Chapter One “ Mocked by man to depths of shame, little girl with life ahead ” Il devait être dix-sept ou dix-huit heure dans la banlieue de Cork en Irlande du Sud lorsque Eva, cette jeune blonde de presque quatorze ans, rentrait de l'école. Une bonne demie-heure de marche la déparait de chez elle mais la jeune fille ne se hâtait pas: elle n'aimait pas vraiment passer du temps à la maison. Entre aider sa mère à préparer le dîner pour ses six frères et soeurs ou à faire la lessive des heures durant, Eva ne trouvait pas le temps de faire ce qu'elle aimait, danser. C'est pourquoi le soir elle traînait sur le chemin du retour afin de fuir la pression familiale soit en rêvassant, soit en effectuant quelques pas qu'elle avait aperçu par la fenêtre de l'école de danse.
Mais ce soir là, Eva n'était pas seule. Cillian Sweeney avait proposé de la raccompagné chez elle et la jeune demoiselle, troublée, n'avait pu refuser. Cillian avait presque trois ans de plus quelle mais ne cessait d'occuper ses pensées. Grand blond au charme aussi bien mature qu’envoûtant malgré ses seize ans, l'adolescent avait parfaitement cerné le caractère innocent et calme de Eva. Elle était la proie parfaite: jolie, prude et issue d'une famille profondément catholique. Une fois le fait accompli et si elle daignait raconter sa mésaventure, les parents de Eva ne toléreraient pas que la terrible histoire de leur fille s'ébruite, de toutes manières. Cillian pouvait donc donner libre court aux pulsions sexuelles faisant rage en lui sans s'inquièter de quelconques représailles: il n'y avait strictement personne dans les chemins déserts qu'ils venaient d'emprunter et les familles de la vieille école comme celle d'Eva préféraient faire profil bas plutôt que d'avouer que leur fille avait été violée. Et ce fut le cas. Eva cria, pleura et se débatit mais rien n'y fit. C'est plus honteuse et silencieuse que jamais qu'elle arriva avec presque trois heures de retard au logis. Son mutisme et son manque de ponctualité la firent monter dans sa chambre sans souper alors que l'adolescente se terrait avec dégoût et honte dans son terrible secret.
Mais son ventre grossit et les nausées arrivèrent. Les preuves irréfutables de sa grossesse dénouèrent sa langue mais n'allégèrent guère son coeur: elle était seule face à la honte qu'elle éprouvait. La réaction de ses parents fut celle à laquelle elle s'attendait. Peu de pitié, beaucoup trop d'embarras; ils devaient cacher le ventre rebondi de leur fille, craintifs des dires du voisinage et du courroux de Dieu. Il fallait qu'elle parte donner la vie à ce "bâtard" loin de leur paroisse et que, par la même occasion, elle puisse se repentir de l'impureté qui la consumait.
«
Mercy High School, San Francisco, Californie. Fondé par les Soeurs de la Miséricorde de Dublin. Voilà où tu vas Eva. J'ai tout arrangé avec la doyenne: tu accoucheras du bâtard là bas, et les soeurs l'enverront dans un orphelinat de la ville. Une éducation strictement catholique et irlandaise, voilà ce qu'il te faut pour trouver le chemin de la rédemption. Tu y resteras jusqu'à ta majorité, en espérant que ces quelques années de pénitence seront suffisantes. Soeur Emmanuelle prendra le train avec toi afin de traverser le pays puis le Ferry jusqu'aux côtes New-Yorkaises, et une fois là-bas le train de nouveau direction San Francisco. »
«
Oui, père » répondit simplement la jeune fille avant de retourner dans sa chambre, plus triste que jamais. Pourtant, elle n'était plus seule. Là, grandissant en elle, un petit être partageait inconsciemment tous ses malheurs; et bien que cela pouvait paraître d'autant plus terrible, cela réconforta de manière infime la frêle irlandaise.
