«
Installez-vous sur le divan mademoiselle... -Remettant ses lunettes sur le bout de son nez, elle hésita un instant et sembla chercher mon nom sur le dossier. -
Mademoiselle Davis. Ne vous inquiétez pas, c'est un examen de routine... » Je lui fis un léger signe de la tête, montrant alors que j'avais bien saisis. Elle n'allait pas entamer une thérapie, mais simplement me poser quelques petites questions. Comme un examen médical en somme, bien que là, on se penchait sur ce qui se passait dans ma petite tête et on s'intéressait à mon histoire. Toujours un de ces fichus compléments pour mon dossier d'admission. A croire qu'intégrer cette fac relevait du parcours du combattant ! «
Vous avez-là un très bon dossier Emma...-
Eum... Merci. -Que pouvait-on répondre à ce genre de compliment ? Je la regardais, sans rien ajouter. Assise sur le divan, les jambes croisées et les mains posées sur mon genoux, je balançais légèrement mon pied. J'étais un peu nerveuse et n'importe quelle personne de mon entourage aurait pu le deviner tant j'étais réservée.
-
Bon, et bien commençons... Pouvez-vous me parler un peu de vous, de votre enfance ? » Toussotant doucement, je me lançais, racontant alors ce qu'avait été mes plus jeunes années.
«
Je suis née à Madrid... Le 11 Septembre 1989. Mais tout ça, vous devez l'avoir sur vos fiches...-
Allez-y, ne vous souciez pas de ça.-
Oh, très bien. Je... Je suis donc à moitié espagnole, du côté de mon père. Ma mère est américaine. Elle a décidé de quitter mon père alors que je n'étais qu'un bébé, puis elle m'a ramené ici. Je ne l'ai donc jamais connu, et elle ne m'en a jamais réellement parlé. Enfin ça n'a pas tellement d'importance. Que voulez-vous savoir ? -Je me sentais un peu idiote à me confier ainsi à une inconnue. Elle me fixa avec un léger sourire en coin.
-
Racontez-moi ce que vous voulez me dire. Rien ne sortira de ce bureau de toute façon, vous pouvez en être certaine. -En guise de réponse, je ne pus dans un premier temps que lui rendre son sourire. Puis je tentais de me replonger dans mes pensées et mon petit récit. Elle vint à mon secours en me remettant sur les rails, simplement en me rappelant que mon père était au cœur du sujet.
-
Je n'ai jamais compris pourquoi elle ne répondait pas à mes questions le concernant. Avec le temps, j'ai arrêté de m'interroger. J'ai eu une enfance plutôt heureuse. En tout cas je n'ai jamais eu à m'en plaindre. Je ne manquais de rien, à part d'un père bien entendu. Ma mère a peut-être cru bon de vouloir compenser ce manque en me présentant tout un tas de beaux-pères, que je n'ai jamais apprécié. Elle menait une vie de véritable célibataire, et j'ai eu l'impression de devenir une simple option dans sa vie. -Bizarrement je me laissais aller aux confidences. Ça ne me ressemblait pas, mais ça faisait tellement de bien. J'avais l'impression de pouvoir tout mettre à plat avant de me lancer dans une nouvelle aventure, une nouvelle histoire : la mienne. Je poursuivais, de plus en plus détendue.-
J'en ai très rapidement eu marre, et le seul moyen pour moi de la faire réagir face à ma détresse fut de laisser tomber l'école. Très mauvaise idée, je sais... Mais quand on est enfant, on ne réfléchit pas beaucoup aux conséquences. Mes résultats ont chuté, et cela à fait une belle tâche dans mon dossier scolaire. Heureusement, je n'en étais qu'au début, je n'avais encore rien perdu.FLASH BACK«
Emma ! Sais-tu où j'ai mis mon chemisier blanc ?-
Non maman... - Je soupirais doucement. J'étais arrivée à un point de non retour, et le fait que ma mère ne pense à m'adresser la parole simplement pour me demander quelque chose n'arrangeait rien. Je faisais peut-être partie de la décoration et des meubles désormais. Elle en avait presque oublié mon existence.
