❝ Les longs doigts fins d'Eilidh caressent les livres de l'imposante bibliothèque que comporte la chambre. Sous la pâleur du soleil hivernal sa peau ne semble que plus blanche et les livres que plus sombres.
La jeune femme réprime un frisson de froid et saisit le plus grand livre de l'étagère. Elle s'y prend à deux mains pour le soulever. Puis de son pas fantomatique, elle s'assied sur le poussiéreux fauteuil en face de la cheminée et pose le livre un instant pour vérifier la présence de tourbe dans celle-ci.
Satisfaite, Eilidh se laisse tomber dans le fond du fauteuil, pousse un soupire et avale une gorgée du thé préparé auparavant. Puis, après avoir parcouru du bout des doigts la couverture, ouvre le livre de ses souvenirs.

La première photo est une photo de mariage. On peut y voir un homme très fin, roux comme les feuilles d'automne, abordant un kilt et un immense sourire. Sa main pèse mollement sur les hanches d'une femme vêtue de blanc que l'on confondrait presque avec Eilidh tant leurs visages sont similaires.
La jeune fille tend le bras pour attraper son bloc-note et son stylo puis commence à écrire.
"Je suis née de l'union d'un Ecossais et d'une polonaise. Ma mère ne parlait que très peu anglais et m'a d'ailleurs appris sa langue natale. Mon père n'était pas très costaud et sa famille était si puissante que ça ne le rendait que plus faible aux yeux de ma mère.
Ma mère, Paulina, était loin d'être méchante avec nous, juste désintéressée. Rien de ce que nous faisions ne la rendait heureuse. Elle a sûrement décidé de faire un enfant à mon père à cause de son argent, de la puissance de sa famille."

Une nouvelle page tournée. On peut voir Eilidh, 6 ans, sur un éléphant en Asie. Son père est également présent sur la photo, ainsi qu'un petit garçon du nom de Finlay, 3 ans.
"Mon père a tout fait pour me combler. Je rêvais de voir les éléphants alors il m'y a emmenée. Ma mère a mis bien longtemps à s'en remettre. Du plus loin que je m'en souvienne c'était toujours lui et moi. Il trouvait en moi l'amour que celle-ci lui refusait. Quant à Finlay, il était toujours un peu à l'écart de nous tous, comme s'il ne comprenait pas vraiment ce qu'il se passait. Lorsqu'on est revenu à l'hôtel ce soir-là, ma mère nous a annoncés qu'on allait avoir un autre petit frère."

Sur la page suivante, une photo de bébé déchirée et recollée figure au centre. Eilidh se stoppe un instant puis recommence à écrire, difficilement.
"'William est maudit.' C'est comme ça que mon père s'explique la mort de sa femme notre mère. Elle est morte en lui donnant naissance. Si elle était peu chaleureuse avec nous, ça n'empêcha pas mon père d'en être malheureux. Il ne fût plus que l'ombre de lui-même après celà."
Le père d'Eilidh, Finlay et William se laissa vivre, dépensant son argent dans l'alcool, l'investissant aux mauvais endroits.

Un sourire prit vit sur les roses lèvres de la jeune écossaise lorsqu'elle vit son grand-père sur la photo suivante.
En voyant comment tout cela dégénérait, papy les avaient prit sous son aile et avait viré le papa de la maison. "Aller zou dans la rue que tu réapprennes à vivre."
Ils vécurent dans les bras protecteurs de leur papy quelques années. Oh ils avaient leurs problèmes tout de même mais grâce à Papy tout allait bien, ils pouvaient supporter les tentatives de kidnappement de leur père et la persécution que subissait Finlay à l'école était encore légère à l'époque.

La photo suivante les montre tous deux en uniforme. Eilidh rentrait au lycée à cette époque, elle avait seize ans. C'est à ce moment-là que ses souvenirs sont plus vifs.
Eilidh décida de commencer le français à l'école, et c'est ainsi qu'elle rencontra Matthieu. C'était un jeune français expatrié qui les aidaient dans leurs devoirs de temps en temps. Matthieu était musicien, dessinateur et écrivain. La jeune lycéenne restait tard avec lui tous les soirs pour parler avec lui en français et elle devint rapidement excellente. Un soir il apportait un bloc-note et ils jouaient à se dessiner l'un l'autre. Un autre soir il apportait un livre de poème français et lui lisait un poème d'amour. Le soir suivant Eilidh apportait sa flûte et il l'accompagnait en tapant des mains sur la table et en sifflant.
Si aux yeux des autres une amitié intellectuelles se formaient entre eux il n'en était rien en réalité. Une jeune femme à fleur de peau et un homme mature se côtoyant chaque soir seuls dans une pièce. Cela ne pouvait pas se finir là. Ils tombèrent follement amoureux et Eilidh fugua en France avec son amant en laissant une simple note à son grand-père. Ils y restèrent quelques temps puis, recherchés, fuguèrent en Italie. Ils se firent rapidement attrapés et Eilidh fut renvoyée à son grand-père qui la punit sévèrement, leur interdisant de se voir.
Alors Eilidh réfléchit longtemps. Il lui fallut plusieurs semaines pour trouver la solution à son malheur.

