Il y avait des jours où il ne valait mieux visiblement pas sortir de chez soi, c'était ce à quoi pensait Caïn dès qu'il avait mis le pied dehors. Malgré les nuages qui se pointaient enfin pour le délester de l'astre trop lumineux à son goût, la chaleur était exécrable. C'était un temps d'orage, un temps où l'on avait l'impression de cuire dans un four géant tant les températures étaient élevées. Le jeune homme se dit d'abord qu'il était plus rusé de retourner chez lui et de continuer sa vie de larve qui se résumait par; se coucher après des heures d'ordinateur, se lever à plus de 14h, prendre une douche si le courage le permettait, aller sur l'ordinateur, se coucher etc. Une boucle éternelle dont il s'était véritablement lassée. Parfois, il jugeait bon de prendre un livre mais il les connaissaient déjà tous par cœur. Et c'était de même pour les films. Il avait vu plus d'une vingtaine de fois "Le Seigneur des Anneaux", connaissant la plupart des répliques, et il en était de même pour "X-Men", les Tim Burton ou les Hayao Miyazaki. Et il ne voulait pas sortir par ce temps désastreux pour aller louer un DVD ou se rendre à la bibliothèque, deux endroits pourtant peu éloignés de son habitat. Lorsqu'il avait vu le ciel grisonnant, il avait crut rêver. Depuis une semaine, le soleil oppressant avait pointé le bout de son nez et il ne le supportait plus. Il s'était donc habillé promptement puis avait pris de quoi survivre à l'extérieur; des clopes, un vieux zippo avec un dragon gravé, son mp4, son portable, de l'argent et surtout ses clefs. Puis finalement, il laissa le portable sur la table de nuit. Personne ne l'appelait ni ne lui envoyait des SMS, la plupart des gens qu'il connaissait étant en vacances en Europe. Ou alors, c'était lui qui ne répondait parfois pas. L'irlandais regarda subrepticement l'heure analogique qui indiqua clairement 16h55. A force d'avoir une vie totalement décalée, à la limite d'un noctambule, il ne savait même plus quel jour nous étions. Au cas où Imogen lui rendrait une nouvelle visite, il avait laissé un petit mot sur la table, griffonné d'une écriture rapide mais toutefois soignée;
"Je suis parti faire un tour dehors parce que je ne supporte plus d'être enfermé. Si tu passes par là, il y a quelques cigarettes qui traînent dans le placard, au-dessus des fringues. Ha et si tu as faim, tu as aussi de quoi survivre avec ce qu'il y a dans le frigo. Je ne sais pas quand je rentre. Ca'"
Il doutait que son amie passerait mais elle était tellement habituée à ce qu'il soit dans son appartement que, si elle passait à l'improviste, elle risquait de s'inquiéter. Depuis qu'ils s'étaient rencontrés à nouveau, ils étaient très proches ce qui satisfaisait visiblement le garçon. Non pas qu'il ait des sentiments pour elle, loin de là. Seulement, il se sentait revenir à une vieille époque où il était encore un frêle et candide adolescent. Cette période était désormais révolue et bien éloignée. S'apprêtant à claquer la porte, il eut une subite envie et prit son appareil photo, qu'il avait eut l'envie de nommer Sigyn. Etant désormais sûr qu'il avait tout prit, il descendit donc l'escalier, ouvrit la porte et ... Crut mourir, ébouillanté. Caïn avait toujours détesté la chaleur et le soleil. Il préférait les hivers glacials et les pluies déferlantes. Il soupira et posa un second pied sur le sol avant de continuer jusqu'à la rue. Il retira la protection de l'appareil, mit une cigarette en bouche, et mit Sigyn autour de son cou, prêt à toute éventualité. Cela faisait désormais un moment qu'il n'avait pas appuyé sur le déclencheur puisque son boss était parti en vacances. Un mois dans un pays d'Afrique. En bref, des semaines et des semaines d'ennui pour l'Irlandais. Son patron avait beau parfois jouer avec ses nerfs, c'était quelqu'un de gentil qui appréciait toujours son travail et qui, aussi, était un excellent photographe. Nouveau soupir. Il ne savait pas trop vers où se diriger. D'instinct, il prit la direction de Buena Vista Park pour quelques clichés. A cette heure-ci, les enfants se faisaient plus rares et la nature reprenaient ses droits. Les quelques gosses qui restaient acceptèrent une petite photo, avec l'autorisation des mères qui discutaient et qui, au vu du sourire charmeur de Caïn, ne purent dire non. Après ce petit détour, il prit également en cliché le War Memorial Opera House dont il n'avait pas encore de photo. Il y resta une bonne dizaine de minutes avant de, lassé, s'asseoir sur un banc non loin.
