Il devait être 2 heures du matin quand j'ai ouvert les yeux pour la première fois, dans mon lit. Je me suis levé en nage, complètement sur le choc de mes rêves. J'avais encore, pour une énième fois rêvé à la catastrophe dont j'avais été victime à un si jeune âge. Quito me manquait. Plus je grandissais, plus mes rêves me le rappelaient sans cesse. L'appel de la terre natal se faisait de plus en plus grandissant. J'avais essayé d'assoiffer mon manque en m'informant le mieux que je pouvais dans toutes les bibliothèques de la ville. L'Équateur était presque une obsession. Je me disais qu'elle resterait jusqu'au jour où je déciderais d'y retourner. J'avais la nette impression qu'en y mettant les pieds, mes cauchemars cesseraient puisque j'aurais fait la paix avec mon passé. Malgré tout, pour l'instant, j'étais encore loin de pouvoir arranger les choses puisque j'étais criblé de dettes étudiantes - eh oui, j'avais convaincu mes parents de me laisser payer mes études moi-même - que je n'avais même pas encore complétées et que je n'étais payé qu'au salaire minimum à San Francisco, ce qui rendrait impossible de me payer un périble aussi extraordinaire.
En me levant dans mon lit, je me regardais mon reflet dans le miroir en voyant que j'avais transpiré. Cette vision m'arracha quelques mots.
-¡¡Maldita sea! Sé un hombre, Dom'! (Merde! Fait un homme de toi, Dom')
Je me dirrigeai ensuite dans la douche crasseuse de mon appartement pour me rincer et dès que cela fut fait, j'agrippai un chandail et une paire de jogging et les enfilaient. À cause de mon insomnie, j'étais obligé de vivre la nuit. De toute façon, cela me plaisait. Je ne me mêlais pas beaucoup avec ces Californiens. Malgré que l'Amérique était ma terre d'adoption, je n'avais jamais addéher au rêve commun de ses habitants: THE American Dream. Un latino naissait et restait latino jusqu'à sa mort. Et ça, même pas l'argent ne pourrait changer cela.
Donc, oui, je préférais être seul. Il ne fallait pas chercher à comprendre puisque de toute façon, peu me comprenaient. En général, je n'étais pas la personne avec laquelle on aimait le plus être: je ne suis pas très bavard et quand je l'ouvre, je balance des affaires trop compliquées et je laisse mon interlocuteur troublé puisqu'il ne sait quoi répondre. Si la solitiude a paru à certains comme une option, je l'ai plutôt considéré comme une fatalité. Si elle m'avait choisi, alors je ne contournerai pas ma destinée.
Sur ses tristes pensées, je quittai quatre à quatre mon apartement et décidai de jogger pour me libérer de mes démons. iPod sur les oreilles, je me laissais glisser dans mes pensées tout en poussant mon corps au maximum. Très vite, mes jambes m'amenèrent au Lincoln Park. J'appréciais l'idée de m'y retrouver seul et de courir dans la noirceur la plus totale.
***
Cela devait faire une heure que je courrais sans m'être arrêté. Sentant que je perdais le souffle, je m'arrêtais devant le lac central du parc. Alors que j'étais tout haletant et en sueur, j'approchais tranquillement du plan d'eau. J'atteignis mon lecteur mp3 et m'approchai de plus en plus proche de l'eau. Quand je me penchai pour m'y mirer, je vis une autre silhouette derrière mon épaule...
Insomnia. Un roman de Stephen King mais aussi la perte du sommeil. Mon sommeil à moi est comme une ombre qui plane au-dessus de ma tête. Chaque fois que je ferme les yeux, je vois mes trois années de calvaire dans cette cave. Je revois la nuit où mon frère m'a enfin libéré pour ensuite mieux me réenfermer par la suite. Je ne voulais plus de tout ça. Je voulais juste vivre. Vivre à en crever disait une chanson. Je voulais faire la même. Je n'avais que dix-huit mais j'en paraissais beaucoup plus. Je ne pouvais pas faire autrement puisque de toute façon, j'avais passé trois ans dans le noir avec pour seule compagnie un vieux PC. Il m'avait demandé une condition, je l'avais posé. Il pouvait faire tout ce qu'il voulait de moi sauf que je voulais un ordinateur. Le bougre n'a pas été si bête, il ne m'a pas mis internet mais j'ai réussi à cracker le code du voisin. J'étais douée pour ça. Tout ce qui touchait à l'informatique était mon domaine. Le domaine de Lilas. La fleur fanée. Je voulais oublier toutes ces années, je voulais retrouver ma jeunesse, je voulais tant de choses que je ne pouvais pas avoir.
Depuis environ deux heures je ne cessai de me tourner et me retourner dans mon lit. A côté, je pouvais entendre mon frère parler avec sa copine. Elle était toujours là. Bien qu'ils démentaient la teneur de leur relation, sa simple présence ici suffisait à montrer qu'ils se mentaient à eux même. Mais les gens n'étaient-ils pas doués pour ça ? Mentir ? Mon agresseur m'a dit qu'il ne me ferait pas de mal et j'en suis ressortie abimée, physiquement et mentalement. Tant pis pour mon sommeil. Je décidai de me lever et de me rendre au seul endroit où je me sentais à peu près en paix. C'était soit disant mon endroit secret. Mon refuge et personne ne m'y trouverait. Je l'avais découvert alors que je me promenai dans cette immense ville. Munie de Pascal – mon Macbook – je décidai de prendre Air mon chien pour aller le promener. Merci frangin pour ce magnifique cadeau. Un petit bouledogue français qui faisait plus de bruits qu'une mobylette. Je troquai donc mon pyjama avec des caméléons dessus pour un pantalon troué, un petit top et un gilet extra-long couleur cendre. A quoi bon faire des efforts ? Personne ne s'intéressait à moi et je ne m'en plaignais pas. Soupirant, j'attachai ma longue crinière rousse en queue de cheval avant sortir par la fênetre. Si je passais devant mon frère, il me demanderait encore des comptes. Le chien était assez content de se retrouver à l'air libre et je mis mes écouteurs sur les oreilles pour me laisser guider par Muse.
Le trajet de Richmond District jusqu'au Lincoln Park ne fut pas long puisque c'était juste à côté. Je regardai donc les immeubles, les gens qui se pelotaient dans les rues (en les enviant un peu) puis j'entrai dans l'orée du parc pour lâcher le chien qui partit en courant au devant de moi. Je le suivis en mettant la laisse autour du cou pour m'enfoncer dans les ténèbres du parc. Personne, pas un chat. Je m'assis donc un moment pour sortir mon ordinateur et lancer mon logiciel. Je mis ma musique à fond et Muse se mit à raisonner pendant que le chien faisait des allées venues autour de moi. Je lui dis de cesser mais non. Puis soudain, je relevai la tête pour voir quelqu'un approcher. Dans ce parc, à cette heure là, c'était courant. Intriguée, je rangeai donc Pascal dans mon sac que je remis en bandoulière. Rappelais Air et me dirigeai vers l'inconnu. Qui n'était pas si inconnu que ça d'ailleurs. Un bel hispanique qui m'avait sauvé la vie. Je m'approchai donc doucement vers lui. Air se mit à aboyer et je lui intimai de se la fermer en français avant de me racler la gorge. « Salut! » Les mains dans les poches, les cheveux emmêlés, j'avais l'air fraiche moi.
Lorsque j'entendis des aboiements, je sursautai malgré moi. À cette heure-ci, j'étais loin d'imaginer qu'on penserait promener son chien. Du même coup, j'aperçus dans l'eau le reflet de Lilas Martin-Andrews, que j'avais croisé brièvement lors d'un démêlé avec des policiers. Je l'avais sorti du pétrin et j'avais écopé d'une amende. Cela ne me dérangeait pas vraiment puisque payer une somme d'argent pour une faute que je n'avais pas commise semblait mieux que d'avoir sur la conscience la déroute de cette jeune femme devant l'autorité.
Lorsque je me retournais face à elle, elle me salua poliment en me regardant l'air détendu. Je ne répondis pas toute de suite puisque j'étais subjuguée par sa présence. En fait, sans vouloir avoir l'air trop protecteur, je me demandais ce qu'une femme pareille faisait dehors à cette heure. Bon, j'étais dans la même situation, mais j'étais un homme et forcément, j'étais moins vulnérable qu'elle dans la noirceur. Je trouvais qu'elle cherchait à s'attirer des ennuis. Peut-être cherchait-elle l'attention? Enfin, on ne sait jamais...N'empêche, qu'elle soit une connaissance ou non à mes yeux, je ne pouvais me résoudre à laisser une demoiselle se balader tout bonnement la nuit en sachant très bien que les «accidents» étaient très fréquents dans cette section-ci de la ville.
Alors, je me remis tranquillement sur mes deux échasses et m'approchai de son mollosse. J'ignorais s'il était dompté ou non, mais j'avais l'habitude avec les animaux. Mon sens du self-control étant très développé, j'avais une parfaite dominance sur eux et ils m'obéissaient généralement avec aise. Avec quelques coups de langue baveux sur ma main, je le pris dans mes bras et constatai qu'il était assez costaud. Sa prise ne me fit toutefois pas vascillé puisque j'étais assez musclé pour pouvoir supporter des charges plus lourdes et imposantes.
