On dit que dans toutes les familles il y a des mauvais souvenirs. C'est étrange mais j'ai l'intime conviction qu'il y en a vraiment plus dans la mienne. Comment vous exposer la situation ? Je dirais simplement que mes parents me détestaient. Je sais qu'il est difficile de s'imaginer des parents malheureux le jour de la naissance de leur enfant. Une mère qui hait l'être qu'elle a porté pendant neuf long mois en son sein. Une mère qui ne veut pas le voir, pas le toucher, lui parler , l'aimer. Un père indifférent, la voisine de l'allée aurait pu accoucher qu'il y aurait eu le même impact dans sa vie. Vous pensez que j'exagère ? Si seulement vous saviez...

Je suis née il y a maintenant vingt six ans à Los Angeles, sous le soleil éclatant de la Californie. Mes parents avaient déjà eu un fils deux ans auparavant. Un fils parfait, magnifique qu'ils aimaient plus que tout. Il était le fils tellement désiré, l'héritier, leur fils, mon frère: Nathan. Je suis ce que l'on peut appeler une erreur de la nature. C'est assez difficile de vivre avec ce statut d'erreur, il ne vous quitte jamais. Brisée dès la naissance.

Mon enfance ne fut pas ce que l'on pourrait appeler une enfance heureuse et insouciante. Mes parents avaient tous mais ils ne me donnaient rien. J'étais leur bouc émissaire. Le moindre geste de travers, la seule parole de trop était punie. Je ne pouvais rien faire et dès que je bougeais j'étais sévèrement réprimandée. Comment peut-on affliger cela à son enfant ? Les années passaient mais rien ne changeait pour eux je n'étais qu'une étrangère à qui ils autorisaient de vivre sous leur toit.

Une seule chose me permettait de tenir, de ne pas craquer et d'en finir pour de bon: mon frère. Il était tout ce que j'avais, lui me voyait, il m'aimait. Quand ca n'allait pas il était là pour me prendre dans ses bras et pour me consoler. Nathan était la seule personne qui comptait à mes yeux, il n'y avait que lui, tous les autres pouvaient bien mourir mes parents avec. Nous étions tellement proche, trop proche. Les gens parlaient à notre propos, comme toujours ils critiquaient mais si seulement ils savaient l'amour qui nous liaient. On s'aimaient surement trop, surement pas comme il fallait, mais nous on s'aimait comme ca.

Quelques années plus tard arriva cette période tellement redoutée par tout les parents normaux de ce monde : l'adolescence. De sombre et terrible années. Je commençais enfin à comprendre pourquoi mes parents me haïssaient autant et le savoir était encore pire. Je venais d'avoir seize ans, j'étais jeune et j'étais belle je crois. Je voyais les yeux des garçons du lycée sur moi et ceux énervés de Nathan. Entre nous les choses devenaient de plus en plus ambiguës, comme j'aurais voulu qu'il soit un autre, je me serais damnée pour qu'il ne soit pas mon frère...Je sais que c'est mal mais je ne peux pas m'en empêcher. J'y pense le jour et j'en rêve la nuit. J'avais l'impression que chaque jour me rapprochait de la fin, mes parents me tiraient vers le bas avec tellement de force que mon frère avait bien du mal à me sortir la tête hors de l'eau. A seize ans on commence les premières bêtises, l'alcool, les garçons, la drogue. Ce genre de choses stupides mais qui te font sentir vivant. Je me rappellerais toujours du jour où je suis rentrée à six heures du matin...