D'habitude, la photographie calmait ses nerfs et lui permettait de se sentir mieux. Aujourd'hui non. Il se sentait incroyablement vide et seul. Il porta une nouvelle cigarette à sa bouche et l'alluma avant d'analyser ses propres clichés. Trop banals. Trop cartes postales. Il lui fallait autre chose, quelque chose de plus original que ces trucs déjà vus et revus. L'irlandais réfléchit à un meilleur endroit, avec du monde de préférence pour se sentir moins associable, mais pas trop pour ne pas se retrouver parmi une foule compacte. Un endroit où il pourrait prendre des photos moins connues que d'habitude. Il pensa alors au petit bar à l'ambiance pop-rock dans lequel il était atterrit, par le plus grand des hasards, la dernière fois et auquel il commençait à s'habituer puisqu'il avait dû y aller une bonne dizaine de frois. Un sourire effleura son visage auparavant de marbre et il se mit en marche. Il suivit son instinct pour retrouver le lieu, un peu perdu. Heureusement, au bout de quelques minutes harassantes de marche, il trouva le bar et y entra. Il franchit l'entrée et se dirigea vers le zinc où le barman discutait avec quelques clients, visiblement habitués. Voulant changer ses idées et bousculer ses habitudes, Caïn décida de commander un whisky avec un glaçon. Après quelques secondes, le vieil homme lui donna avec un sourire. Le garçon se tourna vers la scène et vit un jeune homme. Visiblement, grand, plutôt mince, yeux noisette, cheveux bruns complètement désordonnés. Intrigué par cet étrange inconnu, il s'avança et s'installa à une chaise non sans avoir auparavant demandé au barman;
- Qui est-ce ? - Sais pas.
Caïn le regarda d'un air affligé. Après tout, ce n'était pas son boulot mais tout de même. Il observa attentivement l'artiste sur scène et ne put s'empêcher de prendre une photo. Les mains sur sa guitare filaient gracieusement. Il les prit avec l'instrument en question. Ce gars-là était plutôt photogénique. L'irlandais en lâcha sa cigarette.
J'aurais préféré mon sommeil plus long, mon lit plus confortable, mon appartement plus propre. Je me réveillais à treize heures sans grande envie. Je ne voulais pas émerger, la soirée précédente fut difficile. Je n'avais pas mangé, j'avais ingéré des substances diverses et des cacahuètes, rien d'autre. Autant dire que je n'étais pas au meilleur de ma forme. Par chance ce matin, je n'avais pas de femme dans mon lit, ni d'homme. Il ne s'était pas trop amusé à ce que je vois. Je ne me souvenais que de peu de choses, evidemment : mais j'avais faim. Mes jambes étaient en compotes, j'avais la pateuse et étais nu. Je détestais dormir nu, me voir nu, être nu. J'ai tendance à être pudique envers moi-même. J'allais manger, et boire, parce que voilà, une journée avec la langue pateuse, ce n'est pas le rêve. J'irais me promener après, dans les rues de San Francisco, prendre l'air. L'air frais. Si on peut appeller ça du frais... Mon appartement semble être un four, je n'ai qu'une seule envie : prendre une douche froide, très froide, quasi-glacée. Si seulement ma peau le supportait. Une heure plus tard je quittais les lieux à la recherche de la moindre once de vents. Je portais, malgré ce temps, un jean et un marcel. Je déteste dérroger à mes valeurs : jamais de short, de bermudas, de trucs street-wear dégueulasses. Ce n'est pas phylosophique, c'est psychique. Il fallait que je me ressaisisse, le soir même je me produirais devant un publique. Il est vrai que cela fait bien longtemps que je ne me suis pas planté devant un micro, il est tout aussi vrai que cela me manque. Mais c'était pas nécessité, je me faisais peur. Assis sur un banc, je contemplais l'horyzon. Les hommes, les femmes, qui se précipitaient un peu partout : dans les taxis, les buildings, les parcs, les magasins, les restaurants. C'était divertissant car inutile. On ne peut dire que j'ai de activités très intéressantes. J'évite d'avoir des amis, j'évite d'être aimé, j'évite les discussions. Sauf par cas de nécéssité. Tiens, que vient-elle faire là ? Ma Magenta s'infiltre dans mon esprit, remplit toutes mes pensées. Comme à chaque fois que la mélancolie m'emporte et que je contemple la vie dans cette ville. Sofia et San Francisco sont tellement différentes... Je n'en aimerais jamais qu'une. Je m'allongeais sur ce banc, Maggy partait doucement, tendrement au fur et à mesure que je fermais les yeux. Si je m'endormais, elle viendrait hanté mes rêves, à coup sûrs. Ou ce serait Sanjay, avec Omar, il lui ferait du mal ; et ça, ça n'est pas un rêve, mais un cauchemard. Les gens s'affairaient autours de moi, j'étais comme sur une île déserte. Si déserte que je m'endormais, là, sur ce banc en pleine rue. Fort heureusement à l'ombre. "Vous ne devriez pas dormir ici mon petit. Si vous tenez à votre pantalon Levi's." Je me fis prendre par sursaut. C'était une terrible grand-mère, son intention était honorable. Mais jamais il ne faut réveiller une bête qui sommeille. Règle numéro un.