Le chien dans les bras, je m'approchai de Lilas et le lui mis dans les bras un peu de force et ce, même si je voyais qu'elle avait déjà les mains pleines avec son portable. Je pris un ton très calme pour l'aborder.
- Rentre chez toi. Ce n'est pas l'heure pour des jeunes femmes comme toi de faire un tour de ville, ordonnai-je presque avec ma voix aux accents hispanophones.
Je fis un petit sourire en coin et reculai pour la regarder faire. Je sonnai peut-être un peu trop paternel, mais je dirrais plutôt que j'agissais en homme de classe: tout homme qui se respecte ne laissera pas une femme dans une telle situation. C'est exclus.
Me balader dans un parc la nuit avec pour seule compagnie un petit chiot de deux mois et demi, bien entendu que c'était dangereux. Bien entendu que je n'étais qu'une sombre idiote mais que faire quand on ne trouve pas le sommeil ? Qui appeler ? Qui aimer ? Certains baisent, d'autres regardant la télé mais je n'ai malheureusement personne à baiser et il n'y a rien sur nos chaines. Donc me promener m'avait semblé être la meilleure solution et puis, j'avais fait du karaté et il était difficile de me surprendre après ces trois d'emprisonnement. Je me retrouvai donc en face de l'hispanique et je le dévorai complètement des yeux. Mes trois années d'enfermement. Mes hormones qui n'avaient pas eu le temps de se développer. Tout ça y était pour beaucoup et je devais faire des pieds et des mains pour ne pas lui sauter dessus comme une sauvage. Trouver un garçon aussi désirable et aussi gentil en pleine nuit, c'était une aubaine. Alors je me mis à sourire comme une grosse conne en essayant de déchiffrer ses paroles. Je ne parlais pas un mot d'anglais et j'eus toutes les difficultés de ne le comprendre avec son accent qui sonnait comme un doux ronronnement à l'oreille humaine et j'eus un mal de fou à me ressaisir. Grand dieu que je détestai cette période qui me donnait envie de sauter sur lui, Aaron et tout autre garçon ayant un fessier à damner un saint. Je soupirai en comprenant finalement le sens de ses paroles et repris Air qu'il avait dans les mains. Mes doigts effleurèrent accidentellement sa peau et je retins ma respiration, le temps de rompre le contact qui m'électrisait. Ensuite, d'un coup de pouce, je détachai mes cheveux roux qui retombèrent en cascade sur mes épaules. Je haussai le sourcil avant d'essayer de lui répondre.
« Je... parle pas bien anglais... Mais non. Pas envie de rentrer. » J'avais été enfermée pendant trois ans et s'il voulait qu'on se batte pour savoir lequel des deux imposerait sa volonté à l'autre, j'étais partante. La sensation qu'on éprouvait quand on se battait était similaire au sexe. Je n'avais eu que des rapports non désirés et y repenser me fit mal mais je ne devais pas, je devais me montrer forte. Alors, je me mordis juste la lèvre et Air se mit à aboyer. Je lui intimai de se taire dans ma langue natale et m'assis dans l'herbe, rouvrant mon ordinateur et mettant de nouveau de la musique. Je levai ensuite les yeux vers lui et tapotai l'espace libre à côté de moi pour lui demander de s'assoir. J'aimais bien Domenico. Il était jardinier de ce que je savais mais c'était un homme mystérieux. J'aurai pu cracker la base de données et avoir des informations sur son passé mais le défi n'en était que plus excitant d'essayer de savoir qui il était, ce qu'il avait vécu. Vu son air autoritaire, il devait avoir beaucoup souffert. Je mis en marche mon traducteur et lui souris. « Drôle de coïncidence. Toi, moi, ici ?' »
J'aurais d'abord espéré qu'elle se plie gentiment à mes recommandations, mais je semblais avoir oublié l'ombre d'une seconde que je ne faisais pas face à n'importe quelle femme. En effet, si elle avait eu quelques ennuis avec les flics, je devais m'attendre à quelqu'un de plus survolté, qui a du caractère. Donc, quand elle refusa de m'écouter, je restai inerte. J'avais aussi oublié que l'Anglais n'était pas sa langue première...encore moins qu'elle ne l'était pour moi.
Lors de notre dernière rencontre, Lilas avait encore eu plus de difficultés que moi à faire une phrase complète. Elle avait bafouillé quelques mots presque incompréhensibles dans son anglais bafoué, mais sans plus. Je constatai qu'elle avait fait quelques progrès depuis la dernière fois puisque sa dernière phrase était plus complète, presque entière. Je pouvais comprendre sa difficulté à faire immersion dans un pays où la langue parlée était différente de sa langue natale. À l'époque, à 6 ans, arrivé dans un endroit totalement inconnu avec des étrangers comme nouveaux parents était un choc, mais le plus grand à certainement été la langue. Dans ma naïveté d'enfant, j'avais cru qu'on parlait pareille partout sur le globe. J'ai vite réalisé que ce n'était pas le cas. Bien sur, Kaitlin et George avaient pris soin d'apprendre quelques mots de base en Espagnol, mais les premières semaines ont été très difficiles puisque la communication entre nous était très limitée. Heureusement, j'ai vite appris l'Anglais, mais l'Espagnol me laisse un handicap: je parlais toujours avec un accent et roulerai mes r éternellement. J'imagine que Lilas aura sûrement des lègues de sa langue natale lorsqu'elle maîtrisera parfaitement la langue de Shakespeare.
Enfin bref, comme je l'ai déjà mentionné, en constatant son refus à éviter les ennuis, je compris tout de suite que j'aurais à prolonger mon séjour dans le parc Lincoln. Lilas était une jolie jeune femme et j'étais loin d'être inconscient: n'importe quel homme de ma trempe ne pourrait faire qu'une bouchée d'elle et l'amener dans un coin sombre...Ainsi, je la regardai libérer ses cheveux de sa couette et s'installer dans l'herbe nouvellement fraîche par l'humidité de l'air. Elle rouvrit son portable et me fit un petit signe pour m'asseoir. J'hésitai un moment avant de m'asseoir: je ne travaillais qu'à partir de 13 heures, donc même si je revenais tard, je pourrais récupérer un peu dans mon appartement. Je m'assis donc à ses côtés et l'observai quelques minutes naviguer sur Internet. Je ne bougeai pas d'un poil et me contentai de la fixer d'une expression neutre.
Soudainement, sa voix brisa le silence de la nuit en lisant la traduction de sa phrase sur le net. Cela me décrocha un faible sourire sur le coin des lèvres: je m'étonnai des prouesses de la technologie ces derniers temps. Elle tentait d'entamer la conversation. C'était une tentative sympa, même normale. Sauf que, j'haïssais faire la conversation. Cela m'obligeait toujours à devoir parler et forcément, parler de moi, ce que je pense, parler de ma vie...ce n'était pas mon style. J'étais assez économe des mots lorsqu'il s'agissait de converser avec quelqu'un. Il faudrait que cette charmante rousse ait les nerfs coriaces pour m'arracher les vers du nez. Jusqu'ici, c'était une épreuve que peu avait réussi.
En ayant un sourire triste, j'abaissai l'écran de son ordinateur et gardai le silence quelques secondes.
-On pourra parler quand tu veux, mais plus tard, soufflai-je doucement en espérant qu'elle comprenait mieux l'Anglais que le parlait. Je peux te raccompagner si tu veux, mais il faut que tu rentres.
Voir un visage connu à cette heure ci me fit tout drôle parce que je ne m'attendais vraiment pas à retrouver quelqu'un ici. Et mon interlocuteur n'était pas n'importe qui. C'était Domenico, mon sauveur, celui qui m'avait tiré d'une mauvaise situation et je lui en étais reconnaissante. Je ne l'aimais pas particulièrement, ni le détestai, il était un peu comme un inconnu. Un inconnu mystérieux et intriguant. Pour ma propre survie mentale, je ne devais pas m'attacher aux gens. J'avais un gros béguin pour Aaron mais rien de sérieux. A quoi bon aimer quelqu'un quand on se fait blesser ? Je ne pouvais plus m'attacher aux gens. J'étais détraquée et comme il fallait en plus puisque je préférai la compagnie des ordinateurs à celui des humains. Voir un homme en face de moi m'intimida un peu même s'il s'agissait de Dom. Il était beau, il était gentil mais j'étais certaine sans lui poser la question qu'il ne me voyait que comme une gamine, une petite soeur en quelque sorte et je préférai ignorer ça parce que ça avait le don de me faire péter une pile puissance dix. La dernière fois, j'avais mis mon poing dans la figure du mec qui avait dit ça. Je le regardai un moment d'en bas. Il était vraiment immense alors quand il baissa mon écran d'ordinateur, quand il osa toucher Pascal, je me posai délicatement le Macbook à côté de moi avant de me lever, furieuse.
