Il y avait des soirs où Mickey était proche de la crise de nerfs. Elle adorait le Ruby et elle adorait son job. Mais subir tous ces vieux dégoûtants qui, parfois, avaient du mal à garder leurs mains dans leurs poches, c’était au dessus de ses forces. Oh, elle aussi aimait le spectacle qu’offrait ses collègues. Ce n’était pas pour autant qu’elle venait appliquer ses mains avec énergie et entrain sur les postérieurs des serveuses. Derrière le bar, appuyée au comptoir, elle fixait avec une rage difficilement contenue le sexagénaire auquel elle venait d’apporter son verre de vodka. L’homme lui adressa un petit sourire, agrémenté d’un clin d’oeil sans doute voulu charmeur. Quel gros porc. Il lui donnait envie de vomir. Mais le client restait roi, peu importait qu’il fût un dégueulasse et un pervers fini. Elle lui renvoya un superbe sourire hypocrite et attrapa rapidement un verre afin de s’empêcher de céder à l’envie de lever son majeur en direction dudit cochon. Elle tenait à son job. Le perdre pour un abruti dans ce genre-là aurait été stupide. Et surtout très con.

Il n’était pas très tard mais les clients arrivaient à bonne allure, aussi avait-elle cessé de prêter attention aux visages qui défilaient. Lorsque la porte s’ouvrit une énième fois, elle tourna distraitement la tête en direction du nouveau client — qui s’avéra être une cliente — puis reporta son attention sur les verres encore mouillés qu’elle avait à essuyer. Elle s’immobilisa, une seconde plus tard et elle releva lentement la tête pour dévisager la nouvelle venue. Grande, mince, blonde, jolie. C’était elle. Surprise, Mickey écarquilla les yeux. Ce n’était pas la première fois qu’elle venait ici. Peut-être se faisait-elle des films, mais il avait bien semblé à Mike qu’elle la regardait souvent, voire même tout le temps. C’était troublant, déstabilisant. Mais follement agréable pour l’ego et le moral. Ca signifiait qu’elle était toujours attirante, même si Deirdre l’avait laissée tomber comme une merde. Ou alors elle se faisait un film et c’était complètement pathétique. Le coeur battant, elle se baissa précipitamment derrière le bar. Ca, en tout cas, c’était carrément puéril. Débile, même. Mickey se mordit la lèvre inférieure et jura intérieurement. Elle se faisait un film, complètement. La blonde aimait peut-être simplement le Ruby et l’avait regardée sans la voir, comme tous les clients qui venait ici.

Lentement, elle se releva à demi, juste assez pour observer la salle sans être vue. Elle suivit la jeune femme blonde du regard, laquelle vint s’installer au fond, assez loin de la scène et la bande de vieux croulants obsédés. Mickey ne put s’empêcher de sourire. Manifestement cette fille venait en connaissance de cause.

Clara, l’une des filles qui assurait le service ce soir-là, passa devant le bar, son calepin à la main, pour aller prendre la commande de la jolie blonde. Mike bondit en avant. « Clara ! Attends ! s’écria-t-elle. Je m’en occupe, c’est.. une amie » Ouuuh, la vilaine menteuse. Mais sa collègue ne s’aperçut de rien, ni de la subite rougeur de ses joues, ni même qu’elle sortait de nulle part. Clara haussa les épaules et posa sur le bar son calepin. Mickey s’en empara et cingla droit sur la fille, priant mentalement le sacro-saint dieu du Ruby pour n’avoir pas l’air d’une petite fille découvrant ses cadeaux au matin de Noël.

La fille était assise mais semblait à l’affût, comme à la recherche de quelqu’un. Attendait-elle un rendez-vous ? Mickey se rembrunit, subitement. Son carnet à la main, elle ralentit l’allure à l’approche de la table. « Salut, bienvenue au Ruby ! lança-t-elle, enjouée. Alors ça, ma grande, c’était nul, nul à chier même » ajouta-t-elle, réalisant du même temps qu’elle avait parlé tout haut. Derechef, ses joues prirent une jolie teinte d’un rose très soutenu. Elle baissa les yeux sur ses pieds. Ca, c’était pathétique. Et embarrassant. Elle releva un peu la tête et croisa le regard de la jolie blonde, avant d’éclater de rire. Mieux valait prendre les choses ainsi, non ? « Désolée, désolée, lâcha-t-elle en reprenant son calme, je suis un peu sur les nerfs. Qu’est-ce que je te.. vous sert ? » demanda-t-elle ensuite, un petit sourire au coin des lèvres.