Ma vie change de ces temps-ci. Je suis petite mais cela n’a pas empêché que je le remarque. Souvent, j’ai l’impression que maman ne se rend pas compte que je comprends certaines choses malgré mon jeune âge. Ca me frustre mais ce n’est pas pour autant que j’ose lui en parler.
Cela fait déjà quelque temps maintenant que nous vivons chez ma marraine et mon parrain. Je les aime beaucoup, ils s’occupent bien de moi et en plus je peux passer mes journées à jouer avec leurs deux enfants, Micah et Nina. Je suis contente d’être là, mais je préfèrerais largement que l’on rentre chez nous toutes les deux, qu’on retrouve notre maison à nous, celle où j’ai ma propre chambre rose, mes propres jouets. Là-bas j’avais des habitudes fixes, des détails qui pourtant me semblent important. L’heure de mon bain par exemple, le fait de pouvoir jouer dedans. Ici, il y une seule baignoire pour six personnes et du coup c’est après les autres et je n’ai pas le temps d’y traîner. Je dois prêter mes jouets, enfin ceux que j’ai ici autant dire pas beaucoup par rapport à tous ceux qu’il y a dans ma vrai chambre, et je déteste ça. J’ai toujours peur qu’on me les abîme. Pour mon âge je suis déjà très soigneuse. Certes, je m’amuse bien avec Nina que je considère comme ma meilleure amie et je vis sous le toit de mon amoureux, mais rien ne vaut ma maison.

En plus, mon papa me manque. Je ne le voyais pas beaucoup avant parce qu’il travaille presque tout le temps et qu’il rentrait alors que je dormais déjà depuis quelques heures, mis je le voyais quand même. Et c’était toujours des moments merveilleux que je passais avec lui. Mais depuis que nous habitions ici, je ne l’avais plus vu, même pas un tout petit peu et c’était dur de s’en séparer du jour au lendemain. Je ne comprends même pas pourquoi tout ce bouleversement dans ma vie. Maman est presque constamment avec moi, donc ça veut dire qu’elle non plus elle ne voit plus papa et ça c’est vraiment très bizarre. Parfois j’ai peur qu’il soit mort, qu’il n’existe plus et que je ne le revois plus jamais. Ça se pourrait bien après tout ! On à plus de nouvelles de lui (du moins à ce que je sache), on ne vit plus dans notre maison et un air grave est très souvent présent sur le visage de maman. Il m’arrive souvent de faire des cauchemars la nuit et c’est pour ça que je me demande s’ils ne sont pas réalité tout simplement. Je sais que je devrais en parler à maman mis j’ai peur qu’elle se mette en colère contre moi, peut-être qu’elle ne veut pas qu’on parle de papa, sinon elle l’aurait déjà fait elle-même non ? Je ne sais pas trop quoi faire, peut-être qu’à un moment j’oserai lui parler, je ne sais pas.

Aujourd’hui, on était samedi, et donc on était tous dans la maison de marraine. Maman m’avait enfilé une très jolie petite robe et nous étions en train de déjeuner dans la cuisine. Alors que j’étais bien sage et calme dans ma chaise haute à manger mes tartines de Nutella, Micah passait son temps à crier et à jouer avec sa nourriture. Du coup il se faisait disputer par ses parents et ça énervait Nina qui se mettait à crier elle aussi. C’était une ambiance un peu trop électrique pour moi dès le matin. Je n’étais pas habituée à cela, mis plutôt aux matins très calmes. Seulement moi et maman qui prend tous le temps qu’il faut pour m’apprêter sans me brusquer, qui me prépare mon petit-déjeuner qui se déroule dans le calme et presque le silence. J’avais besoin de cela le matin et inutile de préciser qu’aujourd’hui c’était tout le contraire ! Je sentis les larmes me monter aux yeux et je me mis à pleurer. Maman me prit sur ses genoux et m berça contre elle jusqu’à ce que je me calme, là elle m’annonça qu’on allait aller se promener elle et moi. J’étais ravie.
Un quart d’heure plus tard, vêtue de mon petit manteau, de mon bonnet, de mon écharpe et de mes moufles, maman et moi quittions la maison. De toute façon, ils avaient aussi besoin de temps pour eux sans nous avoir dans les pieds. On se rendit au par cet directement à l’aile de jeu pour enfant sur laquelle maman me plaça sur la balançoire. Elle commença à me pousser et je criais :

- Plus haut ! Plus haut ! Encore plus haut !