Je pouvais accepter qu'on me prenne pour une gamine mais pas qu'on touche à mon ordinateur, le seul qui m'ait accompagnée pendant ces trois dernières années. Je contractai les poings avant de comprendre clairement ce qu'il m'avait dit. J'allais faire un effort cette fois ci et essayer d'appliquer mes leçons d'anglais. « Nom dieu, une enfant. Me débrouiller toute seule. Si veux pas parler, bien mais va pas me dire rentrer parce que sinon pas s'entendre. » Je me baissais pour prendre Pascal et le ranger dans son sac énervée. Je ne voulais pas passer mes nerfs sur lui. Sur le fait que tout le monde me prenait pour une enfant sous prétexte que j'avais dix huit ans. Tout le monde voulait me couver, m'enfermer comme il l'avait fait il y a trois ans. Alors pourquoi devrais-je me laisser faire ? Je ne m'étais pas débattue quand j'avais quinze ans, mais je ne me laisserai pas faire. Timide, certes. Renfermée, encore plus. Mais il ne fallait pas me prendre pour une bonne poire. Je savais qu'il voulait bien faire. Protégeons la petite fille mais là, j'en avais ma claque. Entre Luke, Keenan, lui, trop c'est trop. Foutez moi la paix et occupez vous de vos miches. J'étais à deux doigts de lui en mettre une, de m'en mettre une. La prochaine fois, j'irai à la plage. Me rendre dans un parc en pleine nuit, il fallait être stupide mais rester enfermée, relevait à me rendre dingue. Je rappelai Air à qui je mis sa laisse pour au final me retourner vers Domenico. « Bon peux marcher avec moi. » Ouais, je sais, je devais avoir l'air d'une gamine demeurée de trois ans mais je ne comprenais rien à l'anglais. Et à cette heure ci, je n'avait aucune envie de faire des efforts.
Décidément, Lilas était une jeune femme pleine de surprises! J'avais l'habitude de bien saisir les femmes, mais Lilas, elle, semblait déjouer toutes les conjectures que je me faisais dans ma tête. Je ne m'attendais pas à ce qu'elle réagisse fortement de la reste. Bon, c'est vrai, j'étais un peu insignifiant pour pouvoir me permettre de lui suggérer fortement de quitter les lieux. Si j'avais été un ami proche ou même son frère, cela aurait peut-être été plus correct....D'un autre côté, agir de la sorte aurait été agir contre moi-même. S'il y a bien un enseignement que j'ai retiré de ma mère maternelle, c'est qu'il faut toujours rester fidèle à soi-même et qu'on ne doit pas laisser les autres ou le cours des événements influencer ce que nous sommes et ainsi, à nous pousser à commettre des gestes qui ne nous ressemblent pas. Elle semblait penser que je la considérais comme une enfant. Ce n'en était même pas la question. Même en étant majeures, les femmes courent de grand risques en se baladant sous les étoiles dans des coins peu recommandables. Personne n'est à l'abris d'agressions, même pas moi.
Donc, quand elle se leva et commença à se frustrer contre moi, je restai très calme face à son comportement. Habituellement, si elle avait été un garçon (quoique le contexte soit assez étrange), je me serais frustré très rapidement et je n'aurais pas hésité à sortir les poings pour défendre mes convictions. Toutefois, la situation était bien différente. Premièrement, dans un tel contexte, en venir à la violence serait abusif, voir innaproprié. Deuxièmement, il est strictement stipulé dans mon livre d'éthique qu'il est interdit de frapper une femme. Elle m'aurait assené de coups de poings, de gifles ou griffer, je n'aurais pas répondu à ses attaques. Qui oserait vraiment mettre la main sur une femme? C'est honteux, voir, inacceptable. Et finalement, je décidais de garder mon calme puisque j'avais vécu des situations comme celles-ci à la pelle. Trop souvent, j'avais trouvé des femmes en position d'infériorité et j'avais proposé de les raccompagner chez elle. Chaque fois, on avait refusé et encore refusé, car moi aussi en étant un inconnu à leurs yeux, je représentais une menace. Heureusement, j'ai usé de ma sagesse et mon intelligence pour arriver à mes fins. Or, je devais l'avouer jusqu'ici, Lilas représentait un défi supplémentaire pour moi: la langue érigeait beaucoup de ponts entre nous.
Alors que je croyais qu'elle s'apprêtait à partir, elle se retourna vers moi et m'incita à l'accompagner. J'eus un petit rire silencieux et souris en découvrant qu'elle avait baissé la garde avec moi. J'étais peut-être un peu trop paternel à son goût, mais j'avais au moins assez de charme pour qu'elle accepte ma compagnie.
J'allai la rejoindre et nous commençâmes à marcher. Je laissai échapper un commentaire puisqu'il me semblait inconcevable que je doive garder cela pour moi.
-T'aimes pas qu'on s'approche de trop près de ton portable à ce que je vois?
Voir Domenico aurait pu me faire du bien si je n'avais pas eu peur des gens. Ma peur de l'être humain c'était accentué avec mon enlèvement. Je n'arrivai plus à parler à autrui, même plus à les regarder tellement la situation en devenait pitoyable. Rien qu'un contact, une parole pouvait me faire fuir. Certes, je sortais en boite, j'allais à des fêtes, je buvais un peu d'alcool et j'avais besoin de ça pour aborder les garçons. Adrianno, Luke, tous se bornaient à me protéger mais je ne pourrais pas toujours me cacher derrière eux, les écouter ou même les regarder. Je devrais un jour me prendre en main, aller de l'avant, marcher comme une grande. J'étais sortie de cet enfer depuis trop peu longtemps, les blessures n'avaient pas encore complètement cicatrisées et ne parlons pas du mental. J'étais détraquée à vie, toujours sur Pascal, Phillippe ou Maximus, mes macbook. A la fac, je m'asseyais seule sur un banc et je repoussai quiconque venait me parler, parce que le contact, non merci.
Je marchai silencieusement à côté de Domenico quand il me posa une question alors je levai les yeux vers lui, méfiante. Pouvais-je réellement lui faire confiance ? Je n'avais pas fait confiance à grand monde jusqu'à aujourd'hui. Sauf à Charlotte et Christopher. La première était ma meilleure amie et le second, je ne le reverrai jamais. Pourquoi ? Parce qu'il n'habitait pas là pardi. Alors, je me contentai de rebaisser la tête et de lui répondre vaguement. « Il est tout ce que j'ai... » Un murmure, une vérité, mon PC était tout ce que j'avais alors je ne pouvais pas me permettre de le perdre, de me le faire voler. J'aurai pu dire que j'avais mon frère mais il n'était jamais là. Keep ? Non plus. Andreas ? Il ne me connaissait pas au fond. Charlotte ? Je ne la voyais presque plus. Et j'en passe. La solitude m'avait fait du bien. Mais pas à l'intérieur. Toute pièce me faisait faire des cauchemars et je n'aimais pas trop ça alors je me contentai de sortir en pleine nuit pour me rendre dans des endroits isolés quitte à me faire agresser. Je ne supportai plus l'enfermement mais il faut dire que trois ans dans une cave, ça change la donne. Je soupirai pendant que Air tirait sur sa laisse. « Et toi ? A part gueuler, dois tenir à quelque choz ? » Accent de merde et fatigue, vive la compagnie. Il faut dire aussi que ces temps ci que je ne savais pas trop comment me comporter. Trois ans sans côtoyer la société peut vous laisser un goût amer dans la bouche. J'aurai eu certes besoin d'un guide mais comme s'il y avait écrit « Pauvre folle » sur mon front, tout le monde m'évitait. Et il faut dire que je n'allais pas franchement vers les gens non plus.
Envoyer chier tout le monde était mon sport préféré et je ne savais pas pourquoi je ne l'avais pas fait avec Domenico. Ses muscles peut être ? Certes, j'étais une associable – bon qui sortait en boite – mais je restai une adolescente tout de même. Celle qui pensait qu'avec ses hormones et plus avec sa tête quand on voyait un homme un tant soit peu canon devant soi. Mais une bonne chose: je savais les maitriser et je ne sautai pas au cou du premier inconnu qui passait comme certaines. Je tournai à l'angle d'une rue pour voir que j'étais perdue. Décidément, je ne m'y ferai jamais à cette ville. Je jurai en français pour me tourner vers Dom. « Tsé où est Richmond District ? Jcrois qu'on est perdu... » J'avais fait un putain d'effort pour articuler cette phrase. Avé moi!
J'étais heureux que nous puissions entamer une conversation, car, même si parler n'était pas trop mon truc, je devais avouer que je serais très heureux d'en apprendre plus sur Mademoiselle Martin-Andrews. J'ai toujours eu cette fascination pour les autres. Je me suis toujours intéressé à leur histoire, leurs ambitions, leur entourage... J'ai toujours trouvé que chaque personne avait quelque chose d'exceptionnelle, quelque chose qui le mettait en valeur malgré ce qu'il en pensait. Personnellement, je n'avais jamais aimé parler de moi puisque ce n'était pas dans ma nature. Je trouvais que cela faisait un peu égocentrique, voir même peut-être un peu prétentieux. C'était assez ironique puisque j'attendais exactement le contraire de mes interlocuteurs...Disons seulement que je n'affectionnais pas particulièrement mon passé et mon histoire actuelle même si beaucoup d'autres s’entendraient pour dire qu'elle a finie sur une note plus joyeuse. Et puis, même si je n'étais pas quelqu'un qui aimait baigner dans les foules, j'appréciais la compagnie des autres. Seulement, je le faisais à ma façon et cette façon, bien des gens ne la comprenaient pas.
