Depuis combien de temps exactement est-ce que tout avait changé entre Andrew et Robbyn? Depuis combien de temps n’étaient-ils plus le couple solide et mystérieux qu’ils étaient au départ? Longtemps? Andrew n’arrivait plus à se souvenir de grand-chose pour être honnête. Depuis qu’il s’était fait attaqué, non seulement il n’avait pas arrêté de dealer –question d’argent-, mais en plus il avait recommencé à prendre pas mal de drogue pour oublier ses problèmes. La dernière fois qu’il avait autant consommée devait remonter à ses débuts, lorsque sa mère était morte et qu’il avait « découvert » sa bisexualité. Bref.

Ce soir, comme presque tous les autres maintenant, il n’était pas à l’appart. À quoi bon rester enfermé? Il faisait beau et relativement chaud dehors et Robbyn était soit absent, soit avec des potes ou alors tous les deux ne se parlaient pas vraiment. C’était plus que lourd comme ambiance et Drew ne le supportait tout simplement pas. Même s’il ne disait rien et même s’il était presque toujours shooté, il ne pouvait pas échapper éternellement à la réalité. Trainant ici et là dans les rues de San Francisco, il ne se souciait même plus de savoir si un truc allait lui arriver. Après tout, n’importe qui pourrait l’attaquer de nouveau, pas besoin qu’il soit en train de dealer, pas vrai?

Déambulant dans un parc, il ne portait que de simple chaussure à semelle très mince. Il ne regardait bien entendu pas où il marchait et finit par piler directe sur un énorme morceau de vitre. Relevant rapidement le pied, il vit le morceau bien incrusté dans la peau. Au revoir les chaussures. Il retira la vitre d’un coup sec et le sang commença à couler. Merde alors. Heureusement qu’il n’était pas trop loin de l’appart. Boitant, il se rendit à l’immeuble d’Hayes Valley où il monta à l’aide de l’ascenseur. Pour une fois dans sa vie il remerciait le ciel d’avoir choisit cet immeuble. Ouvrant la porte d’entrée, il retira rapidement sa chaussure et clopina jusqu’à la salle de bain, ne portant presque pas attention à Robbyn qui le regardait passer depuis leur chambre.

Une belle trainé de sang prouvait son passage depuis la rue jusqu’à la salle de bain. N’importe qui pouvait maintenant le retracer en moins de deux. Quel con! S’asseyant tout bonnement sur le comptoir, il ouvrit l’eau et retira son bas imbibé. Lorsqu’il s’arrêta deux secondes pour lever les yeux, Rob était là, devant lui, dans le cadre de porte. Danny posa sur lui un regard vide. Il devait être blême présentement et ce n’était pas simplement dû à sa perte de sang. À quand remontait son dernier vrai repas? Sans parler de son manque de sommeil….

Hey..

Je t'avais prévenu qu'elles dureraient pas longtemps, ces chaussures.

Il hocha distraitement la tête avec un demi-sourire au coin des lèvres. Il est faux ce sourire, le sais-tu Danny? Tout comme ta voix. Venait-elle vraiment de toi? J’aurais plutôt cru que c’était l’ombre de toi que tu laissais doucement prendre la place du vrai. Baissant la tête sur son pied, Andrew regardait le sang sans vraiment réaliser qu’il avait mal. Est-ce que quelque chose pouvait encore l’atteindre? C’était une dure question. Enfin, dure à répondre pour lui, la réponse, elle, était plus qu’évidente.

Robbyn était maintenant près de lui et Danny ne s’en était pas rendu compte. Il avait prit cette petite malle dans laquelle se trouvait tous ce dont il avait besoin pour sa blessure. Ouais, pas fou comme idée. Pourquoi ne pas y avoir pensé avant crétin? Il posa son regard vide sur son petit ami, songeant justement à ce statut. Ils ne vivaient plus une vie de couple depuis un bon moment déjà. Pouvaient-ils quand même se considérer comme tel ou alors étaient-ils maintenant de simple colocataire? Mmh…

Je m'inquiète pour toi. Tu... consommes presque autant que tu vends depuis quelques semaines... on se parle plus, on se touche plus....