Je me sentais voler, je me sentais libre, je me sentais bien, à l’air frais, loin des cris et des chamailleries, seulement ma maman et moi, comme avant.

La balançoire se stoppa peu à peu, elle montait de moins en moins haut et les petits chatouillements que je ressentais dans le creux de mon ventre à chaque descente disparaissaient. Elle finit par s’arrêter entièrement et je suivis maman des yeux. Elle se laça devant moi et me regarda. Ses yeux étaient tout drôles et la phrase qu’elle prononça ne me rassura pas du tout. C’était parce que je ne savais pas ce qu’elle allait me dire. Je me doutais bien qu’elle allait me parler de mon papa et j’étais ravie parce que je voulais absolument savoir pourquoi on ne le voyait plus jamais et surtout, quand est-ce qu’il reviendrait. Parce qu’il me manquait tellement, le jour où nous retournerions dans notre grande maison et qu’on le retrouverait, je savais déjà que je passerais la journée entière dans ses bras, pour rattraper le temps que l’on avait perdu. Enfin, c’était seulement valable si maman m’annonçait une bonne nouvelle. J’avais tellement peur qu’elle me dise qu’il est mort, cela me hante les nuits et parfois je me réveille en pleurant. Mais je n’en ai jamais rien dis a maman parce que je ne voulais pas l’inquiéter.

Elle me désigna un banc non loin, sous un immense arbre. Je pensais un instant que j’aimerais bien monter tout en haut pour observer le monde vu de là-bas. Mais je repris rapidement mes esprits pour lui répondre.

On va sur le banc !

Je me sentis rapidement soulevée et je me retrouvais dans les bras de maman. Je me serrais contre elle un moment, alors qu’elle marchait vers le banc et elle s’y installa pour me poser sur ses genoux. Instinctivement, je me laissai aller contre elle pour poser ma tête contre sa poitrine. J’adorais ça parce que j’entendais les battements de son cœur et que le soulèvement de sa poitrine lorsqu’elle respirait me berçait. Je me sentais bien, détendue, presque en osmose avec elle. Je me rendais compte qu’il fallait que je profite de chaque instant avec elle avant de devoir la partager avec les nouveaux bébés. Mes pensées divaguèrent et rencontrèrent à nouveau mon papa. Plus le temps passait et plus je me posais de question, plus le manque que je ressentais devenait important et plus je voulais le voir, absolument. Maman ne disait rien du tout, elle semblait pensive, peut-être un peu perdue, ou alors, elle cherchait peut-être ses mots. Je ne savais pas ce qu’elle s’apprêtait à me dire mais je savais très bien ce que je voulais savoir.

Dis maman, il est où papa ?

Cette question était simple, elle sortait de ma bouche. J’attendais une réponse maintenant, simple et concrète, la vérité bien évidemment. Il fallait que je sache, même si c’était pour être triste au final, il fallait que je sache vraiment et maman devait bien l’avoir compris non ?

Des choses vilaines ? je ne comprenais pas trop et puis je ne savais même pas vraiment ce que c’était la prison. J’avais déjà entendu ce mot, oui, j’en étais persuadée mais j’étais bien incapable de dire où et surtout à quoi il correspondait. Par contre, je savais parfaitement ce que voulait dire le mot vilain, et je me demandais bien ce que mon papa, que je connaissais pourtant si gentil, avait bien pu faire. Probablement rien de grave, peut-être n’avait-il volé quelques bonbons pour moi ? Ça ne m’étonnerait absolument pas de lui.
Si il ne pouvait plus venir chez nous parce qu’il était en prison alors nous n’avions qu’à nous rendre en prison pour le voir non ? Le temps me semblait vraiment long et je voulais le voir, j’avais envie qu’il me serre dans ses bras et qu’il me fasse tourner dans les airs comme avant. Je pourrai me plaindre quand il sera mal raser et qu’il me piquera en m’embrassant.

On peut aller le voir là-bas ? On pourrait même lui apporter à manger ? C’est quoi la prison ? Il va revenir bientôt ?

Ca faisait beaucoup de questions en une seule et unique phrase, mais j’avais besoin de savoir et j’avais prononcé chaque mot qui m’était passé par la tête. Cela faisait bien trop longtemps désormais que je me retenais de ne pas en parler à maman, je ne pouvais plus attendre. Après tout je n’ai que deux ans et n’importe qu’elle autre enfant de deux ans en demanderait autant à propos de ses parents. Maman ne m’en voudrait pas, c’était mon droit.