Donc, lorsque Lilas me répondit, j'eus un petit sourire pincé tout en continuant de regarder l'horizon. J'avais ce même sourire à chaque fois que quelqu'un me posait une question trop pointue et que je jugeais qu'il était plus sage de faire dévier la conversation. N'allez pas croire que je n'avais aucune confiance en Lilas... ce n'était pas ça. J'ai seulement été méfiant depuis un certain temps et cette méfiance ne m'a jamais vraiment quitté. Elle fait maintenant partie de moi et je ne peux plus m'en détacher. Nombres de personnes sont venues essayer de percer le grand mystère que je représentais et malheureusement, peu d'entre eux réussirent à en savoir plus que l'essentiel. Je ne m'en vantais pas...oh non! Je savais très bien que c'était un handicap à socialiser avec les autres. Cependant, je me plaisais là-dedans et contourner mes habitudes n'étaient pas dans mes plans. Donc...^^
J'optai plutôt pour une phrase simple que n'importe qui aurait pu dire.
-S'il y a bien une chose à laquelle je tiens, c'est moi-même, lui expliquai-je calmement dans la noirceur de la nuit. Qui accepterait de laisser du mal s'introduire dans sa vie?
Nous continuâmes à marcher assez longtemps. J'aimais me promener la nuit. Même si ces promenades nocturnes étaient souvent provoquées par mon insomnie, je me plaisais à voir les paysages endormis et sentir autour de moi la tranquillité d'un monde normalement en ébullition. Bon, il fallait tout de même le préciser, je me promenais généralement loin des quartiers truffés de boîte de nuit et des restaurants encore bondés aux aurores. J'appréciais plus me promener sur le plage, dans la park Lincoln ou simplement dans des quartiers résidentiels. C'était probablement le seul moment où j'étais en tête-à-tête avec moi-même et mes pensées. Le jour, j'étais bien trop occupé à aller travailler. Je ne pensais pas que, même à temps partiel, mon boulot ne serait pas de tout repos. Jardiner est un travail physique, surtout dans les maisons de l'Ouest. Pour ceux qui ne le savaient pas, les gens plus riches vivant sur la côte Ouest aimaient avoir de grands jardins avec toutes sortes de variétés différentes d'arbres, fleurs, arbustes,etc. Bien sur, cela nécessite extrêmement d'entretien, mais s'en soucient-ils vraiment? Tant que quelqu'un s'en charge à leur place, ils peuvent survivre. Eh oui, cela est évident qu'ils ne réalisent pas que travailler à ce temps-ci de l'année, sous le soleil printanier de plomb est exténuant. Je crois que la chose que je détestais le plus de mon travail, c'est que la plupart me prennent pour un Mexicain qui vient travailler de façon saisonnière en Californie. Ils imaginent tous que je ne parle pas Anglais et que je ne comprends pas ce qu'ils me disent. Ce n'est pas faute de leur expliquer à chaque fois qu'ils sont dans l'erreur, mais bon, ils l'oublient à chaque fois. À quoi bon m'acharner?
Une autre phrase de Lilas vint m'extirper de mes pensées et elle me fit savoir dans son Anglais bafoué qu'elle n'était plus sure d'être dans le bon quartier. Naturellement, je devais avoir emprunté le chemin habituelle pour se rendre à ce quartier qui devait être différent du sien. Comme j'étais bon pour m'orienter, arrivé à San Francisco ne m'avait posé aucun problème. J'étais une carte ambulante. Pourtant, la jeune femme ne devait pas trouver cela autant facile que moi. Peut-être s'orientait-elle en prenant toujours les mêmes chemins?
-On n'est pas perdu, la rassurai-je. J'ai un autre chemin pour y arriver. Fais-moi confiance, je sais où est-ce que je vais.
(Désolé pour le retard, mais je ne peux venir qu'entre 3-4 fois par semaine. Donc je choisis mes jours)
Être avec Domenico était assez reposant. Ma timidité, mon mutisme s'envolaient avec lui et je ne comprenais pas pourquoi. Alors, je me contentai de resserrer mon sac contre moi et de frissonner un peu. Frissonner parce que j'avais froid et que je ne voulais pas attraper un mauvais rhume. Certes, j'avais un bon système immunitaire mais on n'était jamais à l'abri de rien. Un mauvais microbe ingéré et hop, on se retrouvait vite avec des tuyaux qui nous sortaient de partout et avec une envie irrépressible de hurler, de s'époumoner en s'insultant d'être aussi con. Alors non merci. Les hôpitaux j'avais donné. A la sortie de mon enfer quotidien, j'avais du faire une série d'examens pour savoir si je n'avais pas de MST, ni le sida. Certes, j'avais été violée à répétition mais ce n'est pas pour autant que mon agresseur ne se protégeait pas puisqu'il ne m'avais pas engrosser. Je serrai doucement ma main sur l'anse de mon sac et je tournai la tête vers Dom. C'était réellement un bel homme. Bien musclé, bien proportionné et mystérieux. Ce que les femmes aimaient. Mais pas moi. J'aimais les garçons avec une aura de danger et pas une aura de bienfaisance qui te donnait envie de te tirer une balle à chaque fois qu'il pose son regard d'amoureux transi sur toi. Certes, ma douceur pourrait compenser et sortir avec un mec comme lui équivalait à faire un couple guimauve absolument horrible. Je soupirai passant la main dans ma tignasse pour m'arrêter et regarder le décor qui changeait.
Je ne connaissais pas San Francisco, je n'aimais pas cette ville et je ne l'aimerai probablement jamais. Je n'aime pas grand chose à vrai dire mise à part mon ordinateur. Mes ordinateurs. MacBook ayant coûté une fortune, une geek quoi. Certains disaient que j'étais une kikoo parce que les vrais geeks ne zonaient pas sur Facebook. Ce n'est pas de ma faute si ce site me permettait de rester en contact avec le monde extérieur. Comme Charlotte ou Ethan. « Se protéger soi même... C'est bien. Je le fais aussi en vivant dans un monde... virtuel.' Phrase difficilement compréhensible mais une confession inattendue au beau latino. Je baissais la tête, honteuse d'admettre que le virtuel valait mieux que le réel. La rigidité d'un PC équivalait-elle à la chaleur d'un corps humain ? Je ne me sentais plus en confiance avec personne. Sauf peut être ma meilleure amie qui était comme moi, avant... Mais pas avec les autres. Luke ne me comprenait pas et ne me comprendrait sans doute jamais. Il s'était trouvé une autre vie et je pensais qu'il avait du faire sa BA du jour en me délivrant. Maintenant, je ne valais rien à ses yeux mise à part une petite sœur nunuche et sans intérêt. « Je ne sais pas si tu comprends bien, chuchotai-je, mais si je suis seule dans un parc, c'est qu'il y a une raison. » Rester seule, réfléchir ou provoquer la mort ? En apparence, on peut paraître distinguée, avec une joie de vivre certaine tandis qu'au fond, on n'a qu'une envie,: se foutre une balle.
J'aurai pu avoir peur de lui. Un homme de son gabarit avec une fille comme moi. Certes, je faisais un mètre quatre vingt mais je n'avais pas une imposante masse musculaire. Alors quand, il me dit que nous n'étions pas perdus, j'arquai le sourcil pour lui lancer moqueuse «Avoues que tu comptais me faire le coup, du 'nous sommes perdus' pour mieux profiter de ma détresse. » Quelques battements de cils et je comprends que ma réplique ne le fera pas autant rire que moi. Alors, je tiens bon de prendre un air faussement sérieux « Je déconne bien sûr. ». Alors, rira ou rira pas ? Une grande question surtout quand on savait qui était le mystère en face de moi.
Alors que nous marchions dans les chemins sinueux en asphalte tracés dans le parc, je respirai l'air frais qui arrivait à mes poumons. Je m'étais tellement habitué à vivre des endroits loin des polluants comme Hawaï ou encore Quito qu'en arrivant à San Francisco, à chaque fois que j'en avais l'occasion, je quêtai le moindre moment où le smog de San Francisco se serait évaporé. Quand on vient de quelque part de beaucoup plus sauvage comme moi, la ville n'est pas nécessairement accommodante sur tous les points de vue. Néanmoins, elle avait son lot d'avantages. Cela a été tout un choc quand j'ai constaté que je pouvais aller faire mon épicerie de la semaine à n'importe quand dans la semaine puisque j'en ai avais trois à deux coins de rue de chez moi. Cela est assez impressionnant puisque lorsque j'habitais à Hawaï, il fallait 40 minutes avant d'atteindre le centre plus urbain de l'archipel. Si c'est un détail superflu aux yeux de bien des habitants de San Francisco, il en reste que pour moi, des petits détails de la sorte, il y en a eu à la pelle qui m'ont émerveillé. Je ne me plains pas de ce que j'ai connu par le passé. Oh non! Car même si j'habitais dans une région plus reculée des États-Unies, ma famille adoptive était bien nantie et j'ai vécu ce que plusieurs auraient aimé vivre. De plus, Hawaï était la meilleure destination pour mon émigration de l'Équateur. Arrivé dans un monde tout à fait à l'opposé d'où je provenais aurait accentué mon mal du pays.
