J’ai réussi à sortir de la voiture, je n’aurais pas dû. Pourtant, j’avais besoin de te voir. Je ne savais pas où tu étais, je ne te voyais pas et ne t’entendais pas non plus. J’ai rampé, parce que je ne pouvais rien faire d’autre, jusqu’à ce que j’aperçoive une masse étendue sur le sol. Je me suis rendue jusqu’à elle pour voir que c’était ton corps.

Respire. Mais respire bordel.

Les larmes coulèrent sur mes joues tandis que je le regardais immobile.

Tu ne peux pas partir. Pas maintenant. T’as pas le droit.

Je lui frappais sur le torse pour tenter de le réveiller.

Je t’interdis de partir. T’as pas le droit. Reste. Je t’en supplie.

Ma colère s’était transformée en douleur puis en résignation. Il ne reviendrait pas. Il était bel et bien mort. Étendu sur le sol, les paupières fermées, je le regardais réalisant à peine que je venais de perdre mon frère et à tout jamais.

Je t’avais pourtant dit de me laisser conduire. Mais t’as été assez con pour faire qu’à ta tête. Et moi, comme je ne pouvais pas rentrer à pied, que je n’avais pas d’argent pour un taxi, je me suis retrouvé dans cette voiture, côté passager à te regarder et à être nerveux parce que ta conduite était plus que dangereuse. Je t’avais dit de ralentir, je te l’avais dit. Je l’ai même hurlé. Je t’ai engueulé alors que tu conduisais. Je n’aurais pas dû. Plus j’y pense, plus je me dis que c’est de ma faute. Qu’avec mes cris, je t’ai déconcentré, je sais pas. Pourtant, on m’a dit que ça ne servait à rien de ressasser le passé, qu’il fallait avancer. Ces gens, je les butterais tous, ce ne sont pas eux après tout qui ont perdu leur moitié. Parce que non seulement tu étais mon frère, mais tu étais aussi mon meilleur ami, celui qui savait tout de moi, sur qui je pouvais compter à toute heure du jour et de la nuit.

Je me rappelle encore nos disputes lorsque nous étions gamins. À se chercher et se trouver, juste parce que ça nous amusait de faire chier l’autre. Ces journées à faire des batailles avec les coussins du divan du salon pendant que maman faisait de la nourriture, t’en souviens-tu? Et les journées qu’on passait devant la télé – alors que maman nous avait ordonné vingt fois de sortir – à jouer des à des jeux vidéo. Et à chaque fois, tu me battais.

Tu te souviens, la première fois que j’ai ramené une fille à la maison? Les conseils que tu m’as donnés. Bon, je m’en serais sans doute passé, mais tu te faisais un devoir de me donner tes conseils et recommandations. Après tout, ce doit être partie intégrante du boulot de grand frère…

Tu sais, chaque jour qui passe, tu me manques. Parfois, quand je marche dans la rue, j’ai l’impression de te voir. Enfin, c’était pire les semaines après ton départ. Parce que je n’aime pas utiliser le vrai mot. C’est probablement stupide, mais je sais pas, ça rend tout trop réel. Je veux dire, je me suis habitué à ton absence, mais dire que tu es … enfin, ce serait trop.

Tellement de bons souvenirs, comme autant de conneries. Genre mettre des cailloux sur la voie ferrée derrière la maison, partir des batailles de pop-corn au ciné pour partir en douce pendant que les gens se battent presque, mettre le feu à des poubelles dans des parcs et j’en passe. Et dire que papa et maman te prenaient pour le grand frère modèle … en y repensant, j’en ris.

Oh et tu sais, j’ai déménagé, quitté la maison. J’en pouvais plus de vivre dans cette ville. C’est idiot, parce que j’avais l’impression que j’allais t’oublier en partant. Je ne sais pas, je crois qu’au départ, c’était mon but, mais je me suis rendu compte, que je cherchais seulement à fuir ton fantôme. Je me disais que si je ne vivais plus dans cette maison ou nous avons grandi, si je ne marchais plus dans ces rues que nous avons empruntées des milliers de fois, tout serait plus facile. C’est pourtant faux. C’est pire je crois. On dirait que je te vois plus souvent qu’avant, que je t’entends encore plus me parler. Je suis peut-être fou, mais je m’en fiche. Oh, avant que j’oublie, je fais partie d’un groupe. Ouais. La guitare que tu m’avais offerte – j’en reviens toujours pas que t’aie dépensé autant pour un cadeau alors que je te donnais des trucs tellement minables – m’aura servie. Je l’ai encore, même si je ne m’en sers plus. J’en ai acheté une de meilleure qualité. Pourtant, la tienne est encore sur son support, dans ma chambre. Je la garde en souvenir de toi, de nous.

Tu me manques, saches que jamais je ne t’oublierai.

Ton petit frère. x