Retournant à mes appartements je découvrais l'heure avancée. Mince, j'étais resté bien trop longtemps à lambiner sur ce foutu banc. J'avais un mal de dos violent et j'étais collant comme du sucre. Je ne pu m'empêcher d'entrer sous ma douche en quatrième vitesse. Je n'en pouvais plus de cette moîteur, je déteste ça. En sortant j'allumais une cigarette. Je n'avais plus qu'une heure devant moi, le club était à quarante-cinq minutes à pied. Parce que oui, non, les transports en communs ne me sont pas favorables. La claustrophobie chez moi est poussée, très poussée, et dangereuse. Ne tentons pas le diable, ne tentons pas Ugo-Marley. J'ai appris, au fil des années, à vivre avec lui, à m'accomoder de ses petits caprices, de ses problèmes avec le monde. De mes problèmes avec le monde. Je priais de mon corps entier qu'il ne se pointe pas ce soir, cela briserait mon contrat, ma seule source de revenue. Je n'étais pas très bien habillé pour un évênement de ce taille : je ne suis pas un show-man, je n'ai pas besoin de paillettes, je ne les aimes pas. La simplicité de mon accoutrement fit rire le gérant du club, ce qui ne me plu pas. Je n'en dis rien. Il me donna une bouteille de whisky, "histoire de garder ta voix, petit". Je n'en bu qu'une gorgée pour me rafraîchir en commencant l'installation. Des clients me regardaient comme une bête de foire. Comme si j'étais quelqu'un d'étrange, comme la femme à barbe ou des siamois. À vrai dire ça ne m'aurait pas moins plus d'être ça que d'être celui que je suis à ce jour... Il n'est que vingt heures et les spotlights sont tournés vers l'emplacement où je suis censé être. Mais je n'y suis pas, je me suis enfermé dans les toilettes. "Omar, s'il te plait, pour la dernière fois : ne viens pas. C'est important pour toi comme pour moi. Mon argent est le tien. Sans argent : pas de drogues, pas de femmes, pas d'hommes, pas de lits, pas de sex. Je compte sur toi." À quoi ça sert ? À pas grand chose, j'imagine. Je préfère lui parler clairement plutôt qu'il arrive par magie. Cela me grillerait. Les badaux s'impatientaient. Je montais sur scéne sous quelques acclamations timides. Je n'en avais que faire : c'était un début.
Les gens étaient plutôt receptifs. Je reprenais de vieux standards : Elvis, Beatles, the Smiths, Police. Du classique mais fringuant. Je n'avais pas la prétention d'être un bon écrivain, ah ça non. Je n'avais que la voix de mon père et un très bon doigté comme pouvoir, comme puissance, comme don. Cela devait faire une demie heure que j'avais commencé, il ne restait plus qu'une autre demie heure. J'étais calme, paisible, pas d'Omar en vu. Les gens demandaient qui j'étais, je me présenterais à la fin, si cela peut faire plaisir. Un homme s'asseya devant moi. Ca y est, c'est mauvais. Je ressentais en moi ce picotement, c'était Omar. Il avait un apétit sexuel démesuré... Il le trouvait mignon, je le trouvais moins. Je n'aimais pas son appareil photo, oh que non. Je détestais les photos, être pris en photos à mon insu, la publication des photos. Tout ça me mettait hors de moi. Je continuais calmement, prenant une gorgée de whisky entre chaque reprise. Il me fallait du courage pour lutter et finir. Et ces photos, toutes ces photos qu'il prenait de moi, mince alors. Je ne suis pourtant pas si beau, même pas un tentinait photogénique.. C'était fini, voilà, ouf. "Bonsoiiiir. J'espère que ça vous a plu. Mh, moi c'est Anatoliy Zieger. Je suis pas d'ici, je suis bulgare. Mais, mh, c'est cool San Francisco, c'était cool. Merci." Plus je parlais, plus ma voix allait decressendo. Je n'aime pas parler en publique, pas à des gens inconnus qui me fixent comme un bébé alcoolique. Je m'ecclipsais rapidement, ou plutôt leur tournait le dos pour pouvoir ranger ma guitare tranquillement. La musique de la radio retentit à nouveau. Elle n'était pas mauvaise non plus. Même plutôt bonne. Guitare sur l'épaule, je me rendais au bar, histoire d'être payé et de boire un verre. Je commandais une bonne bière, histoire de fêter le succès. Je reçu 350 $, appellons ça de l'argent facile. De l'argent facile qui amène une joie intérieure. Une joie intérieure bientôt troublée par un trouble-fête. "Hey. Tu es heum ... Anatoliy c'est ça ? T'es plutôt doué, je dois l'admettre. C'était cool. Surtout les Smiths en fait." C'était lui, celui qui m'avait shooté de tout les sens, de tout les côtés. Il portait son appareil photo dans la main. Il s'installa sur le tabouret à mes côtés et déposa son appareil sur le zinc. Je ne retenais pas, continuant de boire ma bière. Comme dit précedemment : j'évite les discussions et d'être apprécié.