Enfin, bref, je constatai rapidement que Lilas commençait à frissonner. La température était presque à 0°C la nuit. Il était normal qu'elle commence à ressentir quelques sueurs froides lui remonter le dos. Ce n'était pas comme si elle s'était habillé pour aller se balader à l'extérieur...De mon côté, j'avais continuellement chaud. Aller m'entraîner en tenu de sport pendant que je courrais n'allait certainement pas m'entraîner dans un état hypothermique. Je le devais au sang chaud des latinos... Cela a ses avantages que d'être un calorifère 365 jours par année!
Donc, voyant qu'elle commençait à prendre froid, je retirai mon chandail à manche longue pour me retrouver torse nu et lui tendis.
-Prend-le, tu gèles, ordonnai-je presque avec un sourire en coin. Je n'ai pas sué une miette, donc tu n'as pas à craindre d'être mouillé par mon chandail.
Je déposai mon chandail entre son portable et sa poitrine. J’agrémentai avec un sourire un peu plus grand. Tout en continuant de marcher, Lilas répondit à mon commentaire en me faisant une révélation. Physiquement, je ne réagis pas, mais mentalement, j'étais un peu hilare. Malgré moi, je réussissais à provoquer la confidence. Je m'en étonnais à chaque fois que cela arrivait. J'imaginais que Lilas n'allait pas raconter sa vie à n'importe qui. Si j'avais au moins pu gagné sa confiance, elle pourra peut-être mieux s'intégrer à San Francisco. Après tout, moi aussi j'ai encore des tonnes de choses à apprendre sur cette ville cosmopolite. Si on pouvait le faire à deux, alors, ça serait mieux. Comme j'étais assez bon pour deviner la personnalité des autres, je crus comprendre par les propos de la belle rousse qu'elle n'était pas du genre très sociable. En effet, il semblerait que le monde virtuel soit plus attrayant que le monde réel. Cette révélation me laissa un peu perplexe. Malgré toutes les embûches que nous traversons dans ce monde, je n'échangerais ma place pour rien au monde. Troquer de vrais baisers, sentir la caresse du soleil sur ma peau, plonger dans le vide en sentant mon coeur battre à cent milles à l'heure dans mon corps contre quelques conversations virtuelles avec des personnes que tu connais à peine et naviguer sur le web me semblaient un échange injuste. Le monde du Web manquait d'humanité, de vie... Sommes-nous faits pour regarder passer notre vie devant nous ou sommes-nous créés pour vivre et être aimé? Si Lilas avait fait ce choix, c'était qu'elle devait soit avoir beaucoup de problèmes à entretenir des liens avec les autres ou il y avait un fardeau qu'elle traînait avec elle.
Je décidai de lui montrer mon opinion à ce sujet plutôt que de lui dire. Je mis alors mon bras par-dessus ses épaules.
-Pourrais-tu faire ça dans ton monde?
Tout en marchant, je gardais mon bras sur ses épaules et déposai un baiser chaste sur son front. Le contact humain, voilà ce qu'il manque sur le web. Les caméras web existent, mais...ça ne remplacera rien. Jamais.
Elle poursuivit en disant qu'elle était au parc pour une raison. Je ne cherchais pas à commenter. J'avais déjà parlé beaucoup. En plus, je ne tenais pas à amener la conversation dans une voie inutile. On se serait probablement crêper le chignon parce que nous ne voyons pas la vie de la même façon. Mieux vaut éviter les sujets de conversation qui n'en valent pas la peine. Je me connaissais aussi: je perdais mon calme facilement. Ce n'était pas nécessaire à ce qu'elle assiste à cela.
Puis, elle insinua que j'aurais pu l'attaquer. Que j'aurais pu lui faire la tactique d'être perdus. J'aurais pu, mais, je n'étais pas ce type de garçons. Je le jouais honnête et personnellement, j'avais mieux à faire que bousiller la vie des gens. Il y avait déjà assez de mal sur cette terre. Je n'allais pas en rajouter.
Ensuite, elle se reprit ne sachant pas si j'allais réagir positivement ou négativement. Cela m'arracha un petit sourire en coin.
-Si j'aurais voulu profiter de ta détresse, je crois que je l'aurais fait bien avant.
Voir les rues défiler devant moi, déserte avait le don de me rappeler ce que j'avais vécu et je me sentis mal à l'aise pendant quelques secondes mais la présence du grand brun me rassurait quelque peu. Je resserrai les pans de mon gilet pour regarder mon compagnon et lui faire un sourire timide. Je ne sais pas pourquoi mais je me sentais relativement en sécurité avec lui même si je savais surement mieux me défendre que lui. Enfin, je ne le connaissais pas. Qui sait peut être était-ce un tueur en série ou un grand malade psychotique qui se la jouait John dans Desperate pour mieux pouvoir mettre les femmes mariées en mal d'amour dans son lit. Mais en voyant sa gentillesse, son humour et sa compassion, je me doutais bien que ma paranoïa n'était pas fondée. Calme toi Lili, il ne va rien t'arriver. J'essayai de chasser ces images bizarres de ma tête en marchant à ses côtés pour trembler légèrement. Je venais de France et à cette époque de l'année, il faisait plutôt frais aussi mais moins qu'ici. A croire que nous étions en Alaska ou quoi ? Pourtant en Californie, il devait faire chaud non ? Du moins, c'est que laissait sous entendre les brochures. Publicité mensongère. Remboursée! Je demande à être remboursée mais de quoi ? Je vivais ici depuis quelques semaines et j'avais mis au point une routine.
Perdue dans mes pensées, je sentis qu'on posait quelque chose sur mes épaules et je me tournai vers Dom pour voir qu'il m'avait prêtée son chandail. « Mais et toi ? Tu ne vas pas avoir froid ? » Je m'inquiétais pour lui, je ne voulais pas qu'il soit malade par ma faute. Cependant, je l'en remerciai alors, je me surélevai un peu plus pour déposer un baiser sur sa joue. « Merci. Et tu sais, je me fiche que tu es transpiré ou non. Le geste est adorable. » Me prenait-il pour une fille superficielle ou quoi ? Je ne savais pas mais visiblement, il n'était pas le seul. Je n'avais pas une tête de geek réservée et quand j'avais parlé à Drake pour la première fois, j'avais été surprise que ce dernier me prenne pour une pouffe. Ce que je n'étais pas. Mais pas du tout. Même quand j'étais en France et avant mon enlèvement, je ne me comportais pas comme une gossip girl. Enfin, comme cette True Lie qui pensait que la vie de tout le monde devait être révélé au grand jour. Je pourrais toujours relever sa trace, m'occuper de son cas et dire 'haha, je sais qui tu es' mais non. Qu'elle ou qu'il s'amuse. Après tout, si les gens ne faisaient pas appel à mes services pour l'arrêter, c'est que le big brother ne faisait pas autant chier que ça.
On tourna au coin d'une ruelle et je me demandais clairement où nous allions. Alerte, j'observai tout et quand je sentis son bras autour de mon épaule, je frissonnai. Pas du genre, 'oh tain, il m'a touchééééée, je vais mourir' mais plutôt du genre surprise. Je ne pensais pas que Dom puisse avoir un tel geste à mon encontre. Et bizarrement, cela me plaisait. Alors, je me collai un peu plus à lui. Histoire de partager la chaleur corporelle avec lui. « Non, ce n'est pas le genre de contact que j'ai dans mon monde. » Une vérité énoncée. Le sexe, l'affection et l'attachement ainsi que la douleur étaient proscrits dans mon monde. Ne pas s'attacher est la première des règles. Je ne le faisais que très rarement. Je m'abstenais de parler à tout être humain me faisant passer pour une dure derrière mon écran alors que j'étais plutôt sensible IRL. Je passais donc ma main autour de sa taille et posai ma tête sur son épaule. Nous étions presque à la même taille mais je me sentais bien. Cependant, j'espèrai ne croiser personne de ma connaissance parce qu'on pourrait passer pour un couple vu comme ça. Je ne faisais jamais de geste tendre. Sauf envers mon chien, Charlotte, Ethan et mon frère.
« Tu sais qu'on pourrait presque passer pour un couple. » J'avais dit ce dernier mot en français sans m'en rendre compte et j'accueillis sa réponse à ma précédente question avec un petit sourire. « Oui, tu ne m'aurais pas persuadé de rentrer... » Cette rencontre avait très mal commencée et je priai pour ne pas qu'elle se termine de la même façon. Après tout, nous étions bien partis non ?