Bon apparemment papa était fâché contre maman. Mes petits yeux se baissèrent parce que je détestai qu’ils se disputent. Parfois j’avais été témoin de leurs cris interminables, mais je finissais toujours par me cacher et me boucher les oreilles. Aujourd’hui, papa n’était plus là, mais ca ne les empêchait pas de se disputer. Ça me rendait tellement triste. Mais bon, ils finiraient par se rabibocher comme d’habitude non ? Je n’avais pas trop d’espoir vu le ton de la voix de maman et parce qu’elle avait les larmes aux yeux mais je voulais le croire. Surtout qu’il ne s’était pas disputé avec moi et qu’il viendrait me prendre bientôt pour que l’on passe une journée ensemble.

Et papa il est aussi fâché contre moi alors ?

Il fallait tout de même que je m’en assure parce que peut-être que sans le savoir j’avais fait quelque chose de mal. Peut-être qu’ils s’étaient disputé à cause de moi. Je ne comprenais jamais rien aux problèmes des grands et souvent je me sentais bien faible et inutile. Des sentiments que je détestais par-dessus tout. Ma petite main se glissa dans celle de maman, et ma tête s’appuya un peu plus contre elle. Je n’osais pas totalement me laisser aller parce que j’avais peur de faire mal aux bébés.

J’étais vraiment déçue qu’on ne puisse pas aller rendre visite à papa en prison. Je ne savais pas trop ce que c’était, ni à quoi ça ressemblait mais vu qu’il y vivait, j’imaginais cela comme un genre d’hôtel ou une grande maison. Je ne comprenais pas trop la partie crime non plus, je ne voyais pas ce que mon papa aurait bien pu faire pour être puni de la sorte. Il était grand, il n’était plus un enfant. Et donc, pour moi, il n’avait plus besoin d’être puni. Je gardais vraiment espoir, une semaine ce n’était pas long à attendre. Dans une semaine, mon papa reviendrait et nous retournerions vivre dans notre maison tous ensembles. Je pouvais bien faire l’effort d’attendre sept jours.

Mais ça va passer vite une semaine maman. Tu aurais dû me dire tout de suite que tout redeviendrait normal dans une semaine seulement.

Je reprenais vie peu à peu, j’étais heureuse par ce que je venais d’apprendre et déjà l’image de mes parents ensemble se formait dans mon esprit. J’avais tellement hâte que je compterai surement les nuits à passer jusque-là. J’étais bien loin de m’imaginer que je n’avais pas entièrement compris ce que ma maman avait tenté de m’expliquer. Quand je m’en rendrai compte, je tomberai de haut, parce qu’enfaite, ma maman n’est sûr de rien. Et mon papa, il ne reviendra peut-être pas. Je souris lorsqu’elle m’embrassa sur le front et mes bras s’enroulèrent autour de son cou. J’avais envie de lui faire un câlin pour exprimer ma joie et mon espoir que tout rentre dans l’ordre, comme avant. En plus, elle venait de m’assurer que mon papa m’aimait et moi je l’aimais tout comme j’aimais maman. Ce dont je n’étais pas certaine c’était qu’ils s’aiment entre-eux. Tanpis, ils n’auraient qu’à jouer la comédie pour moi, et pour les jumelles qui restaient la seule ombre au tableau selon ma petite personne pour l’instant.
C’était à cela que je pensais le soir, à mes parents, et à mes futures sœurs. J’avais peur qu’elles arrivent, peur qu’elles prennent toute la place dans le cœur de maman et qu’il n’y en ai plus pour moi. Mais aussi peur qu’elle lui prenne tout son temps. Nos sorties juste à deux comme celle de maintenant disparaitraient à jamais et je devrai supporter les pleurs des deux bébés. Si je pouvais choisir, je demanderais à ce qu’elles ne naissent pas. C’est méchant je sais, et très égoïste aussi de vouloir ma maman pour moi toute seule mais c’est ce que je ressens.
Maman ne parlait plus, elle ne disait plus rien et nous restions blottie l’une contre l’autre, en silence. Ça devenait long et je me demandais bien ce qu’elle faisait ou ce qu’elle pouvait observer par-dessus mon épaule.

Ca va maman ?