La nuit avait été longue, invité par un gars du lycée je me doutais bien qu'il voulait seulement coucher avec moi. J'avais prétexté dormir chez une amie pour terminer un devoir. L'alcool avait coulée à flot, la drogue tournée. Je me revois dansant sur cette piste, plus rien ne m'atteignait, juste la musique qui me traversait et je dansais au rythme de ce que je ressentais. Plusieurs avait essayés de se coller à moi avec leurs mains baladeuses, si Nathan avait été là... Je n'étais rentrée qu'au petit matin, les cheveux emmêlés et sentant la cigarette, l'haleine empestant l'alcool, toute débraillée, mon maquillage qui avait coulé. Je franchissais le seuil de la porte le plus silencieusement possible mais ma discrétion n'avait servi à rien, Nathan était déjà là à m'attendre. Hors de lui.
« Tu as vu l'heure qu'il est ? »
« Je rentre tôt, il fait jour. »
Il s'approcha, énervé. Il m'attrapa le bras, trop fort.
« Ne joues pas à ca avec moi October. Tu as vu dans quel état tu es. »
« Laisse moi Nathan. »
Je tentais de me dégager mais il me tenait fermement, je marchais à peine droit.
« Pourquoi tu fais ca ?! »
Il savait très bien ce qui me rendait ainsi, ce qui me rongeait jour après jour. Il m'attrapa par la taille et me traina jusqu'à la salle de bain, me jeta dans la douche et alluma l'eau froide. J'étais gelée, je me sentais mal. Il m'enroula dans une grande serviette, me porta jusqu'à ma chambre et resta couché contre moi, collé à moi. Son visage dans mon cou il murmura.
« Ne me fais plus jamais ca, j'ai cru mourir d'inquiétude... »


Ma vie devenait un enfer un peu plus chaque jour. J'étais une élève lamentable, je n'avais aucune envie de réussir, aucune motivation. Je redoublais une année mais par je ne sais quel miracle l'année suivante je réussis à avoir mon diplôme. Le jour de ma remise de diplôme j’espérais secrètement que mes parents viendraient, au moins pour faire bonne figure devant les voisins mais non. Le proviseur appela mon nom mais il n'y avait que moi et Nathan quelque part dans la foule. Le vide m’emparai. Je compris alors que je n'avais plus rien à faire ici, si je voulais vivre, si je ne voulais pas sauter du haut d'un immeuble je devais fuir et le plus vite possible.

J'avais dix-neuf ans et j'allais quitter ma "famille". Le monde s'étendait à mes pieds, il m'attendait. J'avais la possibilité d'écrire une nouvelle page et de définitivement tourner celle-ci. Comment refuser ? Je m'en souviens c'était un lundi, Nathan devait rentrer plus tard ce soir là à cause de son travail. J'avais fait toutes mes bagages, pris toutes mes affaires. Sauf une peluche que j'avais laissée sur le lit de mon frère avec une lettre où je lui expliquais tout et m'excusais de fuir comme une voleuse. J'avais pris le bus pour San Diego.

Une nouvelle vie commençait, je connaissais quelqu'un qui vivait là-bas. Il accepta de me loger quelques temps. Je trouvais un boulot de serveuse dans un bar, de quoi me nourrir. Les années galères se suivirent pendant deux ans. Jusqu’au jour où j'en eu assez de San Diego, je décidais de faire un petit périple en Europe. Avec un groupe d'amis nous firent le tour des villes, Paris, Londres, Berlin, Dublin, Rome, Madrid et Barcelone. Je tombais sous le charme de cette ville, tellement cosmopolite. Je m'y installais. Je trouvais encore un petit boulot, pas très difficile il y avait du travail pour ceux qui en avait besoin. Je vivais dans un grand appartement avec des gens très différents et fou comme je l'étais j'adorais vivre là-bas. Mais ma Californie natale commençait à me manquer. A l'aube de mes vingt quatre ans je pliais bagages et rentrais à la maison. Je m'installais à San Fransisco. Mes économies me permettèrent de m'offrir un joli petit appartement. Je ne me doutais pas que j'allais bientôt trouver un boulot de rêve. Je rencontrais Avery, elle tenait le cabaret de la ville. Elle m'engagea comme danseuse. J'adorais mon boulot, je ne le trouvais pas dégradant. Chaque soir je jouais de mes formes et de mes charmes, je m'éclatais et je gagnais bien ma vie.

Le temps où je vivais à LA est bien loin, je suis différente à présent. Une nouvelle personne pour une nouvelle vie. Il n'y a qu'une chose qui me raccrochent à cette ancienne vie : mon frère. Il me manque tellement, je pensais qu'avec le temps ca s’atténuerait mais non. C'est constant il me manque tout le temps, si seulement je pouvais le revoir...