Avoir froid? Moi? C'était une plaisanterie. Du moins, j'appréciais l'inquiétude peinte sur le visage de Lilas: elle ne voulait pas que je meure de froid. Bon, je n'avais peut-être pas de chandail, mais ma température corporelle était encore très chaude. D'ailleurs, j'ai vu jusqu'où je pouvais amener les limites de mon corps. Il y a peut-être deux ans de cela, Kaitlin, George et moi étions allés skier sur les monts enneigés dans l'État de Californie. Après avoir passé toute la journée à skier avec nos manteaux, nos gants et nos bottes, on alla se reposer dans le chalet. Malgré tout, durant toute la journée, je n'avais cessé de transpirer parce que le manteau m'étouffait. Mine de rien, skier faisait dépenser beaucoup d'énergie et faisait...suer aussi. Donc, en arrivant au chalet, j'étais allé me rouler dans la neige. J'y ai bien passer trente minutes avant de ressentir le besoin de rentrer à l'intérieur. Depuis, je sais que je peux affronter une température relativement froide avec ou sans chandail. C'est quand même un exploit quand on pense que la plupart du monde ne toléraient pas cela. Il faut croire que chacun à ses talents cachés...
Néanmoins, malgré sa certaine inquiétude du début, Lilas accepta mon geste et passa à autre chose. Je l'appréciais puisque s'il y avait bien quelque chose qui me tapait sur les nerfs, c'était les gens qui insistaient continuellement sur certains trucs. Le genre d'infatigables qui sont impossibles à convaincre. Au moins, j'avais affaire à quelqu'un de plus sympathique. Dieu soit loué! Elle poursuivit en assurant qu'elle s'en fichait pas mal. Je crus tout de même bon de lui avoir mentionné puisque, quand même, c'est le genre de choses que la plupart du monde aimerait savoir.
Ensuite, elle répondit à ma question précédente. Je décidai d'en faire autant.
- Voilà ce qui fait du monde réel, le meilleur des monde, dis-je en roulant mes «r» malgré moi.
J'aimais, à ma façon, faire comprendre ma philosophie du monde à ceux qui m'entouraient. Je n'étais pas optimiste. Au contraire. Seulement, s'il y avait bien une chose qui me rendait positif, c'était la vie. Combien de fois ai-je passé de la perdre? Après avoir frôlé la mort de si près, il est normal qu'on veuille s'accrocher à la vie plus que tout. De mon côté, mes nombreux accidents m'ont poussé à croquer dans la vie à pleines dents et à me surpasser. Depuis, je ne cesse de m'entraîner pour être bien dans mon corps, pour pouvoir faire des choses que je ne pourrais pas faire si je ne faisais pas de musculation. De plus, il m'arrivait souvent d'aller sauter du haut d'une falaise, de faire du vélo en plein trafic... je faisais tout pour vivre des sensations fortes parce que, jusqu'à présent, rien ne m'avait résisté et j'aimais défier les limites du possible. C'est à ça que servait la vie: se dépasser. Chaque jour, j'en apprenais un peu plus sur moi-même et sur la vie. Bien sur, Internet était une invention importante, voir même révolutionnaire. Mais, il ne fallait pas s'arrêter qu'à cela. Bien de belles choses se passent entoure de nous. Il serait stupide de les manquer parce que nous avons les yeux rivés sur les écrans de nos ordinateurs portables.
Par la suite, Lilas fit un commentaire sur nous deux qui passait pour un couple. Je roulai les yeux au ciel en souriant. C'était bien le genre de commentaire qui me faisait rire.
-Et alors? rétorquai-je amicalement. Je te fais si honte que ça?
Je n'avais quand même pas la gueule déformée! Si on passait pour un couple, tant pis! Nous seuls savions la vérité. Quoiqu'on en pense ou dise, nous détenions seuls la vérité de cette étreinte. Je me suis toujours foutu de ce que j'avais l'air ou aurait l'air. Ce n'est pas aujourd'hui que cela changera!
Je pouvais sentir la chaleur qui émanait de son cœur et je savais que c'était un préjugé mais bon dieu que les latinos étaient parfaits. Ils étaient beaux – en tout cas, Dom et John le jardinier le sont – ils avaient tout le temps chauds et ils avaient cet accent qui ferait fondre toutes les filles. Enfin toutes... Certes, je reluquai Dom, je le dévorai même des yeux mais je ne pouvais pas être avec quelqu'un à nouveau. Traumatisée, bafouée, complètement tarée, appelez ça comme vous voulez. Mais je voulais être honnête. Avec moi même parce que même si Dom était un apollon, je ne l'intéressai pas. Et heureusement. Je n'avais pas le temps. Je devais passer mon bac et ma licence en Free lance. Quelle merde! Déjà qu'un gamin normal ne s'en sortait pas avec une seule filière mais avec deux. 'Salut Lilas, tu fais quoi dans la vie.' Un, je suis un hacker. Je suis payée pour voler des informations numériques sur autrui. Un clic de souris, deux pianotements sur mon clavier et je peux avoir accès au casier judiciaire, aux comptes bancaires et à toutes les informations susceptibles d'être archivés. Même le numéro de portable de votre mère, je peux l'avoir alors je pouvais tout aussi bien effacer mes traces et me faire passer pour morte.
Deuxièmement, je travaille actuellement sur un baccalauréat options anglais et chimie. Pas physique chimie, juste chimie. Mon plus grand rêve: faire exploser quelque chose. Quoi ? Je ne sais pas. Non, c'est une blague. Je souhaiterai avant tout être conférencier en biochimie. Mais je dois étudiée pendant au moins neuf ans, en sortir major et je tiendrai surement des conférences, j'écrirai un bouquin sur les nouvelles recherches robotiques munies d'une solution chimique et je deviendrai riche. Ouais, ça me paraît être un bon objectif non ? Dom m'arracha à mes pensées comme on couperait le cordon ombilical à un bébé qui vient juste de naitre. Je tournai la tête vers lui et je dois dire que sa façon de rouler les -r était absolument magnifique. J'aimais beaucoup la langue latine. J'aurai pu excellé en espagnol si je n'avais pas été enlevé. « Le monde réel n'est que souffrance. Un programme ne vous ment pas, un programme ne vous torture pas et un programme n'abusera jamais de vous. » Ma voix se perdit et se cassa sous le coup de l'émotion. Je ne pouvais pas me confier à lui, lui dire ce qu'il s'était passé. Après il me regarderait avec effroi, me protégerai encore plus et je m'énerverai encore plus. Ça faisait ça à tous les coups. Les gens te regardaient en se demandant comme tu faisais pour survivre, pour ne pas plonger dans la drogue, l'alcoolisme ou encore la violence. Mais ceux qui faisaient ça n'étaient que des faibles. Certes, de nombreuses fois, je priai pour que ma solution rase le quartier et me tue par la même occasion mais cela serait lâche, très lâche. Déjà que je n'étais pas aimée mais alors là, je ne serai pas pleurée non plus. Je soupirai et souris à la remarque de Dom. « Ouais, tu me fais honte. Je les préfère grand, blond, moins musclé et dix fois plus méchant. » Je ponctuai ma phrase d'un rire qui en disait long sur mes pensées.
« Mais où tu m'emmènes comme ça ? En plus tu ne sais même pas où j'habite. » Une vérité puisque je ne lui avais jamais dit. Passer ma soirée avec lui n'était pas une si mauvaise idée même si c'était surtout due au hasard. Je m'arrêtai deux minutes et me détachai de son étreinte pour lui faire une franche accolade. Ma tête alla se poser son épaule et je passai mes bras autour de sa taille. Je ne sais pas trop pourquoi je fis ça mais j'en avais besoin, je crois. J'aimerai tellement en parler, lui expliquer les raisons d'un tel geste mais, je ne pouvais pas. « Merci » Un simple mot. Certes en français mais il ne devait pas comprendre des masses alors, je relevai la tête vers lui et nos regards se croisèrent. « Gracias » Un accent de merde mais l'attention était là. Il ne comprendrait surement pas mais tant pis. J'avais fait ce que j'avais à faire.
En profitant d'un moment d'accalmie, je jetai un subtile regard à ma montre. Avec tout ça, il était déjà 3:13 du matin. J'avais peine à y croire! Normalement, à cette heure, je serais déjà retourné dans mon minable appartement et j'aurais trouvé le sommeil qui m'a manqué un peu plus tôt dans la nuit. Toutefois, je n'avais pas prévu que je tomberai sur une connaissance et qu'une conversation en découlerait. C'était la preuve que notre destin n'était pas un chemin tout tracé qu'il suffisait de suivre comme un livre d'algèbre. À chaque instant, sa tournure pouvait se courber radicalement comme elle pourrait suivre son cheminement longiligne. Parfois, on partait à la dérive et des fois, on empruntait finalement un chemin plus fiable, sure et recommandé. J'avais des exemples à la pelle des revirements de situation que ma destinée avait vécus...