-
Oh ça va... Ne fait pas cette tête...-
Je fais la tête que je veux.-
Tu vas me parler sur un autre ton. Je ne suis pas ta copine.-
Commence par être une mère, on en reparlera ensuite... » Je m'étonnais moi-même par tant d'impulsivité. Je laissais donc mes affaires en plan et partit m'enfermer dans ma chambre. Là, j'y récupérai mon sac et ma veste. J'avais besoin d'air, et vite ! J'entendais ma mère pester depuis le séjour, et je savais qu'elle n'allait pas tarder à venir me faire la morale, comme pour se rattraper de son absence quotidienne. Ainsi, je ne perdais jamais de temps pour gagner le hall et m'en aller, claquant toujours la porte derrière moi. Mon refuge ? Les musées et les galeries d'art. Ce que je pouvais apprécier ces visites, alors que pour certains je connaissais les lieux par cœur. Je pouvais m'y balader pendant des heures entières, rêvassant devant des toiles de maîtres. Ils avaient tellement de talent... J'étais fascinée. Et une fois de plus, aujourd'hui, j'allais probablement atterrir là-bas. Je me connaissais, et cela me paraissait être une évidence. Depuis que j'avais été contrainte de gagner en autonomie et en maturité je m'y rendais seule et je me plaisais à croire qu'un jour on exposerait ici une de mes toiles. Ce que c'est beau de rêver !
FIN FLASH BACK«
Au lycée j'étais dans ma petite bulle. Il faut dire qu'avec l'étiquette d'artiste incomprise de la classe, je n'avais pas tellement le choix. Isolée et réservée, je n'avais pas vraiment d'amis et on m'adressait à peine la parole. Je pense m'être réfugiée dans le dessin et la peinture. Avec du recule je me dis que j'ai peut-être loupé des choses, mais au final j'aime tellement ce que j'ai fait jusqu'à présent que je ne le regrette pas. L'art a toujours été une vraie passion pour moi, et si j'ai tenu le coup jusqu'ici, je pense que c'est grâce à cette carapace. Je me suis planquée derrière mes esquisses et mes croquis, une bonne couche de peinture et je me sentais comme en sécurité. A la maison ça n'était pas la joie car même là-bas on ne me comprenait pas. Pire encore ma mère refusait de me laisser étudier les arts, ce que j'aimais le plus... Le choix n'a pas été très difficile à faire, la crise d'adolescence passée et la distance installée entre nous ont fait que j'ai quitté le cocon familiale et j'ai pris mon indépendance. »
FLASH BACKJe venais de pousser la porte de mon petit studio, en plein cœur de New York, que je louais à une petite grand-mère, bien gentille et peu regardante sur les retards de loyer. Rien de très luxueux mais amplement suffisant pour abriter une étudiante et ses feuilles de dessin. Déposant délicatement ma pochette dans un coin de la pièce, puis jetant littéralement mon sac sur le canapé, je soupirais doucement. J'avais besoin d'une bonne douche pour me réveiller et me détendre. Aux vues de la journée de cours que je venais de passer j'en avais bien besoin. Passant à côté de la coupe de fruit, qui au passage était mon modèle pour quelques jours, j'attrapais une pomme et croquais dedans. Tant pis pour le dessin, la coupe en serait juste déséquilibrée ! Lorsque mon regard vu attiré par le petit clignotement rouge de mon téléphone portable, sorti de mon sac. Cela annonçait un nouveau message, que je craignais déjà d'écouter. Mais il le fallait bien, alors m'avançant jusqu'au canapé, je m'emparais de l'objet et consultais ma messagerie.