Andrew pesa les paroles de Rob. En son for intérieur, il savait qu’il avait raison. Mais, lui-même avait ses raisons de consommer autant. Lorsque sa vie n’était qu’un tas de merde, c’est toujours ce qu’il avait fait pour y remédier –si on peut le dire ainsi puisqu’on sait bien que ça ne change absolument rien, loin de là-. Il avait envie de dire un truc. De tout expliquer à Rob. De le laisser voir en lui comme auparavant pour qu’ils puissent s’aider mutuellement. Mais cette fois il n’en était pas capable. Quelque chose l’en empêchait. Quoi? Il ne savait pas exactement. Une chose était certaine, c’était qu’il souffrait de ce blocage autant qu’il en faisait souffrir Marshall. Et puis, c’est sans compter le fait qu’il souffrait de faire souffrir son ami. Ça en fait de la souffrance ça du coup, vous ne trouvez pas?

C'est à cause de ce que je fais...?

Sa question ramena quelque peu Drew à la réalité –autant que c’était possible dans son état en tous cas-. Il le regarda cette fois en le voyant réellement devant lui. Sa question semblait futile et tombée de nulle part. Ce qu’il faisait… son job. Non, rien à voir. Drew avait longtemps vécu avec ça sur la conscience et, honnêtement, c’était désormais le dernier de ses soucis. Okay, peut-être pas tant. Il y pensait un peu chaque fois que Rob devait aller bosser, mais bon. Rien de grave. Après tout, il faisait de l’argent comme ça…

Non. J’veux dire… C’est ton boulot, tu ramènes du pognon, c’est ça l’important…

Il continua de le regarder encore un peu avant de baiser de nouveau les yeux sur son pied. Il prit la bouteille de désinfectant et en versa peut-être un peu trop sur la plaie qui se mit à mousser et à faire mal. Il serra les dents pour ne pas montrer qu’il souffrait et attendit que la mousse s’en aille avant de le rincer de nouveau.

Tu sais... je sais que… qu’on est plus comme avant.

Robbyn se releva et se planta juste devant Danny ce qui lui fit lever la tête quelque peu. Se frayant un chemin entre ses jambes, Robbyn se tint là, posant une main dans son dos et l’autre derrière sa tête. Se retrouvant aux prises de l’étreinte de son petit ami Drew avala difficilement. Il y avait si longtemps qu’ils n’avaient pas eu ce genre de rapprochement, c’était vraiment dur à supporter. Il était là, à le regarder, à scruter son regard à la recherche d’une chose dont Andrew ne connaissait pas l’existence. Une chose que, probablement, il ne trouverait plus jamais ou alors pas de si tôt. Il appuya sa tête contre celle du grand brun qui déglutit et resta là, en silence. Il n’avait pas envie de repousser Robbyn et ce, même si c’était suffocant de l’avoir si près. Suffocant non pas parce qu’il lui prenait son air, mais plutôt parce qu’il faisait remonter les émotions et sentiments qu’il se tuait –c’est peu de le dire- à taire en prenant de la drogue.

Où que tu finisse avec cette drogue, je vais pas te laisser pourrir seul. La situation est pas aussi merdique que t'en as l'impression. Ouvre les yeux, Andrew... s'il te plaît, arrête de t'éloigner... bientôt on pourra plus te faire revenir en arrière si on continue dans cette direction. Je veux pas te perdre, pas toi.

Ses paroles pesaient lourd sur le cœur du jeune homme. Lui non plus ne voulait pas. Il n’avait pas envie de pourrir. Ni seule, ni avec quelqu’un à ses côtés. Il n’avait pas non plus envie de s’éloigner à tout jamais, ne plus être apte à revenir en arrière. Et par-dessus tout, lui non plus ne voulait pas le perdre… mais à quel prix demeuraient-ils ensemble tous les deux désormais?

On a peut-être besoin d'un break...

Regardant toujours dans la vague, il commençait à sentir le manque revenir. Ses muscles étaient tendus et il ne tarderait pas à trembler comme une feuille. Concentré sur son état de santé, il n’avait pas vraiment écouté ce que son interlocuteur avait dit. En fait, l’avait-il seulement entendu? Il ouvrit grand les yeux, réalisant avec choc les paroles que venait de prononcer Rob. Un break? En étaient-ils vraiment là? À bien y penser, ça faisait longtemps qu’ils en étaient là. Sans que ce soit officiel, c’était même comme s’il s’était laissé tous les deux. Et ça, Danny ne pouvait pas le nier même avec toute la conscience qu’il lui restait.