Outre ma triste séparation avec ma famille biologique à la suite du glissement de terrain dans notre bidonville, j'avais connu quelques tristes basculements. Par exemple, perdre sa meilleure amie. Kahina. Aussi fou que cela puisse paraître, à 8 ans, j'étais persuadé qu'elle était la bonne personne pour moi. Nous avions toutes les conditions gagnantes pour s'entendre:nous étions voisins, nos parents étaient bons amis, elle était ma meilleure amie...Bref, tout semblait être en notre faveur. Notre relation, aussi naïve et enfantine fût-elle, ne durera malheureusement pas assez longtemps. Elle se lassera très vite de moi et s'intéressa à un autre. Ce simple abandon aux yeux des autres pourrait sembler banal, mais il m'a marqué. J'en sens encore les effets aujourd'hui. Me donner à une femme, à n'importe qui, n'est pas facile. Je ne me souviens même pas en avoir été capable depuis cette époque. Bien sur, il y a la baise...mais cela ne représente strictement rien pour moi. Si ce n'était pas de mes pulsions naturelles, je n'enchaînerais pas quelques «one night» à chaque semaine. Ce n'est pas ce que je veux. Je veux d'une vraie relation...mais où chercher? J'ai fini par réaliser que Kahina n'était peut-être pas faite pour moi et que j'étais probablement promis à quelqu'un d'autre. Je cherche, à ma façon, mais dans notre époque, l'engagement, les relations durables ne sont pas très populaires. Je la connais, la gente féminine, celles qui veulent le bon ne cherchent pas au bon endroit et les autres, elles préfèrent la quantité à la qualité. J'ai l'air presque fleur bleue en affirmant que je veux mieux, que je veux quelque chose de différent de ce qu'on s'attendrait à ce qu'un jeune homme de mon âge et mon physique veuille. Mais je m'en fiche. Je sais ce que je suis et les autres, ils peuvent penser ce qu'ils veulent. Ceux qui critiquent souvent le plus sont ceux qui comprennent le moins...
D'un côté plus sérieux, scolairement, je n'avais pas eu un parcours attendu. Un autodidacte comme moi, un génie de nature ne devrait pas prendre une année sabbatique à arranger des arbustes ou arroser des fleurs. J'avais entrepris ma première année d'université en faisant un BAC en administration. J'étais censé devenir un grand administration d'une grande entreprise. Pourtant, j'ai décidé de mettre un frein à mes études et de prendre du recul. Avec ma nouvelle majorité atteinte et des parents aussi ouverts que les miens, j'ai eu la chance d'avoir la facilité à aller m'installer ailleurs et profiter de cette petite vie tranquillement. Chaque jour, je profitai de cette vie de répit.
C'est en songeant aux détours de mon existence que Lilas vint me percuter avec sa phrase. Elle tentait d'éviter la souffrance, c'était évident. Il était clair qu'elle devait en avoir bavé dans son passé. Je ne tenais toutefois pas à en savoir davantage. Cela ne me regardait pas et il serait indiscret que je m'aventure dans ce terrain. Après tout, nous nous étions rencontrés maxi trois fois dans notre vie. Il était encore tôt pour se confier à moi. Cependant, lorsqu'elle en ressentira le besoin, je serais là. On pouvait autant compter sur ma discrétion que sur mon respect.
Par contre, même si je ne voulais pas creuser dans la plaie, j'ai décidé de faire dévier la conversation pour ne pas installer de malaise entre nous.
- Mais pense-y, commençai sur un ton blagueur,[/b] si tu vivais dans un monde irréel, on ne se serait jamais connu puisque je ne vais que très peu sur la toile. En plus, tu ne m'aurais jamais pris dans tes bras.
Je ne pus m'empêcher de refouler un petit rire dans ma gorge. Je faisais rarement le prétentieux. Ce n'était pas moi. Toutefois, j'avais plusieurs outils pour pouvoir orienter la conversation à ma guise. J'étais décidément doté de plusieurs ressources
Je fus heureux de constater que malgré l'heure (et donc la possibilité de fatigue), Mademoiselle Martin-Andrews partageait ce ton un peu ironique et moqueur. En l'écoutant me faire la description de mon contraire, mon sourire se rétrécit et je retrouvais mon sérieux. Je n'aimais pas croire que j'étais attirant. Oui, je n'étais pas con, j'en étais conscient. Sauf que tout le monde s'arrêtait à ce genre de détails. Les gens superficiels m'agaçaient beaucoup. Je savais toutefois que Lilas n'en était pas une. Mais je passais encore pour le beau garçon, le gentil. Oui, c'était une partie de moi, mais ces deux mots ne me définissaient pas. L'être humain est bien trop complexe pour être réduit à quelques mots seulement. Donc, je décidai de ne pas commenter pour, encore une fois, éviter un dérapage.
Elle me demanda ensuite comment je pourrais savoir où nous allions si j'ignorais où elle habitait. J'y allais d'une réponse franche.
- Vu ta difficulté encore considérable avec l'Anglais, je devine que tu ne dois pas t'éloigner beaucoup de ton quartier. Comme je connais bien le coin, je m'arrangerais toujours pour trouver un chemin te menant chez toi. Il suffit que tu me daignes de m'en informer.
Lorsqu'elle se dégagea de mon bras et vint me faire une accolade franche, je l'accueillis sans même refroidir au départ. Elle devait avoir besoin de ce contact. À quelque part, je devais sûrement en avoir besoin moi aussi. Elle me remercia ensuite. Je ne savais pas de quoi exactement, mais j'en étais reconnaissant quand même. Elle avait même pris le soin de le faire dans sa langue natale et dans la mienne. Je lui devais un peu de ma recette espagnole.
-Tengo el agrado de poder al servicio de una mujer tan hermosa*, dis-je sur un ton doux.
Je ne pris pas le soin de lui traduire. Elle n'avait qu'à prendre des cours d'espagnol. En plus, j'aimais laisser planer le mystère.
*Cela me fait plaisir de rendre service à une aussi jolie femme
Il y a des fois où on ne se sent pas bien. Où on a juste envie de s'enfermer chez soi, manger un bol de Frosties et de regarder Glee. Je me sentais comme ça la plupart du temps car je ne pouvais pas m'empêcher d'avoir peur des autres. On m'avait pris tant. Que cela soit ma jeunesse, ma virginité, ma lucidité, ma vie. Certes, je n'avais que dix huit ans, je n'allais pas mourir tout de suite mais je savais que pour se remettre d'un tel traumatisme, j'allais devoir voir plusieurs psychologues, recommencer à manger sans avoir peur de grossir et cesser d'importuner tout le monde sur la toile. Mais y arriverai-je ? Était-ce possible ? Tant de questions que j'en avais mal à la tête. Je ne pouvais pas avoir de vraie relation, je voyais mes amis se mettre en couple, être heureux tandis que je vivais dans mon célibat. Je voulais pleurer, je voulais me laisser aller mais je ne pouvais pas. Pleurer, c'était pour les faibles alors je me contentai de marcher, la tête haute sans avoir peur des conséquences, sans avoir peur que tout le monde ne me prenne pour une fille froide et sans cœur. Timide, réservée, je devais penser à moi, je devais me dire qu'un jour, tout irait mieux mais comment ? Grâce à qui ? Mon frère toujours absent, ma meilleure amie qui ignorait par quoi j'étais passée. Je ne pouvais pas demander une telle chose aux autres. Je ne devais pas m'appuyer sur eux. Je devais prendre mon propre envol. Alors en tenant le bras à Domenico, j'eus peur. Peur qu'il ne croit que je voulais plus de lui. Mais c'était faux. Quoi que ? C'est vrai qu'il était mignon mais je ne pouvais pas me permettre de m'investir. Je ne devais pas. « Je sais que je devrais y penser. Je suis encore jeune et je ne devrais pas adopter un ton aussi... détaché. Mais la vie n'est qu'une incroyable garce, du moins pour moi... » Ma voix se brisa encore et je restai silencieuse. Je ne pouvais plus articuler un mot sinon j'allais finir par lui en dire trop.
Des fois, je pensais au suicide. Je me disais qu'en finir serait des fois plus simples pour moi. Je me baladai, j'avançai sans savoir où j'allais, consciente que quelque chose de mal pourraient m'arriver alors je ne réfléchissais pas tant que ça. Je me noyais, rien n'arrivait à me toucher. Plus rien ne pouvait me faire sortir de mes gonds, que cela soit un garçon qui me plaisait allant avec une autre fille, mes amis s'amusant à me faire des coups bas alors que toute adolescente normale aurait été plombée, anéantie par un telle mascarade mais pas moi. « T'arrive t-il des fois de réfléchir aux valeurs de la vie ? Demandai-je absente. Je veux dire, je suis dans une ville inconnue, à parler une langue qui m'échappe, des gens que je ne connais pas et je n'arrive pas... » Je me mordis la langue par avance à ce que j'allais dire. Un goût métallique empli ma bouche et je sus que c'était le goût de mon propre sang. « Être heureuse, être moi-même. Les gens m'indiffèrent. Les garçons qui me plaisent ne me voient pas. Je sais que je dois passer pour une petite adolescente perdue mais mon pays me manque. Tout simplement. » Mon chien se mit à tirer violemment sur la laisse comme s'il avait trouvé quelque chose d'important et je sentis la corde rentrer dans ma peau. Alors, je serrai les dents. J'avais été habitué à pire que ça alors ce n'est pas un chiot qui allait me faire mal. Je lui intimai de se calmer dans ma langue natale avant de lâcher Dom et de me pencher vers la petite bête que je caressai pour l'apaiser.