«
Allô Emma ? C'est maman... Écoute chérie, ce n'est plus possible ! Il faut... » -Là, je venais de laisser tomber le portable sur un coussin, peu enthousiasmée par l'idée de l'écouter jusqu'à la fin. Son discours, je le connaissais par cœur et il ne me plaisait guère. Je savais qu'elle allait me demander de rentrer, de faire preuve de maturité et d'être raisonnable. Elle n'avait pas encore compris qu'il était trop tard pour se soucier de moi, pour me couver, et encore plus pour m'étouffer comme une mère trop attention et envahissante. Filant sous ma douche, je me moquais éperdument de ma mère et la voix de cette dernière résonnait dans le combiné du téléphone. «
C'est fini ces bêtises Emma ! Rentre à la maison ! » J'étais chez moi... Et ce soir, je sortais ! J'avais besoin d'air !
FIN FLASH BACK«
Vous étiez indépendante, c'est plutôt bien de pouvoir s'assumer ainsi, et de faire vous même les démarches...-
Oui. Enfin ça n'a pas été très difficile pour moi. Plus petite déjà, je rappelais à ma mère de payer les factures et je m'assurais que le frigo était rempli...-
Et comment avez-vous réussi à prendre votre envol ?-
J'ai payé l'Université grâce à ma bourse, pour le reste j'ai tout misé sur mes économies et j'ai vendu quelques toiles pour arrondir les fins de mois. J'ai toujours été débrouillarde, et ça ne me faisait pas peur si cela m'ouvrait des portes... -Sans même m'en rendre compte j'exprimais ici mon envie et ma motivation. Elle, elle semblait l'avoir tout de suite perçu, alors que je le réalisais à peine.
-
Je vois... Qu'est-ce qui vous a finalement amené jusqu'ici, à San Francisco ? » Ni une, ni deux, je me retrouvais plongée dans mes pensées.
FLASH BACKJe venais de finir ma course sur mon lit, blottie dans une douce et chaude étreinte, contre un torse que j'avais hâte de pouvoir caresser. Les baisers se voulaient brûlants et ma respiration haletante. Il me faisait perdre la tête, mais ne semblait pas en avoir conscience tant ses gestes étaient doux et naturels. Lui, il s'appelait Maël. Je l'avais rencontré dans un pub branché de la ville, un soir de déprime passagère. Sans doute suite à un message de ma chère et tendre mère d'ailleurs ! Nous avions discuté une bonne partie de la soirée, si ce n'est même de la nuit. De tout et de rien... Surtout de rien... Et sa personnalité, en plus de son joli minois, avaient retenu mon attention. Si bien que nous avions décidé de nous revoir. Une fois, puis deux, et voilà que nous étions chez moi, dans ma chambre, après avoir renversé quelques effets personnels à travers le studio, tout en semant nos vêtements dans la pièce voisine. Je frissonnais sous ses mains, m'étonnant moi-même de me montrer si peu raisonnable et sage face à lui. Je ne l'expliquais pas, et peut-être que le verre que j'avais bu un peu plus tôt m'avait aidé à en arriver là. Oh, bien sûr, j'avais conscience de tout ce qui se passait, de tout ce que je faisais. Aucune question ne se posait entre nous, et nos corps parlaient d'eux-même. Ils s'appelaient, s'apprivoisaient, se réchauffaient... Je réagissais au moindre de ses baisers, dans de légers soupires alors que mes lèvres venaient littéralement lui brûler la peau à leur tour. Une attirance qui m'avait été jusqu'à présent inconnue. Des histoires j'en avais eu certes, mais un tel désir était pour moi une réelle découverte. Mon cœur s'emballait alors que mon corps tout entier se consumait. La nuit fut passionnée, dans un ballet sensuel de baisers et de gémissements susurrés à son oreille. Une nuit qui a probablement marqué mon esprit à jamais. Au petit matin, je me réveillais tout contre lui, un drap enroulé autour de ma taille, allongée sur le ventre. Cette nuit d'amour, du moins pour moi, donna naissance à une relation de couple, qui dura une année. Sans doute la meilleure de ma petite existence soit dit en passant...