Chapter Two“ The days departed, gardens deserted. This frail world, my only rest ? ” «
C'est sublime » dis-je alors que le taxi prenait une route en bord de mer afin d'atteindre le Mercy High School de San Francisco. Vraisemblablement, soeur Emmanuelle n'était pas du même avis mais peu m'importait car c'était la première fois que je voyais l'Océan Pacifique. Cela dépassait mon imagination pourtant déjà incroyablement développée. Le bleu de l'eau, le sable fin, tous ces bikinis colorés... Les buildings, le soleil, San Francisco. La ville des Nations Unies. «
Un endroit plein de vices. Les soeurs de la Miséricordes sont venues fonder une de leur école pour jeune fille ici dans l'espoir d'arranger cette décadence, mais il y a vraisemblablement encore beaucoup à faire. » San Francisco était comme Gotham City pour moi, c'est à dire sans doute pleine de pourriture, mais d'autant plus bercée par les espoirs croissants de milliers d'âmes. «
Mais ne t'en fais pas ma belle, tu ne verras pas la ville avant au moins ta dix-huitième année. Tu ne seras jamais soumise à la tentation omniprésente à l'extérieur. » Gentille mais barge. Complètement barge. Et pourtant je ne pouvais m'empêcher de l'envier terriblement car elle, elle avait foi en quelque chose.
Les mois passèrent et l'enfant arriva, sublime. J'étais sans doute trop jeune pour me rendre entièrement compte du changement phénoménal qui venait de se produire. Même si je devais abandonner mon enfant (mon fils, à vrai dire) j'étais, quoi qu'il arrive, devenue mère. Il était sublime. La blondeur de sa chevelure illuminait mon coeur, ses premiers cris transpercèrent mon âme. Je n'eus pas même le temps de le nommer, de le chérir. Quelques minutes entre mes bras et un dernier regard. Aedan, voilà le prénom que je souhaitais lui donner. Mais ce ne fut pas le cas et je ne perdis. Rien n'était plus comme avant. En un jour, j'avais pris dix ans de maturité. En un jour, j'avais scellé une vie entière de regrets.
Rien ne me consola vraiment, mais je restais forte. Jamais je ne tentai de mettre fin à mes jours d'une quelconque manière ni d'exposer brutalement mon mal-être. La révolution se passa lentement mais surement au fond de moi, silencieusement... jusqu'à ce que mes seize ans arrivent. Remarquez ceci: il se passe toujours (ou très souvent) quelque chose de fou lors de notre seizième année, quelque chose changeant profondément notre existence. Pour ma part, j'ai tout claqué. Il était temps. Avais-je vraiment le profil type de la future religieuse ? Ou alors de la jeune irlandaise souhaitant élever ses huit enfants dans la maison familiale ? Non. Un geyser restait canalisé en moi et n'attendait qu'une infime brèche pour s'échapper. J'en voulais à mes parents de n'avoir eut les bonnes priorités, j'en voulais à Dieu de n'avoir rien fait alors que tout le monde me vantait ses bienfaits, j'en voulais à Cillian qui avait ruiné ma jeunesse, j'en voulais à... au... au monde. 02h30, un mercredi 3 décembre alors que j'avais seize ans depuis peu, je m'enfuis de Mercy High School pour ne plus jamais y revenir. J'avais trop souffert, j'étais incomprise. Prenant la route au hasard vers l'Est, mes pas me menèrent alors, deux ou trois semaines plus tard devant la VRAIE ville du vice. San Francisco était immense blague à côté. Oui, j'arrivai alors dans l'impitoyable et insomniaque ville de Las Vegas.
Les premiers temps furent plus que compliqués mais ma détermination ne tarda pas à prendre le dessus. Las Vegas vendait du rêve, de la sensualité, du blingbling et du sexe; il suffisait de le lui donner pour qu'elle vous accepte. Rapidement enrôlée en temps que strip-teaseuse dans une boîte de la ville, je réussis à me débrouiller au point même qu'au fil des années, je me fis un nom dans le domaine de la nuit. Pas de grandes ambitions ni de grosses opportunités mais toujours de quoi me faire assez d'argent pour vivre. Mon style plaisait, mon chic burlesque et renversant décapait les regards et vidait les portes-feuilles. De petite irlandaise blonde sans-papiers je passais au rang de la sulfureuse brune. Je passais mes journées à élaborer les chorégraphie sexy du soir, et mes soirs à faire étalage de ce que j'avais travaillé dans la journée. Cela me plaisait, dans un premier temps: même si je finissais nue ou presque devant une foule de regard, je dansais et je me sentais exister. Mais il me fallut plus, et ce tremplin n'arriva que lors de ma vingt-deuxième année, alors que je me trémoussais en petite tenue sur le célèbre
Diamonds are the girl's best friends de Marilyn Monroe, un homme posa son regard sur moi et décida de changer les règles du jeu... ou plutôt de m'inclure dans le sien. Cet homme n'était autre que Sergeï Ivanovski, fils cadet du géant de la pègre russe, Nikolaï Ivanovski.