Caïn était venu quelques fois dans ce bar pour boire un verre. C'était un commerce sans prétention dont la moitié des habitués étaient des ivrognes. La plupart étaient des vieux sans grand intérêt, pas du tout du goût du garçon. Mais c'était l'un des seuls endroits de San Francisco où l'on ne risquait pas de se faire agresser. Dans ce coin, il y avait rarement de jeunes filles à faire le trottoir, de dealers violents ou bagarres en tout genre. C'était sûrement pour cela qu'il venait souvent ici. Pas d'embrouilles. Que du calme, de l'alcool et de la musique. Un peu éloigné de la civilisation et de la foule. Il n'était venu qu'une poignée de fois pourtant, il s'y sentait presque comme chez lui. L'endroit qu'il préférait, comme de nombreuses personnes, était le balcon. Un bol d'air frais. Il donnait une belle vue sur les rues aux alentours mais également sur la scène où se produisaient les groupes ou, en ce soir ci, le chanteur et sa guitare. Cependant, l'irlandais n'allait pas rejoindre cet endroit. Non, il était d'abord trop occupé à observer le curieux guitariste sur la scène. Il était absolument sûr de ne l'avoir jamais vu auparavant que ce soit dans la rue ou se produisant. Il se serait rappelé d'un tel garçon. Il prit son whisky lorsqu'il entendit l'air si familier des Smiths. Il faillit en recracher sa boisson. Il avait visiblement de bons goûts musicaux. Intrigué, il n'avait put s'empêcher de se rapprocher vers une table et de l'observer attentivement. Et de même, sans qu'il ne s'en rende vraiment compte, il avait sortit son appareil photo et avait appuyé sur le déclencheur. Après plusieurs photos, il constata avec étonnement que l'inconnu était plutôt photogénique mais paraissait plutôt crispé sur scène. Caïn se trouva soudainement inspiré et prit plusieurs clichés différents en essayant de gêner le moins possible le jeune homme face à lui. Il sourit lorsqu'il vit le même verre rempli de whisky. Puis il retourna regarder ses photos qu'il trouva plutôt réussies, sur le coup. Il se dégageait quelque chose de ce gars de plutôt étrange. Quelque chose que le jeune irlandais n'aurait pas put qualifier même s'il le désirait.
- Bonsoiiiir. J'espère que ça vous a plu. Mh, moi c'est Anatoliy Zieger. Je suis pas d'ici, je suis bulgare. Mais, mh, c'est cool San Francisco, c'était cool. Merci.