FIN FLASH BACKFLASH BACK«
Pardon ? » Je me tenais devant lui, fronçant légèrement les sourcils. Je pensais avoir mal compris ce qu'il venait de me dire. En fait, j'avais peur. Venait-il réellement de me laisser tomber ? Ca en avait tout l'air, rien qu'à en voir la tête qu'il faisait. J'en fus véritablement blessée et bouleversée. A croire que j'avais eu la naïveté de croire en cette histoire. Cela faisait tout de même un an que nous étions ensemble. Aussitôt, une foule de questions tombèrent en cascade dans mon esprit, se fracassant au passage sur mes pauvres sentiments. Qu'avais-je fait de travers pour qu'il décide de tout arrêter du jour au lendemain ?
«
Emma... Je suis désolé... Ce n'est pas toi, c'est... » J'entendais déjà le traditionnel refrain de la rupture que l'on voulait douce et sans histoire. Elle m'en donnait la nausée. Je réalisais alors qu'une fois cette conversation terminée, je serais à nouveau célibataire et j'aurais perdu l'homme que j'aimais sincèrement.
«
C'est à cause d'elle ? -demandais-je, d'une voix basse. Une boule s'était formée au niveau de ma gorge et je retenais mes larmes. J'étais si mal... Mais je ne voulais pas craquer, surtout pas devant lui. Le faire aurait été une erreur. Dévoiler mes sentiments et leur ampleur aurait été une grave erreur de ma part, une véritable faiblesse. Il était cette dernière, et il ne le savait peut-être pas. Il soupira doucement, et je compris que cette fille de SF était la raison de mon chagrin. Je lui devais cette incroyable douleur au creux de ma poitrine. -
Très bien... -tentais-je d'articuler, tout en réajustant les anses de mon sac sur mon épaule.
Tu m'excuseras, j'ai du boulot qui m'attend... » Je n'avais rien trouvé d'autre à dire pour m'échapper et fuir. Passant à côté de lui, le bousculant légèrement au passage, je m'empressai de regagner la station de métro la plus proche afin de me rendre à l'Université. Une fois sur place c'est dans un atelier d'art plastique que je me suis réfugiée. M'appuyant tout contre la porte, je me suis laissé glisser et j'ai pleuré. Je me sentais tellement bête... Une véritable enfant, pleine d'illusions.
FIN FLASH BACK«
Emma ? Emma ? -
Oh... Euh... Excusez-moi, j'étais ailleurs... -Elle esquissa un sourire, tandis que la gêne reprenait le dessus sur moi.
-
Vous n'avez pas répondu à ma question. -Je la regardais, arquant légèrement les sourcils. Sa question ? -
Qu'est-ce qui vous a donné envie d'entrer dans cette Université ?-
Et bien... Je dirais la qualité d'enseignement, la réputation. J'ai une soif de découverte et d'apprentissage qui me pousse toujours plus loin. L'un de mes professeurs m'a suggéré de postuler. Ouh que c'était mal de mentir... Quoique, après tout, je ne le faisais pas vraiment. Officiellement j'étais bel et bien ici pour mes études, afin d'obtenir le meilleur diplôme qui soit. Officieusement, j'avais autre chose en tête. Ou plutôt : quelqu'un.
-
L'entretien est terminé mademoiselle Davis... Ce fut un plaisir de discuter avec vous, je vais transmettre votre dossier à l'administration de l'Université. Si vous avez le moindre problème, ou encore une quelconque question, vous savez où se trouve mon bureau désormais. » -Elle me serra la main, comme à la suite d'un entretien d'embauche, et me raccompagna jusqu'à la porte. Je la remerciai poliment et me retirai. Je venais de raconter ma vie à une inconnue. Mais je m'étais réservé le meilleur.