La jeune rebelle alla trouver son père, les poches pleines de l'argent de son grand-père. Le deal était simple : il donnait son autorisation pour son mariage avec Matthieu et elle payait ses dettes. Elle était si impatiente de l'épouser et de passer son temps avec lui car elle savait, il lui avait dit, Matthieu était malade et son temps lui était compté.
Ils quittèrent à nouveau l'Ecosse, en toute légalité cette fois-ci, et voyagèrent en Europe jusqu'à ses 18 ans. Et le jour de son anniversaire, en Grèce, Matthieu s'éteignit à jamais.


Eilidh était habituée aux choses tristes, il lui semblait parfois que sa vie n'était faite que de tristesse parsemée d'un soupçon de bonheur. Elle écrivit poèmes et poèmes après la mort de Matthieu. Poèmes en anglais, en gaélique, en français, en polonais, allemand et italien. Telles étaient les langues qu'elle était capable de parler grâce à leur nombreux voyages. Elle était également capable de se débrouiller dans plusieurs autres langues. En réalité, elle s'était découverte une réelle passion pour les langues étrangères. Elle se décida de continuer de voyager. Elle vendit le camion à pizza qu'ils s'étaient achetés pour voyager et s'exila en Australie où elle travailla comme une forcenée.
Là-bas, elle rencontra Declan. Un sexy australien qui découvrit son talent pour le chant et la fit chanter le soir dans des pubs. Ils eurent quelques instants de bonheur puis Eilidh décida qu'il ne lui convenait pas et s'en alla au Vietnam où elle rencontra une américaine nommée Amy. Elles voyagèrent ensemble dans de nombreux pays d'Asie. Vendant des bracelets fabriqués mains, chantant dans des bars, travaillant dans des boites de nuits branchées. Eilidh l'aimait, mais au bout d'une année de voyage et de cohabitation elle décida qu'Amy ne rivalisait pas avec Matthieu et la quitta pour l'Afrique du Sud.
Ce pays fracassé la charma. Eilidh se sentit touchée par les différences qu'elle voyait. Aussi tomba-t-elle folle amoureuse de Andrew, joueur de rugby. Noir. C'est important de le préciser car ils en souffrirent. Il était noir donc pauvre, elle était blanche donc riche. C'était faux, très faux. Eilidh travaillait comme elle le pouvait, en général elle avait seulement assez d'argent pour payer le billet d'avion qui lui permettait de partir, mais aux yeux de la population c'était ainsi qu'elle était vue.
Ce côté amour dramatique plût un certain temps à l'écossaise. Mais à nouveau, elle ressentit le besoin de partir et économisa pour un billet d'avion.


En réalité, Eilidh commençait à être fatiguée de l'état précaire dans lequel elle vivait. Elle sentait que pour avancer il lui fallait revenir aux sources. Ainsi, pour Noël, sans prévenir quiconque, elle prit l'avion pour Glasgow et rentra chez Papy.
Vous vous doutez bien qu'elle ne fût pas accueillie à bras ouverts. Mais maintenant, elle est là, dans son fauteuil en face de la cheminée à regarder les photos de son passé.
Eilidh ferme l'album de photo d'un coup sec, faisant bondir le chat roux de sa place, et attrapa son sac à main posé sur le sol. Elle fouille un instant puis en sort un coffret et un tube de colle.
La blondinette rouvre à nouveau le livre et se dirige vers la fin de celui-ci. Puis elle ouvre la boite remplie de ses photos polaroïds et commence à les coller.
Une porte s'ouvre derrière elle et un homme vient s'affaler dans le fauteuil à côté du sien, regardant les photos.

"C'est qui cette meuf ?
- Amy, elle est belle hein ?"

William hausse les épaules, pas plus intéressé que cela. Si lui se fiche bien que sa soeur soit partie ce n'est pas le cas de Finn, lui en veut d'être partie mais elle ne le comprend pas. Ils sont frères et soeurs, pour elle, ils ne peuvent être fachés bien longtemps.
Will croque dans la pomme qu'il a apportée et lui demande légèrement :

"Tu sais qu'on a pas vu papa depuis plusieurs années maintenant ?
- Ah bon ?
- Parait qu'il est aux States.
- Quel coin ?
- San Francisco.
- Mmh...
- Tu vas y aller ?"

Eilidh hausse les épaules, mais tous deux savent que telle est sa prochaine destination.