Lorsqu'il entendit ces mots, Ca' était en train de terminer sa boisson. Il avait également finit de le prendre en photo. Anatoliy ? Plutôt peu commun comme prénom par ici. Ou même dans le monde puisqu'il était le premier qu'il rencontrait. Apparemment d'origine bulgare, il ne devait pas être vieux à San Francisco. Il le savait mieux que quiconque car il avait toujours eut du mal à lui-même s'adapter à cette ville trop imposante. Malheureusement, il avait bien fallut venir ici, quelques soient ses raisons. Et puis, il semblait plutôt timide, sa voix descendant au fur et à mesure qu'il parlait. Caïn le fixa peu, pour ne pas le gêner davantage. Peut-être les photos l'avait-il déjà embêter. Il ne voulait pas être pris pour n'importe qui et pensait d'ailleurs aller s'excuser par la suite. Après qu'il eut fini de parler, le bel inconnu rangea sa guitare dans son étui, tournant le dos au public. Pendant ce temps, notre protagoniste crut malin d'aller commander autre chose à boire. Se disant qu'il aurait tout de même aimer finir la soirée sobre, il décida de rester raisonnable et ... Choisit finalement de reprendre un whisky glacé. Aucune volonté décidément. De toute façon, il finirait sa soirée tranquillement dans son coin sans ne se soucier de personne et vice-versa. S'il avait envie de terminer complètement saoul, c'était son choix et à personne d'autre. D'ailleurs, c'était ainsi qu'il avait terminé les deux dernières fois ici. Peut-être était-ce pour cela que le vieux lui jetait un regard malveillant. La radio se ralluma pour ne pas laisser la salle dans le silence. Cet air lui disait vaguement quelque chose mais il ne se rappelait pas où il l'avait entendu. C'était une chanson plutôt vieille, un chanteur à la voix grave. Ca n'avait pas d'importance après tout, il finirait par retrouver. Cela ne changerait pas sa vie de toute manière. Le garçon se dirigea jusqu'à la table où il était auparavant pour récupérer l'appareil photo laissé nonchalamment. Il n'avait absolument pas peur que l'on puisse lui voler. Il y avait peu de monde et il était plutôt rapide, malgré sa révulsion pour le sport. Il aurait put courser n'importe lequel des vieux ivrognes plantés là avec ce qui n'était vraisemblablement pas leur premier verre. Après cette constatation inutile, il remarqua le musicien ramasser son argent et prendre une bière. Caïn sourit, se disant que c'était une bonne occasion. Il se dirigea vers lui lentement.
- Hey. Tu es heum ...
Il dût faire un effort particulier pour se rappeler du prénom si étrange du garçon. Non seulement il l'avait photographié sous presque tous les angles, mais s'il n'arrivait même plus à retrouver son prénom ... Heureusement, un sourire illumina son visage.
- Anatoliy c'est ça ? T'es plutôt doué, je dois l'admettre. C'était cool. Surtout les Smiths en fait.
Il lui lança un nouveau sourire compatissant, sans ne rien dire de plus. Il s'installa au bar pour continuer de boire gentiment. Puis il décida de poster l'appareil photo sur le zinc, le trouvant un peu lourd. Quelque peu éreinté également, il s'étira de tout son long tel un chat. Son interlocuteur ne lui avait toujours pas répondu et buvait tranquillement sa bière comme s'il ne lui avait jamais adressé la parole. Etait-il donc si timide ? Quelqu'un de trop introverti n'aurait jamais l'audace de se représenter sur une scène. Même s'il était vrai que la scène en question était plutôt petite et que quelques rares gens faisaient attention aux groupes qui passaient. Mais tout de même. Il y avait parfois beaucoup plus de monde qu'en ce soir-là et ça n'était visiblement pas sa première fois sur scène. L'irlandais cessa d'y penser et termina d'un coup son whisky, ne laissant que le glaçon giser dans le verre désormais vide. D'un geste sur le bois, il fit comprendre au barman qu'il désirait un autre verre que ce dernier lui servit en soupirant et en murmurant que les jeunes, ça n'étaient plus ce que c'était. Le garçon leva les yeux et prit son appareil pour photographier l'air renfrogné du vieil homme et lui montra ensuite en rigolant. Le plus âgé sourit à son reflet, se trouvant apparemment plutôt beau sur le cliché fait à la va-vite. Ca' était plutôt heureux de réussir les portraits. D'habitude, son fort était plutôt les paysages, les photographies mises en scène avec du maquillage, un décor et tout ce qui s'ensuivait. Rares étaient les photos prises au détour d'un trajet. Il n'en était pas mécontent et se dit, qu'à l'avenir, il en prendrait peut-être davantage. Constatant le silence à côté de lui, il jeta un rapide coup d'œil à son voisin qui n'avait ni bronché, ni décoché un mot. De près, il était vraiment mignon. Plutôt son genre en réalité. Bien qu'éperdument amoureux d'Ephyre, il savait reconnaître la beauté dans ses traits les plus simples. Cet inconnu avait cet air un peu ailleurs, légèrement perdu. Caïn ne savait pas s'il devait aborder la conversation. Mais après tout, que risquait-il à part se faire rembarrer ? Voyant son appareil dans les mains, il se décida.
- Au fait, j'espère que je ne vous ai pas dérangé avec l'appareil photo pendant que vous jouiez. Je dois avouer que vous êtes très photogénique. C'est agréable de vous regarder.