Puis, c'est là que je pris Dom dans mes bras. J'avais besoin de ce contact alors je posai ma tête sur son épaule. C'est vrai que faire un mètre quatre vingt pouvait me laisser paraître un peu grande. Je respirai à intervalles régulières avant de le remercier et là, il me répondit une phrase que je ne compris pas. Mais je ne cherchai pas plus loin. J'étais fatiguée. Je ne voulais pas finir la soirée seule. Je voulais rester auprès de lui un peu plus longtemps. Quand je le lâchai, je vis que mon immeuble était là bas. Je le regardai presque à regret. Alors, je me mâchouillai la lèvre inférieure comme je le faisais quand je réfléchissais. Je devais réfléchir à ce qui allait se passer ce soir. Allait-il accepter de rester avec moi alors que mon frère n'était pas là ou partir et ne plus vouloir me parler ? Comment prendrai-je un rejet ? Vas-y Lilas, lance toi. Fouillant dans ma mémoire, je cherchai les bases de mes leçons d'espagnol. J'avais toujours été intelligente alors je devrais pouvoir lui lancer une banale phrase pour lui demander de rester. « Mi edificio detrás es justo, lançai-je dans un mauvais espagnol, très mauvais même, ¿ Acaso esto te diría tardar acompañarme compañía un poco más tiempo? » Je repris difficilement ma respiration avant de prendre appui sur un réverbère attendant sa réponse.
*Mon immeuble est juste derrière. Est-ce que cela te dirait de rester me tenir compagnie un peu plus longtemps ?
En faisant la conversation, Lilas arriva sur un terrain plus sérieux. Elle me demandait si j'avais déjà réfléchi aux valeurs de la vie. Ma première réaction fut de me dire que tout le monde y avait au moins songé une fois dans sa vie. En ouvrant le téléviseur, en vivant un drame ou un moment de pure euphorie, il nous était tous arrivé de s'arrêter et de se demander si la vie carburait au bonheur ou au malheur. On pouvait se dire que la vie était bien faite comme parfois, on pouvait se dire qu'elle était remplie d'injustice et de contradictions. En fait, la vérité était que, toutes les valeurs que le monde évoquaient entraient en conflit avec d'autres conflits. L'Occident pouvait prôner alors que d'autres pays s'amusaient sans scrupules à la violer. D'un autre côté, les pays de Maghreb encourageaient les gens à pratiquer la religion, à entretenir la valeur de la foi. C'est assez ironique quand on voit que dans les grandes puissances des pays plus riches, la religion dépérit avec les années. Le monde était effectivement composé de plusieurs contradictions. Il n'était pas parfait. Certains avaient la vie trop facile et d'autres souffraient pour des dizaines. La vérité est que, un monde juste est presque aussi impossible à obtenir. C'est une utopie. Le monde est à l'image des hommes: composé de mal et de bien. L'être humain n'est pas parfait, alors comment peut-il demander d'avoir un environnement meilleur, voir même parfait, si c'est lui qui le bâtit? Automatiquement en le bâtissant, il est impossible qu'il puisse obtenir cet objectif puisque, lui-même, en tant qu'individu, il ne peut remplir cette tâche. J'en étais arrivé à cette conclusion l'an dernier, après m'être questionné beaucoup sur le destin et le courant de la vie. J'avais ensuite conclu que je ne m'y attarderais plus pour un moment. Quand on se pose trop de questions, on passe à côté de la vie qui est là et qui, probablement, ne reviendra pas deux fois. Il est bon de s'arrêter et s'interroger quelques fois, mais il faut aussi continuer d'avancer même si souvent, les réponses à nos questions ne sont pas suffisantes.
Cela me faisait de voir Lilas s’apitoyer sur la tournure de sa propre existence. Un mal l'habitait. Je l'avais détecté plus tôt. Une personne tenant de tels propos a sûrement vécu une période traumatisante. Si j'avais été curieux, j'aurais peut-être cherché à en savoir plus, mais je n'étais pas animé par le sentiment de curiosité. J'aimais mieux que les confidences viennent d'elles-mêmes. J'avais cette impression que si je devais savoir certaines choses, je finirais par le savoir et si, au contraire, certaines choses devaient rester secrètes, alors je devais respecter la tournure des évènements. Je ne souhaitais pas contourner mon destin. Au contraire, je voulais travailler en étroite collaboration avec elle. C'est pourquoi, malgré mon déchirement à savoir qu'elle souffrait en silence et qu'elle me tendait une perche, je ne décidais pas d'en savoir davantage et je décidai de ne répondre qu'à l'un de ses premiers éléments de réponse.
- Comme tout le monde, évidemment, expliquai-je sur un ton aussi doux que la caresse du vent sur notre peau. Mais j'aime laisser le monde fonctionner comme il est sans trop m'interroger sur son sens et ses valeurs. Parfois, les mystères doivent rester ce qu'ils sont.
Son chien s'excita un peu ce qui dérangea mon regard à sa direction. J'avais presque oublié qu'elle l'avait avec elle. C'était fou comment un animal pouvait se fondre dans le décor sans qu'on en ait le moindre indice et ensuite, réapparaître comme ça, sans rien dire. Mais, après tout, ce n'était peut-être pas son chien qui s'était fait oublié, mais bien sa maîtresse qui m'avait fait oublié sa présence. Lilas ne devait probablement pas le savoir, mais elle avait beaucoup de charisme.
Puis, alors que nous venions de terminer notre étreinte, je la vis regarder momentanément l'horizon comme si elle réfléchissait. Je ne cherchais pas à mes questionner sur la nature de ses questionnements puisque j'étais presque certain d'en connaître la nature d'ici peu. Comme de fait, elle m'en fit part en tentant de me l'expliquer dans un Espagnol plus ou moins approximatif. Même si elle n'avait pas la prononciation correcte, je compris qu'elle habitait tout près et qu'elle cherchait encore un peu de compagnie. Avant de lui répondre, je regardais ma montre. Je travaillais demain matin et il n'aurait pas été raisonnable que je prolonge notre rencontre. Mon insomnie m'avait joué des tours, mais normalement, à l'heure qu'il est, j'aurais déjà terminé mon jogging et je serais dans mon lit en train de dormir comme un bébé. J'avais fait exception en rencontrant Lilas et en lui accordant mon temps, mais je ne pouvais me permettre ce luxe plus longtemps. En plus, j'habitais dans le sens contraire de son immeuble et il me prendrait un certain temps avant d'atteindre mon appartement. À moins que je cours...Bref, J'aurais aimé, mais il y avait des heures plus appropriées pour apprendre à plus se connaître. Et puis, je n'étais pas le seul qui avait besoin de récupérer. Elle devait avoir une vie en dehors de son MacBook et son chien.
- Bien joué, la complimentai-je en parlant de son espagnol. Malheureusement, je ne peux encore rester plus longtemps. J'ai tout juste le temps de te raccompagner et d'ensuite récupérer un peu avant de reprendre le travail demain. Mais, si tu veux, je peux te laisser mon numéro de portable.
Je ne savais pas trop quelle attitude adopter face à Domenico. Du coup, je restai passive. Moi qui était sauvage à la base, me laissait aller avec le beau latino. Mais il faut dire aussi que je n'aimais pas trop le genre humain. Depuis mon agression, je ne faisais plus confiance à personne, j'étais devenue sauvage et il suffisait d'un rien pour que je sois déçue. Un rejet, une phrase mal placée. Pour le moment, mon ami ignorait tout de mon précédent calvaire et je ne comptais pas le mettre au courant un jour. Je préférai de loin prendre la fuite et laisser les gens tranquille. Sauf avec lui. Il avait su me rassurer même si mon intention première avait été de l'envoyer bouler. Au final, je passais du bon temps en sa compagnie. « Moi, je ne sais pas trop, répondis-je en laissant mon regard se balader au loin, je n'ai pas confiance en ces putains de valeurs et ma cicatrice est là pour me rappeler qu'on ne peut avoir confiance en personne. Qui sait peut être suis-je une nymphomane qui attend d'être dans le noir pour te sauter dessus et te violer ? » Je me mis à rire à ma remarque avant de tirer un grand coup sur la laisse. Putain de chien qui me compliquait la vie. Je faillis même partir en avant alors que le bouledogue français était tout petit. Je m'accroupis vers la bestiole pour la prendre dans mes bras avant de proposer à Dom de venir passer le reste de la soirée chez moi. Je ne voulais pas rester toute seule. Je savais que je serai assaillie par les ombres de mon passé. Repenser à cette cave m'était douloureux et je savais que je ne pourrais pas le faire toute la nuit. Sauf que je m'attendais à un refus. Tout le monde me fuyait alors pourquoi pas lui ? Je passais une main derrière ma nuque avant de paraître gênée. « Bon... j'te laisse mon numéro. Appelles moi à l'occasion, dis-je avant de lui tendre un morceau de papier sur lequel j'avais inscrit mes coordonnées. C'était sympa de te voir en tout cas. » Puis, je me mis sur la pointe des pieds pour l'embrasser sur la joue et de tourner les talons. Je n'étais pas du genre sentimental. J'avais horreur de ça. Alors, je me mis devant la porte de mon immeuble et je lui fis signe de la main. Quand je remontai, j'attendis patiemment un appel de sa part pour signifier que nous resterons en contact. Je ne savais pas alors l'importance qu'il allait avoir plus tard, le prenant pour un emmerdeur mais un gentil gars. Au moins, il ne m'a pas sauté dessus, ce qui est déjà bien...