Chapter Three“ Oh how I wish to go down with the sun, sleeping, weeping, with you ” Sergeï n'était pas un homme d'affaires misant sur les services légaux. Bien que principalement à la tête d'un empire financier regroupement pas moins de cinq hôtels et quatre boîtes de nuits, le russe faisait également dans le trafic de drogue et la prostitution. Pourtant, Sergeï sut me convaincre et m'avoir de son côté. Cet homme avait besoin d'un souffle nouveau, d'une fraîcheur féminine dans son business nocturne et je compris rapidement que mon physique décalé ainsi que ma personnalité perfectionniste lui seraient utiles. Il devint mon plus fidèle ami en plus de mon sauveur. De la précarité du Nevada, Sergeï m'offrit les paillettes d'un monde nouveau s'ouvrant à moi. Pour la première fois, je pus me perfectionner en étudiant à l'académie de danse de New York. Il était mon sauveur et c'est donc le plus naturellement du monde que lui et moi nous mariâmes. Pas d'amour au grand jamais, mais l'épanouissement d'une amitié indestructible. Il décida même d'emménager à mes côtés à San Francisco afin d'y retrouver mon fils mais de ce côté rien n'y fit. Mon bambin alors probablement devenu un jeune garçon avait disparu dans la nature après toutes ces années... mais cela ne m'empêcha pas de rester ici, à San Francisco. Tout marchait pour Sergeï et moi: il m'offrit même un club immense pour mes trente ans, club que je baptisais le Ruby Skye.
Mais rien n’éclot sans flétrir un jour car à force de tout bien faire arriva forcément le contraire. L'année 2011 fut riche en émotion, plus que je ne pouvais supporter. Contre toutes attentes, ce fut mon fils qui me retrouva. Robbyn Thompson. Un grand blond à la beauté sidérante... Il était certes le fruit d'un viol, mais restait malgré tout mon fils, celui qui avait doucement hanté mes nuits en peuplant mes rêves. Mais, hélas pour lui comme pour moi, Robbyn me retrouva alors que je vivais une passe difficile. Sergeï avait perdu la vie quelques semaines auparavant et si la version officielle proclamait une mort par accident, je n'y croyais guère. Mon ami avait été tué, j'en avais l'intime conviction. Par qui ? A cette époque, je ne le savais guère et mon départ pour New York m'aida à prendre du recul sur la situation. Alors que l'empire de mon ex-époux et meilleur ami se disloquait au profit de ses trois autres frères, je réussis dans la bataille familiale à leur extirper le Ruby Skye de San Francisco et Le Scandal, un autre club burlesque de New York.
Chapter Four“ In your creation heaven did decree that in your arms sweet death should dwell ” L'année qui suivit le décès de Sergeï ne fut pas de tout repos. Mon esprit avait besoin d'action, ce que mon corps lui procura: je fis un nombre incalculable de shows dans les plus belles soirées du pays (et de Navarre). Mais quelque chose germait au fond de moi... une idée me hantait. Celle que Sergeï avait été assassiné. Ainsi donc commença les terribles périples des multiples profilers et autres détectives que j'avais embauché afin de résoudre cette mystérieuse affaire. Je lui devais au moins cela, pour tout ce qu'il m'avait apportée. Sans lui, je ne serais strictement rien devenu.
Au bout de mois d'investigations (plus d'un an, pour être franc), un nom sortit de la liste. William Weinmeister, charmant chirurgien trentenaire s'étant lié à Sergeï quelques mois avant sa disparition. Appels, lettres brèves indiquant un lieu de rendez-vous suspect: pour moi cela ne faisait aucun doute, Weinmeister était impliqué dans quelque chose qui me dépassait. Pourquoi l'avait-il assassiné ? Cette histoire ressemblait à tout sauf à un Cluedo. Tout cela était flou, complexe... mais ma fidélité était à toute épreuve et engendra un sentiment de vengeance. Je devais le tuer, pour tout ce que Sergeï m'avait apportée au court de ma vie. La police n'était d'aucun secours car s'il avait abattu un homme aussi influent que le cadet Ivanovski de sang froid et sans représailles, je devais être aussi impitoyable et professionnelle que lui. Tout est planifié, rien ne sera laissé au hasard. Weinmeister tombera dans mes filets en dette de la vie qu'il a pris... à moins que quelques contretemps ne viennent donner à nos existences des tournants bien étranges... Qui vivra verra, et je compte bien continuer à respirer dans l'optique de littéralement lui couper le souffle.