L'irlandais avait dit cela sans aucune arrière pensée, juste ce qui lui trottait dans la tête, tout simplement. Il n'avait aucune raison de mentir ni d'être sympathique avec ce mec dont il ne savait que quelques renseignements. Savoir son prénom était plutôt utile et parfois indispensable mais il ne voyait pas comment converser avec lui en sachant cela. Il aurait put dire que c'était un prénom original mais peut-être était-ce d'origine bulgare. Et en ce genre de prénoms, il ne pouvait pas avoir le mérite d'y connaître grand chose. La seule étymologie que son cerveau fatigué et légèrement alcoolisé trouvait était l'anatole qui était une succession d'accord dans le jazz. Mais, n'étant sûr de rien, il préféra se taire et attendre une quelconque réponse qui, peut-être voire très probablement, ne viendrait pas vu la loquacité du jeune musicien ...
Il me lançait des petits sourires. J’évitais de le regarder pour ne pas éveiller la libido d’Omar. Et puis quoi encore. Je n’avais pas envie de lui répondre, je ne suis pas quelqu’un de sociable, absolument pas. Je n’aime pas parler, je ne parlerais pas. Je fini ma bière lentement, en commande une seconde d’un simple geste du doigt. Ils doivent avoir l’habitude, ces barmans de ces signes prompts et clairs. Si seulement tout pouvait être si clair qu’un signe pour commander à boire. Un signe pour tuer, un signe pour aimer, un signe pour comprendre. La vie en serait simplifiée. Ma vie en serait simplifiée. Je ne sais qui il était, mais c’était une personne avec du culot. Il s’agitait à côté de moi. Il venait de prendre le vieux barman en photo, ils riaient tout deux. Encore une victime de son appareil photo, si j’avais été dans un meilleur état je l’aurais écrasé au sol, son foutu appareil photo. Ce voisin importun me regardait avec précision, je le voyais du coin de l'œil. Il semblait décrire les moindres particules de mon visage. J'étais gêné, je n'aimais pas ça, du tout, pas plus que les discussions à vrai dire. J'avoue qu'au bout d'un certain moment, j'eus l'envie de lui répondre, parce qu'au final je n'aime pas être impoli, mais tout de même. Il n'était apparemment pas avare de discutailles. Ce devait être mon opposé, à coup sur. Finalement je tournais ma tête vers lui, un sourire timide aux coins des lèvres. Il avait de splendides yeux, je m'attardais dessus. Quelle rareté que je me prenne à regarder quelqu'un dans les yeux. J'évite les regards francs, les regards directs. Les regards tout court. "Au fait, j'espère que je ne vous ai pas dérangé avec l'appareil photo pendant que vous jouiez. Je dois avouer que vous êtes très photogénique. C'est agréable de vous regarder." Oh que non tu ne m'as pas gêné mon ami, à peine. En fait si, il m'avait terriblement gêné, mais comment le dire sans s'énerver ? À vrai dire : aucunes, mais je ne tenais pas spécialement à m'afficher devant mon ponctuel embaucheur. Je ne voulais pas vendre la peau de l'ours avant de l'avoir tué, autrement dit je ne souhaitais pas me griller ici avant d'avoir fais de nombreuses fois mes preuves. J'avais les yeux rivés sur son épaule : contact visuel, mais pas contact visuel direct avec l'interlocuteur; moins intimidant tout en restant normal. ''Salut. Mh. Ouais, c'est cool merci.'' Pour l'instant je faisais comme si sa deuxième démonstration était passée au travers de mes oreilles. Je n'apprécie pas plus que ça la violence physique tout comme la violence verbale en réalité. Mais voilà, il voulait parler, je n'allais pas pouvoir éviter toutes discussions indéfiniment, malheureusement. Alors voilà, je buvais d'une demie traite ma bière et commandais un verre de vodka au citron. Je posais mon coude gauche sur le zinc, tournant ainsi mon corps, faisait face au jeune homme. Je plantais mes yeux dans les siens. ''Je sais pas. Ouais, un peu en fait. J'aime pas être pris en photo. Et non, je suis certainement pas photogénique. J'ai jamais rien fais pour. Ce serait cool si tu pouvais les effacer, en fait.'' Je n'avais aucunes envies que les photos circulent. J'ai entendu parlé de cette langue de vipère qui sévit sur la toile, et je ne veux définitivement pas faire partie de ces ragots à deux sous. Ce serait tragique pour moi. Je deviendrais une bête de foire. Jamais ils ne doivent savoir, jamais personne. Le jeune homme me regardait, j'étais gêné, réellement. Je bu ma vodka, il me fallait du courage pour affronter un homme, pour affronter une discussion. L'alcool faisait son effet, il faisait peu à peu disparaître mon inhibition. ''Tu peux genre, me les montrer, et les supprimer après ?'' Je voulais qu'il le fasse devant moi, juste devant moi. Pas d'entourloupes, non non non.
