar, commanda un whiskey pur et me redirigeais dans la salle. Je levais les yeux et c’est là que je la vis. Je souris. Mickey était là-haut, appuyé contre la balustrade. Je revins sur mes pas et parti à la rechercher des escaliers qui allaient me mener à elle. Arrivée au haut (j’avais du jouer des coudes) je m’approchais d’elle, discrètement. Je m’appuyais à mon tour sur la balustrade et tournais la tête vers elle, pour attirer l’attention de la jolie brune. « Qu’est-ce que tu fais toute seule, ici ? » lançais-je, près de son oreille.
Peut-être y avait-il de l'espoir, en fait, concernant cette soirée. « Qu’est-ce que tu fais toute seule, ici ? » fit une voix que Mickey connaissait bien. Elle tourna la tête. A ses côtés, un verre à la main, moulée dans une robe noire qui lui allait fichtrement bien, se tenait Frankie. Mike la connaissait pour avoir passé quelques unes de ses plus belles soirées avec elle, à San Fransisco. Elle lui adressa un sourire, ravie de cette soudaine compagnie. Elle appréciait beaucoup Frankie. Certes, elles ne se connaissaient pas beaucoup, voire même pas du tout. Mais quelle importance, puisqu'elles passaient chaque fois un bon moment ?
Le groupe, en bas, entama un nouveau morceau, plus rythmé, plus connu aussi. Il plut immédiatement, certains clients présents reprenant même les paroles. Mickey sourit, derechef. Elle aimait cette ambiance, faite d'euphorie, de musique et d'alcool. C'était probablement pour ça qu'elle travaillait au Ruby Skye. C'était à la fois rassurant et angoissant, tout ce monde, tous ces inconnus dont elle ignorerait sans doute le nom pour toujours.
Elle porta son verre à ses lèvres, à nouveau avant de se tourner vers la jeune femme. « Je.. chasse, répondit-elle enfin, toute sourire, pour une fois que je ne travaille pas un samedi soir.. j'en profite ! » Il était rare qu'elle ne soit pas au Ruby Skye, un jour de grande affluence. Sans doute travaillerait-elle beaucoup, les jours à venir, comme pour la white party annuelle. Aux dires de ses collègues, l'hiver était, contre toute attente, une période intense. Comme si tous les californiens se donnaient rendez-vous dans les différents bars du pays pour oublier le froid.
Mickey se tourna vers sa camarade. « Et toi alors, tu ne bosses pas ? fit-elle, balayant les alentours du regard? Attends, il n'y a personne ? Tu es malade ou on t'a posé un lapin ? » Oh, ça n'était pas très classe.. comme toutes les conneries que Mickey pouvait bien aligner.
Mes yeux surplombaient la foule, je les regardais se déhancher en dessous de moi. Ceux qui dansaient, ceux qui buvaient, ceux qui riaient, ceux qui s’embrassaient. Il était fort probable que ce soit ce qui arrive avec Mickey, tôt ou tard. Je ne savais pas trop ce qu’il en était entre Mike et moi. Je l’aimais juste bien. On passait toujours des bons moments ensemble. Je n’avais pas à me plaindre. Et puis, au moins, la situation faisait qu’on n’avait pas à se prendre la tête pour des trucs sans importance. Mickey était vraiment une belle fille. Je ne pouvais que sourire en songeant que j’allais passer la soirée avec elle. J’étais étonnée de tomber sur la brune un samedi soir. Le fait était que je ne sortais pas tellement. Finalement, mon boulot c’était d’être dans les rues, ça me laissait moins de temps pour sortir, mais Mickey était serveuse, c’était d’autant plus surprenant de la trouver au Bronze. Une bonne surprise. Je lui fis un sourire, et portait mon verre à mes lèvres, but une gorgée et sentit l’alcool descendre au creux de moi, la chaleur. Merde, j’adorais l’alcool, je ne pouvais pas le nier. Je lâchais un rire à la remarque de Mickey. « Non j’ai décidé de pas travailler ce soir. Et oui, je suis toute seule. Mais tu peux arranger ça, si tu veux… » lui glissais-je, à l’oreille. Je sentis le regard de quelques hommes autour de nous. Non, ce n’était pas pour vous. Ce soir, elle était pour moi. J’en avais décidé ainsi. Rien qu’à moi. Je finis mon verre cul-sec, fermais les yeux quelques secondes le temps que l’alcool passe. Puis j’attrapais la main de Mike et redescendit les marches. Je l’entrainais avec moi, sur la piste. Arrivées, je me retournais vers la brune, et posais mes bras sur ses épaules. Nous commencions à nous déhancher toutes les deux. Un petit sourire se dessinait sur mon visage.
Accueil
