«
C’est Sullivan qu’a buté ton père. » J’étais là, essouflée, en sueur. Perdue. Noyée. Assommée. Sullivan ? J’appuie un peu plus la pointe du couteau dans le cou de mon interlocuteur. «
Te fous pas de ma gueule, ils bossaient ensemble. » «
Si tu me crois pas, va faire un tour à San Francisco, Sullivan est là bas. Pose lui la question. Mais oublie pas : c’est toujours les amis qui trahissent en premier. » Connard.
FLASH-BACK. Aspire.
Éloge funèbre. Gnagnagna, Devon Walton était un homme bien, gnagnagna, il laisse derrière lui sa fille unique, gnagnagna, nous le regretterons. C’est des conneries tout ça. tout le monde savait qui était mon père, alors l’homme bien qu’il était repose dans la tombe depuis bien des années. Les gens me regardent avec un regard triste, prêts à me dire « Si vous avez besoin de quoi que ce soit, je suis là. » Ta pitié, je m’assois dessus. La seule chose que j’ai en tête, c’est de savoir qui est l’enfoiré qui a tué mon père. Sait-il qu’il a laissé derrière lui une Walton, digne héritière du caractère de merde de son père ? J’te plains connard, qui que tu sois, où que tu sois.
Je suis encore plus dérangée que mon mafieux de père. New York fait de toi un homme, quelque soit ce que mère nature t’a foutu entre les jambes. Allez, viens écouter The Velvet Underground avec moi. Viens rêver de la Factory d'Andy Warhol avec moi. Viens rêver de l’héroïne dans tes veines.
Je quitte le cimetière avant tout le monde. Fille indigne. Sourire. J’attrape mon portable et appelle un des mecs qui bossait pour mon père. «
Je dois te voir. » «
Mais je… » «
C’était pas une question. »
FLASH-BACK. Vomis.
«
Mon chaton, tu sais qu’on va être que tous les deux ? » «
Comment ça ? » «
Pas de maman, juste toi et moi. » «
Maman est partie parce qu’elle m’aime plus ? » «
Maman est partie parce qu’elle ne sait pas aimer les gens. » Comme si mon père savait lui. Grandir dans un monde remplit d’hommes. Ils te regardent comme de la chair fraiche à seulement quatre ans. Ils essayent d’imaginer à quoi tu ressemblerais avec quelques années de plus. Tous des connards sauf papa.
La vérité, c’est donc que ma mère s’est tirée, quand j’avais à peine trois ans. Mon père n’a jamais vraiment été foutu de me dire où elle était, et je crois qu’au fond c’était parce qu’il s’en foutait complètement. Il n’avait jamais eu besoin d’elle auparavant. Quant à moi, j’ai très bien tracé ma route toute seule. Bon, quand on voit le résultat on se demande parfois si je suis pas un peu loupée comme fille. Je sais que je suis un peu dérangée, mais franchement, en grandissant seule au milieu d’une bande de mafieux new-yorkais… fallait pas attendre de moi un prix Nobel.
Non mais… attendez… j’ai jamais touché un flingue de ma vie, je l’jure. C’est pas du tout mon truc. C’est vrai que j’ai une grande gueule, mais je tue pas des gens. Rectification, j’ai encore tué personne. Il y a peu de chance pour que celui qui a foutu mon père en l’air survive à sa rencontre avec Lizzie Walton.
D’un autre coté, je vois pas comment j’aurais pu devenir une gentille fille, alors que mon père me félicitait quand je me battais avec des filles de mon collège. Elles l’avaient cherché c’est promis. Je reconnais que j’aime bien me battre ; ou plutôt, j’aime pas me laisser faire. J’aime pas me faire marcher sur les pieds. Et comme je réfléchis pas beaucoup, je tape. Dommage.
COME-BACK. Respire.
«
Les passagers du vol n°2569 à destination de San Francisco sont prié de… » La vérité, c’est que je suis déjà allée à San Francisco. A une époque, quand j’avais dix-huit ans, j’y ai passé deux mois, à chercher ma mère. Je sais pas pourquoi, je m’étais persuadée qu’elle était là-bas. J’étais partie dans l’idée de la frapper (sans commentaire) pour m’avoir abandonné. Et puis, je l’ai même pas retrouvée. Alors je suis rentrée et j’ai plus jamais bougé de New York, et j’ai plus jamais cherché à retrouver ma mère.
J’attrape mes valises. Et prend la direction du terminal indiqué. Adieu New York, en toute franchise, il y a peu de chance que j’y retourne un jour. Il ne me reste rien.
Je vais mettre les choses au clair à San Francisco. Autant que possible…