Caïn buvait tranquillement son whisky en jetant des coups d'œil hagards à Anatoliy. Sachant que la cigarette était autorisée dans ce bar -ce qui était désormais interdit normalement, il ne put résister à l'envie d'en allumer une. Pour ne gêner personne, il balança la fumée derrière lui, préférant se prendre un torticolis que d'avoir une bagarre sur le dos. L'irlandais avait toujours ce genre d'attitude. Il détestait se battre. Que ce soit pour une bonne raison ou pour quelque chose d'aussi futile que de la fumée de cigarette. Il trouvait inutile d'utiliser ses poings et n'avait d'ailleurs jamais compris ce principe. C'était également une des raisons pour laquelle il détestait tant San Francisco. Il y avait trop de duels à son goût, souvent déloyaux de plus. Trop de sang coulait dans les rues sans que personne n'y trouvât rien à redire. Vraiment, cette ville n'était pas faite pour quelqu'un comme lui. Il fallait dire que le garçon avait beaucoup voyagé dans sa vie. Et c'était sans doute pour cela qu'il ne tenait pas en place et détestait rester à ne rien faire. Par exemple, il n'arrivait pas à s'imaginer prendre un verre seul, à un bar, sans aucune compagnie. Il finissait toujours par trouver quelqu'un avec qui discuter d'absolument tout et n'importe quoi. Ou bien il partait, tout simplement et vaquait à une occupation plus distrayante. Continuant de fumer discrètement, il remarqua le jeune homme à côté de lui le regardant aussi. Ca' n'esquissa pas un sourire, préférant détourner le regard. Peut-être le dérangeait-il vraiment après tout ? Il ne put retenir un soupir. Soudain, ce ne fut plus lui qu'il regarda mais ses yeux. Un sourire timide s'imprégna sur son visage tandis qu'il s'attardait sur l'océan de ses prunelles. Il sembla vouloir dire quelque chose mais rien ne traversa sa bouche. Ereinté par ce silence presque oppressant, Caïn trouva bon d'écraser sa cigarette sur un cendrier qui traînait et se vengea dessus en la frottant sur le verre puis reporta son attention sur son verre.
Il observa la marée orange qui glissait, un iceberg trônant fièrement au milieu de cette mer d'une couleur inhabituelle. Il joua avec le contenant, faisant s'agiter les tréfonds, faisant déferler des vagues sur le bord transparent. Cela n'étonnait personne qu'un irlandais boive du whisky puisqu'il était principalement importé de l'Ecosse ou de son pays natal, l'Irlande. Il n'avait jamais vraiment apprécié cette boisson auparavant mais son corps las se laissa désaltérer de cette boisson. Il observa le presque inconnu -oui car il savait son prénom- boire tout à coup le reste de sa bière qui restait dans sa chope et commander une seconde boisson dont il n'entendit pas le nom. Mais quand il la vit et surtout la sentit, il reconnut immédiatement la vodka. Hé bien, la soirée promettait si les deux buvaient autant. Quoique le photographe supportait en général plutôt bien l'alcool, ce n'était donc guère réellement un problème. Il prendrait un taxi et rentrerait bien sagement chez lui pour dormir et retourner à sa vie noctambule et ennuyeuse. Alors qu'il s'attendait au silence éternel de son "interlocuteur qui ne parlait pas", ce dernier tourna son corps vers lui pour le regarder, semblait-il plus attentivement. Il en fut tellement surpris qu'il dût rester les yeux écarquillés quelques secondes durant avant de reprendre le contrôle de la situation en disant qu'il devait paraître ridicule à le fixer ainsi. Déjà qu'il le dérangeait visiblement ... Car Caïn n'était nullement dupe au manège de ce garçon. Il savait que s'il ne répondait pas c'était moins par timidité que par manque d'envie. Cependant, il ne comptait pas lâcher prise. Il n'en avait nullement envie. Allez savoir pourquoi. Il planta son regard dans le sien et l'autre fit de même, ce qui arracha un sourire à Ca'.
- Je sais pas. Ouais, un peu en fait. J'aime pas être pris en photo. Et non, je suis certainement pas photogénique. J'ai jamais rien fais pour. Ce serait cool si tu pouvais les effacer, en fait.