Ouais, je crois aussi…

Acceptait-il par principe ou par envie? Après tout, il n’était presque plus capable de venir à l’appart. Peut-être était-ce mieux pour eux d’arrêter, de prendre une pause, de voir où ils en étaient de façon plus… sérieuse. Il inspira profondément et remonta lentement une main qu’il laissa flotter derrière le dos de Robbyn un bon deux minutes avant d’enfin s’agripper à son chandail. Il le serra fortement entre ses doigts tremblants et soupira bruyamment en enfonçant son visage contre le torse du jeune homme. Il avait envie de pleurer, mais n’en avait même pas la force.

L’attente de l’inconnu est comme l’attente de la douleur : parfois bien plus douloureuse que la douleur elle-même. Attendre de voir ce qui se passerait entre eux était très difficile pour Andrew. Se tenant toujours à Robbyn comme à une bouée au milieu de l’océan, il le sentit qui relevait la tête. Contenait-il autant d’émotion que lui? Combattait-il avec lui-même pour conserver un peu de dignité et ne pas pleurer? Il eu rapidement la réponse à sa question lorsqu’il sentit les larmes de Robbyn lui tomber sur le dessus de la tête. Serrant encore plus son chandail entre ses doigts et sa mâchoire, il sentait qu’il allait lâcher lui aussi si ça continuait.

Marshall le ramena tout de même à la réalité, prenant ses cheveux entre ses doigts et tirant sa tête vers l’arrière, Danny n’eut d’autre choix que de relâcher un peu sa prise, de relever la tête et de le regarder. Un instant plus tard ils s’embrassaient. Aurait-il pu l’en empêcher ? Je ne crois pas. Avait-il envie de l’en empêcher? Je ne crois pas non plus. Son corps était faible, il se sentait tomber à la renverse tellement il y avait de la force dans ce baiser. Il aurait voulu qu’il ne s’arrête jamais, ce moment là.

Robbyn fini par se retirer, laissant Andrew là, tout seul dans la salle de bain avec son pied qui recommençait à lui faire mal. Putin de pied. Il le regardait comme si quelque chose allait se passer alors que Rob était retourné dans la chambre. Il faisait sa valise pour partir, c’était évident. Mais pourquoi lui ? Pourquoi n’était-ce pas Drew qui s’en allait? Et puis, avait-il envie de rester ici de toute manière? Même seul, c’était pénible d’être dans cet appartement. En fait, c’était sûrement pire lorsqu’il s’y trouvait seul. Robbyn sortit de la chambre et Danny savait qu’il marchait vers la porte d’entrée. D’ici quelque seconde, il ne le reverrait plus. Plus avant longtemps, il en était persuadé. Il avala de travers, sa salive lui coupait l’intérieur de la gorge. C’était pénible. Mais il n’entendit pas la porte, au lieu de ça, il vit Rob réapparaitre. Se levant d’un bond sans même penser à sa blessure, il se traina jusqu’au pas de la porte de leur chambre. Rob était accroupi, il fouillait dans une boite. Sûrement un truc qu’il avait oublié. Rien qui ne regardait Drew apparemment.

Pourtant il restait là, conscient qu’il lui bloquait le chemin, qu’il ne pourrait pas ressortir. Oskar tentait de lui lécher le pied –les chiens savent trouver la douleur et la guérir à ce qu’on dit-. Andrew le prit dans ses bras, caressant distraitement sa tête. Le chien voulait retourner par terre. Rob se redressa et marcha jusqu’à lui. Il voulait passer, mais Danny ne comptait pas bouger. Enfin, son cerveau ne lui envoyait pas l’information nécessaire. Son corps entier tremblait. Le manque. Manque de drogue, manque d’amour, manque de Robbyn. Ce dernier lui demanda calmement de se pousser de là. Il avait le visage humide et Danny prit conscience que lui-même pleurait. Il le fixa un moment sans rien dire. Que dire de toute manière? S’adossant finalement au cadre de porte, il laissa passer son petit ami… Pouvait-il encore le nommer ainsi? Il releva rapidement la tête et attrapa Rob par le poignet, le forçant à s’arrêter et à se retourner en prenant son visage de sa main libre. L’attirant rapidement à lui, Andrew l’embrassa avec tout l’amour qu’il lui avait été donné d’avoir pour ce mec qui avait complètement changé sa vie, qui avait toujours été là pour lui et qui l’avait accepté à être ce qu’il était. Complètement, peut-être pas, mais il avait fait plus de travail que n’importe qui durant ces derniers mois. « Je t’aime » pensa-t-il alors qu’il l’embrassait toujours aussi passionnément et indéfiniment.