Etrange mais le garçon ne s'en étonnât pas. C'était donc pour cela qu'il avait l'air si timide et qu'il n'osait pas lui parler. Peut-être n'avait-il pas osé lui dire, jusque-là, que cela le dérangeait. Caïn jeta un œil discret à son appareil photo et se dit qu'il était dommage de ne pas pouvoir garder les clichés de ce soir. Mais après tout, ce n'était pas si grave. Il trouverait d'autres gens à photographier. Ce gars-là était certes très beau et très photogénique -malgré ce que lui pensait- mais il avait croiser d'autres personnes toutes aussi charmantes que lui. C'était tout de même du gâchis, ne put-il s'empêcher de penser un bref instant. Après tout, c'était plutôt compréhensible. Se faire photographier sur scène par un inconnu. Il avait son droit à l'image et à l'égard de la loi, l'irlandais ne pouvait strictement rien y faire; il ne tenait pas à perdre son emploi. Et puis, il n'aimait pas non plus être lui-même pris en photo. Il trouvait cela vraiment chiant pour tout avouer. Il ne comprenait pas comment certains de ses ami(e)s, qui avaientt un métier de mannequin, arrivait à être si naturels et à avoir une telle confiance en eux alors que quelqu'un, qu'ils ne connaissaient souvent pas, les voyaient sous tous les angles. C'était même presque terrifiant quand on y pensait. Mais le garçon ne broncha pas et ne dit rien, continuant de jeter son dévolu sur son verre qui semblait passionnant. En réalité, il cherchait un moyen de garder les photos ou de convaincre Anatoliy. Il aurait put s'enfuir avec l'appareil mais avec déjà deux verres et sa fatigue, il n'y pensât pas bien longtemps. Nouveau soupir. Le jeune aux yeux bleus regarda celui aux yeux marrons qui fut apparemment gêné de ce simple contact visuel. Tellement gêné qu'il but sa vodka d'une traite ce qui l'étonna. Visiblement moins timide que tout à l'heure, il s'adressa à nouveau à lui pour lui dire;
- Tu peux genre, me les montrer, et les supprimer après ?
Cette fois, Caïn lui jeta un regard clairement étonné. Ce garçon était décidément surprenant. Toutefois, il lui faisait confiance, bien que cela puisse paraître bizarre vu qu'il était face à un inconnu. Il le fit attendre quelques minutes avant de répondre. Après tout, c'était lui qui l'avait laissé poireauter le temps d'une réponse alors il avait bien le droit de se venger un peu. Le jeune homme n'était pas rancunier mais était très impatient. Néanmoins, il prit juste le temps de terminer son verre en savourant le baiser froid du glaçon contre ses lèvres qui le fit frissonner. Il demanda ensuite une paille pour jouer avec le morceau d'eau solide, un peu comme les enfants. Puis, seulement après ce manège qui dût durer au maximum deux longues minutes de silence, il prit Sigyn entre ses mains et l'alluma l'appareil qui l'accueilla avec le son familier. Il soupira à nouveau -à croire qu'il était désespéré- puis regarda les photos qu'il avait lui-même prises. Il les regarda une à une, les analysant presque et les compara à celui qu'il avait à côté de lui, buvant, et s'impatientant sûrement devant son comportement. Il n'y avait qu'une dizaine de photographies, plus celle du vieux barman qu'il décidait finalement de garder. Sur cette légère poignée, deux représentaient ses mains glissant sur son instrument, deux autres en train de chanter avec gros plan sur son visage, une seulement avec une vue sur sa bouche prononçant un mot et son torse jusqu'à l'instrument, et cinq autres plutôt banales. Pour que cet étrange garçon lui donne sa confiance, il lui tendit son appareil sans broncher ni ne rien dire. C'était rare qu'il laisse son bijou entre les mains de quelqu'un. Surtout qu'il restait encore d'autres photos sur la carte mémoire. Des photos de paysages ou qu'il avait dût faire pour son travail et qu'il n'avait pas rendues.
- Tiens prends-le et regarde. Je n'ai rien fait pour les sauvegarder ni quoi que ce soit. Si tu les suppriment, il n'y en aura plus aucune trace. Et puis, je ne comptais pas nécessairement les publier. Enfin, je comprends que tu ne veuilles pas être photographié. Je trouve juste ça ... Dommage.
Caïn lui fit un sourire compatissant et ne dit rien de plus. Pour le moment, il hésitait s'il devait reprendre un whisky, prendre une autre boisson ou décider de s'arrêter à cet état-là. Puis il se dit que si jamais ce gars détruisait son appareil photo ou supprimait d'autres clichés que les siens, il n'aurait d'autre choix que de s'énerver ...